Le parfum des immortelles
Chapitre
1: Le serpent.
Ourdi par le silence des jeunes
solitudes,
J'arpentais ce désert, entre hier et
rien,
Mes peurs et mes erreurs décapitées
enfin,
Je reviens libéré vers de neuves
Bermudes.
Sentant sous les pieds nus et
transpercés d’épines,
Le sable incandescent, mordant de sa
douceur,
Les chaires insoumises décorant mon
échine,
Je laisse un long sillage de peau et
de douleur.
Tournant le dos a l'onde qui
digérait mes peines,
Je regarde la terre, de haut, de
loin, de bas,
Mais je me suis perdu, en enfer en
Éden,
Garçon nu à nouveau, moi vivant hors
de moi.
Dans l’océan bleu sang, gisent les
herbes folles,
Écrasées dans l étau que forment
ciel et mer,
Qui broie tous les bateaux, les oiseaux,
l’éphémère,
L'oubli est un trou noir, dont plus
rien ne s'envole.
Contemplant le futur avec ses pages
vierges,
Enivré des liqueurs trompeuses des
possibles,
Je ne vois pas ramper, louchant sur
mes chevilles,
Le long serpent de sable, revenant
sur la berge,
Le long serpent de mer, le long
serpent d'oubli,
Le serpent du passé, s'enroule et me
caresse,
Paraît et disparaît, me fait face
sans cesse,
Mais les yeux amoureux se trompent
d'ennemi.
Le passé m'escalade, s'enroulant à
mes pieds,
Le sable fin se glisse entre tissus
et cuisse,
J'ignore les écailles du passé
congédié,
Dont la langue persifle au creux de
l'aine lisse.
Le reptile au poitrail continue sa
montée,
Ses yeux vides me fixent, ses crocs
me dévisagent,
Il me siffle en des mots que j'avais
oublies,
Un poème d'antan écrit dans mon
jeune âge.
Quand finit le poème, sort de la
gueule ouverte,
Un effluve léger, une larme, une
vapeur,
Un rien immatériel qui dans mon nez
pénètre,
Un parfum d'immortelles qui
m'accroche le cœur.
Que l'on jette a la mer ordures et
souvenirs,
Que l'on noie des années, offertes
aux ténèbres,
La vie est un serpent, et tout n'est
que vertèbres,
Pour moi les immortelles, ne cessant
de fleurir.
Chapitre
2 : A fleur de peau.
D'aucuns craignent le soir, aux
macabres cortèges,
Je redoute les aubes et leurs rayons
tranchants,
Guillotinant les rêves, dénouant les
arpèges,
Balafrant de trivial l'harmonie du
dormant.
Lumière du matin rend l'air
irrespirable,
Le jour aux doigts de fer se chauffe
à mes fièvres,
Et rougit sur les braises, sur les
dépouilles mièvres,
De contes érotiques, songes
inavouables.
J'entends déjà claquer, le pas des
heures tristes,
Qui dans leur complet gris frappent
a mes tympans,
Attache-caisse au bras, et mes pieds
menottant,
Gavant d’anxiolytiques les âmes
anarchistes.
Le jour m'arrache au lit, mais dans
sa barbarie,
Ne voit pas cette veine, au chevet
accrochée,
Et le tuyau se rompt, le fluide est
versé,
Vivre encore aujourd'hui sera
hémorragie.
Et les aiguilles tournent, remuant
le couteau,
Dans la plaie intérieure que le jour
a creusée,
Et l'on suit à la trace ce vibrant
tombereau,
Que je suis ce matin, marchant vers
mon passé.
Et devant mon bureau, juste devant
ma tombe,
Alors que mes poumons ne sont que
catacombes,
Je glisse une main froide dans la
poche profonde,
Ou je veux disparaître loin des yeux
du monde.
C'est alors que mes doigts
rencontrent le serpent,
Dormant au creux de moi dans un
repli du temps,
Au bout de ses crocs blancs perlent
son doux venin,
Et des fleurs immortelles resurgit
le parfum.
Quand du fond de ma poche sortent
mes doigts fleuris,
Couverts de sable blanc et de
pétales d'or,
L’océan me submerge, et un souvenir
mort,
Fait pousser les vertèbres dans mon
dos flétri.
Et le squelette monte comme la
marée,
Et mes yeux écumants en vagues se
déversent,
Dans la veine tranchée s'engouffre
l'eau salée,
Lavant les apparences que le serpent
transperce.
