vendredi 28 décembre 2018

Versets granitiques

Versets granitiques




Il faudrait traverser la brume des années,
L'amnésie quotidienne qui ternit nos yeux,
Les filtres successifs de ces vitraux frileux,
Qui tapissent de rouille les cieux oxydés.

En mélopées de gris pourtant quelle douceur
Pleut sans aucun répit sur la Bretagne ronde,
Quand dans le ciel laiteux des amours vagabondes
S'effleurent au détour d'un manque de noirceur.

Quand le chant des marins me pousse au naufrage,
Phares et sémaphores, laissez moi m'échouer !
Laissez à la dérive les enfants de mon âge,
N'ont qu'une vague idée du sens du mot « jouer ».
Laissez moi m’enivrer des versets granitiques,
Peindre sur mes paupières d'exotiques rivages,
Couler sur mon visage ces bruines oniriques,
Graver sur mon granit l'amour et ses ravages.

Il faudrait dépasser les roches acérées
Qui gardent les rivages des îles oubliées.
Il faudrait s'amarrer, et puis bien enlacés,
Résister aux rafales de ce vent glacé.

En cascades d'écume pourtant, quelle tendresse,
Déferle sans faiblir sur le froid Finistère,
Quand sur les roches nues les hommes solitaires
Viennent à fleur de peau partager leurs détresses.

Quand le chant des marins me pousse aux abysses,
Phares et sémaphores, laissez moi m'échouer !
Laissez à la dérive les enfants de Narcisse,
N'ont qu'une vague idée du sens du mot « jouer ».
Laissez moi m’enivrer des versets granitiques,
Peindre sur mes paupières d'exotiques Villes d'Ys,
Couler sur mon visage ces bruines oniriques,
Graver sur mon granit l'amour et ses délices.

Mais il faudrait surtout aimer le mauvais temps,
Et attendre la pluie et supplier le vent,
Se laisser emporter au fond de l'océan,
Perdu dans le brouillard, et s'en faire un amant.

Se faire de l'orage le refuge d'un soir,
Du granite tranchant une perle de nacre,
De l'étranger errant un prince que l'on sacre,
Et du hasard tremblant un destin, une gloire.

Quand le chant des marins m'attire vers l'horizon,
Phares et sémaphores, laissez moi m'échouer !
Laissez à la dérive les enfants de raison ,
N'ont qu'une vague idée du sens du mot « jouer ».
Laissez moi m’enivrer des versets granitiques,
Peindre sur mes paupières d'exotiques prisons,
Couler sur mon visage ces bruines oniriques,
Graver sur mon granit l'amour et ses saisons.

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