dimanche 6 septembre 2015

Le parfum des immortelles



Le parfum des immortelles

Chapitre 1: Le serpent.

Ourdi par le silence des jeunes solitudes,
J'arpentais ce désert, entre hier et rien,
Mes peurs et mes erreurs décapitées enfin,
Je reviens libéré vers de neuves Bermudes.

Sentant sous les pieds nus et transpercés d’épines,
Le sable incandescent, mordant de sa douceur,
Les chaires insoumises décorant mon échine,
Je laisse un long sillage de peau et de douleur.

Tournant le dos a l'onde qui digérait mes peines,
Je regarde la terre, de haut, de loin, de bas,
Mais je me suis perdu, en enfer en Éden,
Garçon nu à nouveau, moi vivant hors de moi.

Dans l’océan bleu sang, gisent les herbes folles,
Écrasées dans l étau que forment ciel et mer,
Qui broie tous les bateaux, les oiseaux, l’éphémère,
L'oubli est un trou noir, dont plus rien ne s'envole.

Contemplant le futur avec ses pages vierges,
Enivré des liqueurs trompeuses des possibles,
Je ne vois pas ramper, louchant sur mes chevilles,
Le long serpent de sable, revenant sur la berge,

Le long serpent de mer, le long serpent d'oubli,
Le serpent du passé, s'enroule et me caresse,
Paraît et disparaît, me fait face sans cesse,
Mais les yeux amoureux se trompent d'ennemi.

Le passé m'escalade, s'enroulant à mes pieds,
Le sable fin se glisse entre tissus et cuisse,
J'ignore les écailles du passé congédié,
Dont la langue persifle au creux de l'aine lisse.

Le reptile au poitrail continue sa montée,
Ses yeux vides me fixent, ses crocs me dévisagent,
Il me siffle en des mots que j'avais oublies,
Un poème d'antan écrit dans mon jeune âge.

Quand finit le poème, sort de la gueule ouverte,
Un effluve léger, une larme, une vapeur,
Un rien immatériel qui dans mon nez pénètre,
Un parfum d'immortelles qui m'accroche le cœur.

Que l'on jette a la mer ordures et souvenirs,
Que l'on noie des années, offertes aux ténèbres,
La vie est un serpent, et tout n'est que vertèbres,
Pour moi les immortelles, ne cessant de fleurir.





Chapitre 2 : A fleur de peau.

D'aucuns craignent le soir, aux macabres cortèges,
Je redoute les aubes et leurs rayons tranchants,
Guillotinant les rêves, dénouant les arpèges,
Balafrant de trivial l'harmonie du dormant.

Lumière du matin rend l'air irrespirable,
Le jour aux doigts de fer se chauffe à mes fièvres,
Et rougit sur les braises, sur les dépouilles mièvres,
De contes érotiques, songes inavouables.

J'entends déjà claquer, le pas des heures tristes,
Qui dans leur complet gris frappent a mes tympans,
Attache-caisse au bras, et mes pieds menottant,
Gavant d’anxiolytiques les âmes anarchistes.

Le jour m'arrache au lit, mais dans sa barbarie,
Ne voit pas cette veine, au chevet accrochée,
Et le tuyau se rompt, le fluide est versé,
Vivre encore aujourd'hui sera hémorragie.

Et les aiguilles tournent, remuant le couteau,
Dans la plaie intérieure que le jour a creusée,
Et l'on suit à la trace ce vibrant tombereau,
Que je suis ce matin, marchant vers mon passé.

Et devant mon bureau, juste devant ma tombe,
Alors que mes poumons ne sont que catacombes,
Je glisse une main froide dans la poche profonde,
Ou je veux disparaître loin des yeux du monde.

C'est alors que mes doigts rencontrent le serpent,
Dormant au creux de moi dans un repli du temps,
Au bout de ses crocs blancs perlent son doux venin,
Et des fleurs immortelles resurgit le parfum.

Quand du fond de ma poche sortent mes doigts fleuris,
Couverts de sable blanc et de pétales d'or,
L’océan me submerge, et un souvenir mort,
Fait pousser les vertèbres dans mon dos flétri.

Et le squelette monte comme la marée,
Et mes yeux écumants en vagues se déversent,
Dans la veine tranchée s'engouffre l'eau salée,
Lavant les apparences que le serpent transperce.

