D’un monde flasque à l’inertie fainéante s’élève des nuits durant des ronronnements rauques. Il roule lentement dans une nuit pénible, comme roulent les ivrognes le long d’un caniveau. De ce sommeil besogneux montent des longues plaintes, des vapeurs de tortures soufrées et grasses qui expirent par les pores de ce monde fiévreux. Ce sommeil punitif est une thérapie, une peine infligée pour sa propre survie, comme on assommerait un homme dangereux, avant de le droguer pour le neutraliser. De ces sommeils que l’on subit, à quelques pilules de la douleur, ne restent en général que quelques hallucinations torturées, et sur les draps froissés quelques auréoles de sueurs froides. Ainsi glissait le monde, placide dans sa chute libre, s’abîmant avec délectation dans une déchéance douce, édulcorée de morphine.
A sa surface s’agitent inutilement des funambules hagards. Leurs yeux vides sont pleins d’insolentes convictions, d’opulentes aberrations obstruant leur vision. En plein devant eux, vulgaire, la conviction d’être important, et la certitude d’avoir un rôle à jouer. La conviction d’exister par le sens du devoir, d’avoir un destin, de ne pas être insignifiant. Chaque matin ils font quelques pas, et le soir, quand la lumière décline, ils parcourent à nouveau à reculon ces quelques pauvres mètres. Ainsi leur vie oscille, inlassablement, au gré du flux et du reflux de leur ambition et de leur contentement. Lorsque la mort approche, ralentit ce pendule. Et puis elle le saisit, excédée par la vacuité de cette agitation, et le fige à jamais dans la glue l’oubli.
Une main devant les yeux, ils décrivent, de leur voix bien trop forte, avec aplomb le monde qu’ils ne voient pas. Tapissant de miroirs les murs de leur vie, se croyant orateurs, ils sont analphabètes.
Mais toi ne t’en fais pas, laisse dormir le monde. Je te croise souvent derrière le décor. tu y marches avec prudence, tu ne rêves pas. Nous partageons les heures sombres loin des projecteurs. Tu tires quelques ficelles parmi ces lourds pantins, une main se lève, une tête se tourne. Mais les yeux sont vitreux et la main est froide. Ton affection encore trébuche sur un mannequin, et depuis les coulisses tu écoutes parfois les déclarations que te font les souffleurs. Leur livret à la main, ils récitent des promesses qui vont mourir plus loin dans la salle endormie, et toi assise en tailleurs sur quelque haut parleur, tu t’enivres.
Les somnambules ce soir sont tous au cinéma, prisonniers des fauteuil et se gavant d’images. On projette sur leurs paupières des films caloriques qui peinent à combler leur famine d’idées. Bercés par les clichés ils plongent boulimiques dans leurs fantasmes gras. Condamnés sans clémence ils sont à perpétuité des spectateurs éteints.
Mais toi ne t’en fais pas, laisse dormir le monde, derrière la camera, tu peins la vie des autres. Tu cueilles le présent et l’arranges en bouquets. Tu découpes et tu colles les images du réel et soudain sur ta toile apparaît le futur. Des nuits durant tu inventes des aubes possibles, et j’attends chaque matin de découvrir fébrile celle qui fleurira ce jour. Tu caresses l’écran, où se cognent les sots, bernés par l’illusion, et tu les vois tomber, adossée à ce mur qu’ils prennent pour l’horizon. Alors de ta poche tu sors un crayon et sur l’écran tu traces des fenêtres et des portes. Les foules s’y engouffrent, ainsi va le monde, de gouffres en abysses.
Le monde au téléphone laisse des messages impersonnels. Des répondeurs égrainent des mots solitaires qui se noient dans un bruit vague. Ils se moquent des phrases, fiers d’avoir parlé, et se rendorment heureux. Des mots pris par poignées qu’on se jette à l’oreille, comme les enfants se jettent, sur la plage du sable. S’imaginent ils vraiment que des pierres, balancées au hasard s’arrangement harmonieusement en monuments grandioses ? Un à un ils se lèvent, frappés par une idée, et répètent très fort ce qu’ils viennent d’entendre. Les boites vocales affamées se taisent, murées dans le silence. D’autres encore se pendent.