Ainsi je dois ma vie aux fleurs
assassines,
Qui au cœur du trivial tuent les
usurpateurs
Qui autour de mes os ont plongé
leurs racines,
Leur parfum à jamais rongera mes
tumeurs.
Chapitre
3: Rue de Siam
A la porte des mondes où va mourir
la terre,
Une ville engloutie par le temps et
la guerre,
Surgissait d'un poème récité en
tremblant,
Le premier horizon de mes rêves
d'enfant.
Sur les pages meurtries de cet
ancien cahier,
Ratures et cicatrices traçaient en
déliés
L’écrit indélébile d'un stylo
hésitant
Père de mon passé et de mes cheveux
blancs.
Sur le papier coulaient des rivières
d'histoire,
Des flots de connaissance et des
faits dérisoires,
Des détails essentiels
construisaient la légende,
Des colons exotiques de cette rue
trop grande.
Perdue dans le brouillard, voici la
rue de Siam,
Allée monumentale draguant les
habitants
Du gris vers un ailleurs ou le
regard se pâme,
Entre les grues du port, entre
quelques serments.
Coule sur l'avenue un fleuve
insolent,
D’être immatériels, d'hommes
dépossédés,
Abandonnant espoir et futur dans le
vent,
Avant l'embarquement vers la vie
d’exilés.
Et en bas de la rue, en face du
néant,
Le crachin incessant a dressé un
miroir
Des milliers d’étrangers s'y mirent
sans s'y voir,
Les embruns dissolvent leurs visages
mourants.
Derrière le miroir survivent les
légendes,
Celle du roi de Siam et de son
éléphant,
Celle de l’écolier et de ses cheveux
blancs,
Tous deux semblent venus tout droit
de Samarcande.
Arpentant l'avenue, ce long serpent
de ville,
Et la main dans la main l’écolier et
le roi,
Semaient sur leur passage les
graines d'une foi,
Qui fleurirait un jour au gré d'une
heure fertile.
Suivant le roi de Siam et humant son
sillage,
Et toujours je le suis quand je
reviens à Brest,
Les images sont floues mais le
parfum me reste,
L’écolier ignorant a traversé les âges.
Qu'apprend-on d’une ville et d'un
miroir sans tain ?
D'un roi de pacotille perdu dans le
crachin ?
Que derrière le visage que creusent
les années,
Survit un horizon, survit la
destinée.
L'odeur des immortelles sur mes pas
retrouvée,
Descend la rue de Siam et charrie
mes pensées,
Et je cours derrière elles, hagard
et essoufflé,
Mais les pensées légères déjà sont
envolées.
Car dans les rues de Brest, le
tonnerre, les chimères,
Dans le vent rien ne dure, tout est
a inventer,
La vie des immortelles, une vie
éphémère,
Rappelle aux marins le poids de leur
passé.
Quand sur le port de Brest, Narcisse
aux yeux mouillés
Fixe d'un regard mort les horizons
dissous,
Futurs impressionnistes et lendemains
muets,
Se brise le miroir et meurent les
reflets fous.
De marais en rivières, les images
honnêtes,
Se noient dans les sarcasmes et
autres tempêtes,
Agitant la surface des océans
futiles,
Qui inondent d'ennui les jardins
infertiles.
Mais le tableau maudit, tapis dans
le grenier,
Se moque calmement des portraits
roturiers,
Peints par les gigolos, artistes
corrompus,
Ou par notre fierté, de complexes
repue.
Les animaux sauvages, orphelins de
la honte,
Attendent patiemment, que Dorian
Gray remonte,
Admirer en secret le chef d’œuvre
coupable,
Pour lacérer enfin les traits
méconnaissables.
Narcisse se penche parmi les
nymphéas
Ses vertèbres rampent lentement dans
la tourbe,
Le serpent se cabre devant l'onde
trouble,
La vérité lourde jamais ne flottera.
Et quand la peau se mire, quand
l'image s'admire,
Le squelette s'enfuit vers de
profonds abysses,
Emportant avec lui l'or, l'encens et
la myrrhe,
Les atours prophétiques fondent dans
l'eau lisse.
On garde du cadavre quelques
métacarpes,
Volés in extremis au dernier des
naufrages,
Et l'on sème les os tout autour du
visage,
Survivant sur le lac balafré par les
carpes.
Dans ce jardin secret poussent des
immortelles,
Des fleurs domestiquées au parfum
synthétique,
Cultivées pour nourrir des vies artificielles,
Fertiliser en vain les âmes
désertiques.
On ne capture pas le serpent
indomptable,
Le reflet sur le lac ou le parfum du
temps
Les fleurs immortelles plantées au
matin blanc,
Se suicident toujours et meurent
loin du sable.
Chapitre
5: La reddition des heures
Ainsi s'en va le fil long et mince
du temps,
Par l'aiguille acérée d'un odieux
tisserand,
Tiré toujours plus loin et toujours
plus fragile,
L'aveugle couturier déploie ses
mains agiles.
A travers les vertèbres de
lendemains brodés,
Pique la moelle rouge et tache la
dentelle,
Le corset de nos heures est de sang
maculé
La mort aguicheuse porte sa
jarretelle.
Autour du fémur blanc de la
faucheuse nue,
S'enroulent les soies bleues des
futurs révolus,
Le rouet infernal dans sa valse sans
fin
Découd infiniment les heures de
satin.
En tirant sur le fil, sur la ligne
de fuite,
On porte a ses pieds horizons et
falaises,
Derrière le tableau, perspective
détruite,
Le néant se prélasse, le vide
s'apaise.
Les heures égorgées se vident de
leur sang,
Implosent et s’évaporent au bout de
notre temps,
Dans ces vastes abysses que l'ennui
a creusés,
Le long du gouffre noir marchent les
condamnées.
Après ce dernier cap, les dieux ne
savent rien,
Quand le temps s'est enfui, heures
mortes enfin,
Tristement crucifiées, par ce fil
tenues,
Expirent un parfum trop longtemps
retenu.
Il faut entendre alors ce chant des
heures sombres,
Le ressentir plutôt, car le temps
mort se tait,
Les heures se confessent expiant en
nombre
Les trahisons sucrées dont elles se
gavaient.
Les cantiques se noient quand finit
le rivage,
Car le temps des remords lui aussi
prend de l'âge,
Au cœur de mon cœur noir je ris des
confessions,
Dentelles expiatoires et vaines
professions.
Quand l'aiguille acérée transperce
le miroir,
Et que le fil d'acier étrangle le
serpent,
Heures démissionnaires et années
dérisoires,
Se pressent au gibet, les bourreaux
suppliant.
Dans cette gravité qui écrase le
temps,
A la fin du calvaire des heures
torturées,
Des vertèbres légères emplissent le
néant,
Et la nuque transpire l'immortalité.
Chapitre
6 : Degenesis.
A l’ombre de la mort où l’espace et
le temps
Dans un tombeau ouvert dorment
depuis longtemps,
Un calme diluvien règne sur
l’existence,
Et sur la création s’abat l’empire
des sens.
Quand au bout des choses on fait un
pas de plus,
Ne s’ouvre qu’un tunnel où sonne
l’angélus.
Le serpent s’y engouffre comme un
train de nuit,
Vertèbres orphelines, étranges
wagons-lits.
Partant vers le départ, vers le
point d’origine,
Convoi mystérieux de voyageurs nus,
L’ultime strip-tease des âmes
libertines,
Les conduit vers le temps où le
monde n’est plus.
Dieu jardinier, Dieu couturier,
paysagiste,
Ton œuvre à rebours lentement
défleurit,
Et au pays d’Adam un roi
minimaliste,
Efface la genèse que tu accomplis.
Forêts déshabillées se font foules
de troncs,
Animaux identiques, fleurs à
l’unisson,
Heures géométriques à deux
dimensions,
Mesures anarchiques, vecteurs sans
directions.
Au bout de ce tunnel désinitiatique,
Comment vêtiras-tu tes jouets
mécaniques,
Mannequins d’os et d’or, fantômes de
l’Eden,
Quel liquide nouveau coulera dans
leurs veines ?
Narcisses sans visage fixant
l’horizon,
Et portraits sans âge cherchant une
maison,
Rues et ports dépeuplés, attendant
l’invasion,
Heures désincarnées tournant à
l’obsession.
Dieu jardinier, Dieu couturier,
dessinateur,
Comment repeindras-tu ce monde
effacé,
Par le temps, par l’alcool, par la
mort de ta sœur,
Sauras-tu te passer de ce style
pompier ?
A la gare d’arrivée, tout au bout du
tunnel,
Que n’auront traversé que choses
immortelles,
Reconnaitras-tu le serpent
transfiguré,
Et te souviendras-tu du parfum
oublié ?
Quand à l’aube nouvelle le soleil
renaîtra,
Les arbres vertébraux perceront le
ciel bas,
Le serpent portera une peau de
dentelle,
Diffusant le subtil parfum des
immortelles.
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