Ainsi je dois ma vie aux fleurs assassines,
Qui au cœur du trivial tuent les usurpateurs
Qui autour de mes os ont plongé leurs racines,
Leur parfum à jamais rongera mes tumeurs.




Chapitre 3: Rue de Siam

A la porte des mondes où va mourir la terre,
Une ville engloutie par le temps et la guerre,
Surgissait d'un poème récité en tremblant,
Le premier horizon de mes rêves d'enfant.

Sur les pages meurtries de cet ancien cahier,
Ratures et cicatrices traçaient en déliés
L’écrit indélébile d'un stylo hésitant
Père de mon passé et de mes cheveux blancs.

Sur le papier coulaient des rivières d'histoire,
Des flots de connaissance et des faits dérisoires,
Des détails essentiels construisaient la légende,
Des colons exotiques de cette rue trop grande.

Perdue dans le brouillard, voici la rue de Siam,
Allée monumentale draguant les habitants
Du gris vers un ailleurs ou le regard se pâme,
Entre les grues du port, entre quelques serments.

Coule sur l'avenue un fleuve insolent,
D’être immatériels, d'hommes dépossédés,
Abandonnant espoir et futur dans le vent,
Avant l'embarquement vers la vie d’exilés.

Et en bas de la rue, en face du néant,
Le crachin incessant a dressé un miroir
Des milliers d’étrangers s'y mirent sans s'y voir,
Les embruns dissolvent leurs visages mourants.




Derrière le miroir survivent les légendes,
Celle du roi de Siam et de son éléphant,
Celle de l’écolier et de ses cheveux blancs,
Tous deux semblent venus tout droit de Samarcande.

Arpentant l'avenue, ce long serpent de ville,
Et la main dans la main l’écolier et le roi,
Semaient sur leur passage les graines d'une foi,
Qui fleurirait un jour au gré d'une heure fertile.

Suivant le roi de Siam et humant son sillage,
Et toujours je le suis quand je reviens à Brest,
Les images sont floues mais le parfum me reste,
L’écolier ignorant a traversé les âges.

Qu'apprend-on d’une ville et d'un miroir sans tain ?
D'un roi de pacotille perdu dans le crachin ?
Que derrière le visage que creusent les années,
Survit un horizon, survit la destinée.

L'odeur des immortelles sur mes pas retrouvée,
Descend la rue de Siam et charrie mes pensées,
Et je cours derrière elles, hagard et essoufflé,
Mais les pensées légères déjà sont envolées.

Car dans les rues de Brest, le tonnerre, les chimères,
Dans le vent rien ne dure, tout est a inventer,
La vie des immortelles, une vie éphémère,
Rappelle aux marins le poids de leur passé.

Chapitre 4 : Les indomptables

Quand sur le port de Brest, Narcisse aux yeux mouillés
Fixe d'un regard mort les horizons dissous,
Futurs impressionnistes et lendemains muets,
Se brise le miroir et meurent les reflets fous.

De marais en rivières, les images honnêtes,
Se noient dans les sarcasmes et autres tempêtes,
Agitant la surface des océans futiles,
Qui inondent d'ennui les jardins infertiles.

Mais le tableau maudit, tapis dans le grenier,
Se moque calmement des portraits roturiers,
Peints par les gigolos, artistes corrompus,
Ou par notre fierté, de complexes repue.

Les animaux sauvages, orphelins de la honte,
Attendent patiemment, que Dorian Gray remonte,
Admirer en secret le chef d’œuvre coupable,
Pour lacérer enfin les traits méconnaissables.

Narcisse se penche parmi les nymphéas
Ses vertèbres rampent lentement dans la tourbe,
Le serpent se cabre devant l'onde trouble,
La vérité lourde jamais ne flottera.

Et quand la peau se mire, quand l'image s'admire,
Le squelette s'enfuit vers de profonds abysses,
Emportant avec lui l'or, l'encens et la myrrhe,
Les atours prophétiques fondent dans l'eau lisse.

On garde du cadavre quelques métacarpes,
Volés in extremis au dernier des naufrages,
Et l'on sème les os tout autour du visage,
Survivant sur le lac balafré par les carpes.

Dans ce jardin secret poussent des immortelles,
Des fleurs domestiquées au parfum synthétique,
Cultivées pour nourrir des vies artificielles,
Fertiliser en vain les âmes désertiques.