Mais toi ne t’en fais pas, laisse dormir le monde. Et tu tiens dans la main les bandes magnétiques, où viennent expirer ces mots avortés. A travers le plastique transparent de la cassette, tu scrutes les idées. Un à un tu les décolles, tu prends les sons, les mots, les notes, et tu couds lentement des histoires humaines. Seule dans le silence, tu perçois des accords, de lentes mélodies. Tu te balances lentement sur ces cordes sonores, funambule sur l’harmonie tu progresses à pas mesurés. Et peu à peu tu prends confiance, prenant conscience aussi de la fragilité de ton bonheur, de l’improbabilité de ta chance.
Mais la nuit dure encore et pour combien de temps ? Dans le silence, dans la pénombre des coulisses, nous nous regardons calmement, enveloppés par les odeurs douces des nuits d’été.
Bientôt une lumière tranchante fendra les paupières de ce monde endormi. Regretterons nous alors ces instants irréels, où nous vivions ensemble dans un monde qui dort ?
dimanche 30 mai 2010
lundi 10 mai 2010
Sur les cendres...
Sur les cendres…
Quelques guerriers hagards marchent les yeux dissous
Sur les ruines fumantes où meurent leurs combats.
De corps inhabités s’échappent en souffles mous
Les odeurs venimeuses de souvenirs ingrats.
Les brumes du passé capturent la lumière
Et les guerriers sans but avancent dans le noir.
Avec le dernier corps tombe aussi le soir,
En un long crépuscule agonise la guerre.
Le corps en rédemption, tremblant de quelque fièvre,
Semble avoir absorbé le chaos des batailles.
De folles rébellions grondent dans les entailles
Qui parcourent les peaux de ces soldats en trève.
Ils marchent sans raison comme ces canards sans tête,
Dans une obstination machinale et abstraite.
La paix sans préavis s’est saisie sans pitié
Des obscures promesses à la guerre chantées.
Les cendres doucement se déposent au sol.
Au cœur des cuirasses tiédit la fièvre folle.
Alors reprend en eux le tambour infernal,
La danse des guerriers, la triste bacchanale.
Sur un rêve achevé s’ouvrent quelques paupières,
L’aube s’est libérée de son drap de poussière.
L’horizon devant eux s’érode sous le vent,
Le futur s’évapore sous le soleil ardent.
Les ruines les plus laides se cachent au fond d’eux
Les vrais champs de bataille sont leurs cœurs balafrés.
Sur les landes blessées, suintant un sang haineux,
Le jour nouveau apporte des aubes délavées.
Quelques guerriers hagards marchent les yeux dissous
Sur les ruines fumantes où meurent leurs combats.
De corps inhabités s’échappent en souffles mous
Les odeurs venimeuses de souvenirs ingrats.
Les brumes du passé capturent la lumière
Et les guerriers sans but avancent dans le noir.
Avec le dernier corps tombe aussi le soir,
En un long crépuscule agonise la guerre.
Le corps en rédemption, tremblant de quelque fièvre,
Semble avoir absorbé le chaos des batailles.
De folles rébellions grondent dans les entailles
Qui parcourent les peaux de ces soldats en trève.
Ils marchent sans raison comme ces canards sans tête,
Dans une obstination machinale et abstraite.
La paix sans préavis s’est saisie sans pitié
Des obscures promesses à la guerre chantées.
Les cendres doucement se déposent au sol.
Au cœur des cuirasses tiédit la fièvre folle.
Alors reprend en eux le tambour infernal,
La danse des guerriers, la triste bacchanale.
Sur un rêve achevé s’ouvrent quelques paupières,
L’aube s’est libérée de son drap de poussière.
L’horizon devant eux s’érode sous le vent,
Le futur s’évapore sous le soleil ardent.
Les ruines les plus laides se cachent au fond d’eux
Les vrais champs de bataille sont leurs cœurs balafrés.
Sur les landes blessées, suintant un sang haineux,
Le jour nouveau apporte des aubes délavées.
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