On ne capture pas le serpent indomptable,
Le reflet sur le lac ou le parfum du temps
Les fleurs immortelles plantées au matin blanc,
Se suicident toujours et meurent loin du sable.




Chapitre 5: La reddition des heures

Ainsi s'en va le fil long et mince du temps,
Par l'aiguille acérée d'un odieux tisserand,
Tiré toujours plus loin et toujours plus fragile,
L'aveugle couturier déploie ses mains agiles.

A travers les vertèbres de lendemains brodés,
Pique la moelle rouge et tache la dentelle,
Le corset de nos heures est de sang maculé
La mort aguicheuse porte sa jarretelle.

Autour du fémur blanc de la faucheuse nue,
S'enroulent les soies bleues des futurs révolus,
Le rouet infernal dans sa valse sans fin
Découd infiniment les heures de satin.

En tirant sur le fil, sur la ligne de fuite,
On porte a ses pieds horizons et falaises,
Derrière le tableau, perspective détruite,
Le néant se prélasse, le vide s'apaise.

Les heures égorgées se vident de leur sang,
Implosent et s’évaporent au bout de notre temps,
Dans ces vastes abysses que l'ennui a creusés,
Le long du gouffre noir marchent les condamnées.

Après ce dernier cap, les dieux ne savent rien,
Quand le temps s'est enfui, heures mortes enfin,
Tristement crucifiées, par ce fil tenues,
Expirent un parfum trop longtemps retenu.

Il faut entendre alors ce chant des heures sombres,
Le ressentir plutôt, car le temps mort se tait,
Les heures se confessent expiant en nombre
Les trahisons sucrées dont elles se gavaient.

Les cantiques se noient quand finit le rivage,
Car le temps des remords lui aussi prend de l'âge,
Au cœur de mon cœur noir je ris des confessions,
Dentelles expiatoires et vaines professions.

Quand l'aiguille acérée transperce le miroir,
Et que le fil d'acier étrangle le serpent,
Heures démissionnaires et années dérisoires,
Se pressent au gibet, les bourreaux suppliant.

Dans cette gravité qui écrase le temps,
A la fin du calvaire des heures torturées,
Des vertèbres légères emplissent le néant,
Et la nuque transpire l'immortalité.



Chapitre 6 : Degenesis.

A l’ombre de la mort où l’espace et le temps
Dans un tombeau ouvert dorment depuis longtemps,
Un calme diluvien règne sur l’existence,
Et sur la création s’abat l’empire des sens.

Quand au bout des choses on fait un pas de plus,
Ne s’ouvre qu’un tunnel où sonne l’angélus.
Le serpent s’y engouffre comme un train de nuit,
Vertèbres orphelines, étranges wagons-lits.

Partant vers le départ, vers le point d’origine,
Convoi mystérieux de voyageurs nus,
L’ultime strip-tease des âmes libertines,
Les conduit vers le temps où le monde n’est plus.

Dieu jardinier, Dieu couturier, paysagiste,
Ton œuvre à rebours lentement défleurit,
Et au pays d’Adam un roi minimaliste,
Efface la genèse que tu accomplis.

Forêts déshabillées se font foules de troncs,
Animaux identiques, fleurs à l’unisson,
Heures géométriques à deux dimensions,
Mesures anarchiques, vecteurs sans directions.

Au bout de ce tunnel désinitiatique,
Comment vêtiras-tu tes jouets mécaniques,
Mannequins d’os et d’or, fantômes de l’Eden,
Quel liquide nouveau coulera dans leurs veines ?

Narcisses sans visage fixant l’horizon,
Et portraits sans âge cherchant une maison,
Rues et ports dépeuplés, attendant l’invasion,
Heures désincarnées tournant à l’obsession.

Dieu jardinier, Dieu couturier, dessinateur,
Comment repeindras-tu ce monde effacé,
Par le temps, par l’alcool, par la mort de ta sœur,
Sauras-tu te passer de ce style pompier ?

A la gare d’arrivée, tout au bout du tunnel,
Que n’auront traversé que choses immortelles,
Reconnaitras-tu le serpent transfiguré,
Et te souviendras-tu du parfum oublié ?

Quand à l’aube nouvelle le soleil renaîtra,
Les arbres vertébraux perceront le ciel bas,
Le serpent portera une peau de dentelle,
Diffusant le subtil parfum des immortelles.





Aucun commentaire: