mardi 30 novembre 2010

Papiers absorbants

Il est sur mon bureau des monceaux de papier
Un encrier à sec, des plumes émoussées,
Un candélabre mort et maculé de suie,
Et des bouteilles vides éventrées par la nuit.

Je erre dans ce décor naïf et affligeant,
Maudissant la blancheur des feuilles empilées,
Et la virginité de ma main timorée,
Qui tremble en caressant l’idée d’un sentiment.

Et cette nuit pourtant j’ai rêvé de débauche,
D’excès et d’opulence, de lettres passionnées.
Mais cette nuit encore mon poignet fut gauche
Et rien ne vint souiller ces innocents papiers.

Il est dans mon esprit tant de mots et d’idées
Des sentiments aussi, et qui meurent étouffés.
Comme tout y sonne bien ! J’aimerais te les dire…
Mais je reste muet et je tremble d’écrire.

Dans le délire niais de mes sommeils troublés,
Je prends pourtant la plume et je noircis des pages,
De sonnets merveilleux où ton nom vient rimer,
Et d’épîtres brillants où je loue ton visage.

Mais au matin les lignes se sont effacées,
Et la raison censure mes pauvres arabesques.
Je vois le ridicule de mes idées grotesques,
Et j’accouche à nouveau d’un chef d’œuvre mort-né.

L’homme que je ne suis plus, dès que j’ouvre les yeux,
Me juge, me condamne à un destin honteux.
Ton regard devrait lire ces mots que j’ai rêvés,
Mais mes doigts maladroits ne savent les tracer.


Lorsque sur le papier, fiévreux, je m’aventure,
S’accumulent bientôt lourdeurs et ratures.
D’un sentiment gracieux je bâcle le portrait,
Et mes banalités en corrompent les traits.

Alors pour vous mon ange je me compromets,
Je range au fond de moi mon honneur désuet,
Et je publie ces vers dépourvus de hauteur,
Car le silence me tue, bien plus que mes erreurs.

Ces amours légendaires, au matin avortées,
Mes yeux, mes mains, mon corps, sauront te les conter,
Et l’amant éloquent que je m’efforce d’être
Te fera oublier l’absence de mes lettres.

Il faudrait un génie pour honorer ma tâche,
Et pour te mériter, mais mon talent est lâche.
Je n’ai pas de génie pour te parler de nous,
Je ne suis qu’amoureux, mais un amoureux fou.

jeudi 4 novembre 2010

C’est à cette heure là que tu rentres ?

Pour le petit Gregory, dont le papa est rentré un peu tard l’autre soir.

23h30. Dans une maison vide, dans un fauteuil profond, un jeune homme suit des yeux les aiguilles de l’horloge. Il porte les chaussons de son père, et tient entre ses doigts un cigare éteint. Sur le guéridon, la carafe où dort un vieux whisky diffuse des reflets ambrés. A ses pieds son chien, endormi sous la table.
Pour passer le temps il s’amuse à inverser la scène. Le chien fumant le cigare, charentaises aux pattes, et lui en boule sous la table, rongeant un os. Il essaiera peut être, plus tard, lorsque la carafe sera vide. En attendant il tortille nerveusement le cigare, respirant son odeur, la rejetant dans un soupir nerveux. Il grille parfois une allumette, l’approche du cigare et change d’avis, et regarde la flamme s’éteindre en lui brûlant les doigts.

23h45. La porte s’ouvre timidement. A ce faible bruit, les yeux du fils s’écarquillent. Il ne bouge pas du fauteuil pour autant. Le père entre discrètement, s’efforçant de ne pas se faire remarquer. Il passe derrière son fils, qui lui tourne le dos dans son fauteuil, espérant que celui-ci s’est assoupi. Il fixe le fauteuil du regard en traversant le salon, longeant le mur du fond. Quelques mètres encore le séparent de la porte de sa chambre. Alors qu’il tend le bras vers la poignée, une voix sévère retentit derrière le fauteuil.

- Papa !
- Heu… Oui ?
- C’est à cette heure là que tu rentres ? Et tu pensais en plus que je ne m’en rendrais pas compte ?
- Je fais ça souvent et la plus part du temps tu t’en rends pas compte…
- Que tu crois Papa, que tu crois !
- Qu’est-ce que ça change de toute façon ? Que tu dormes ou pas je serais rentré à la même heure.
- C’est la valeur que tu donnes à mes nuits d’inquiétude ? C’est ma récompense? L’indifférence, l’ingratitude? Tu sais Papa, à vingt ans les nuits blanches ne sont pas plus agréables qu’à cinquante.
- Tu es quand même plus entraîné que moi… t’es pas le dernier à faire la fête !
- J’ai l’air de faire la bringue là ? Tu confonds les nuits blanches et les insomnies… à ton âge tu devrais faire la différence !
- Ben alors désolé. Je vais aller me coucher je suis super crevé. Ces derniers jours étaient un peu déments.
- Pas si vite mon cher ami. Prenez donc le temps de vous asseoir, je me ferai un plaisir de vous offrir un dernier verre. Une telle escapade mérite bien un petit after non ?
- J’ai vraiment pas très envie maintenant… J’ai encore la tête qui tourne.
- Je ne t’obligerai pas à boire Papa. Mais toi et moi il faut qu’on parle un peu.
- Laisse moi aller dormir maintenant…
- Tu ne penses qu’à ton confort ! Sous prétexte que tu as passé 50 ans tu te crois tout permis, tu penses que tu as le droit de partir comme ça sans prévenir ?
- Je suis plus un gamin non plus…
- T’es encore sous notre toit papa, et tu as des devoirs. Et je te rappelle que c’est encore moi qui paye ta retraite, et que ça va être comme ça pour les 40 prochaines années au moins. Alors à ta place je ne ferais pas de zèle. Et sans tes excès dans les années 70 on en serait peut être pas là financièrement. Alors la moindre des reconnaissances ce serait peut être d’être présent, pour nous. Un peu plus longtemps.
- Mais le père du voisin, il est parti depuis longtemps, et il est plus jeune que moi!
- Oui le père du voisin ! Tu parles d’un exemple. Si tu prends exemple sur des types comme lui tu vas pas aller loin !
- C’est pas juste lui, dans le club de vélo il y en a plein qui passent leur temps en dehors de chez eux, et rien que cette année il y en a 2 qui sont partis encore. Et leur femme et leurs enfants ils les laissent tranquilles.
- Une bande d’alcolos qui picolent encore plus que moi, tu parles d’un modèle ! C’est ça qui te fait rêver ? Faut changer de références Papa. Je vais te présenter des gens fréquentables moi. Et qui savent apprécier la vie.
- Même mon père à mon âge il était déjà parti d’abord.
- Ah oui ? C’était il y a 30 ans. Je crois bien que les temps ont changé depuis.
- Les temps changent toujours dans le sens qui t’arrange…
- Et ta mère ?
- Le langage de djeuns j’y crois pas…
- Ne réponds pas comme ça à ton fils ! Et ta mère, et toi-même, ça vous rendait heureux peut être quand il partait comme ça, si longtemps ? Et vous n’aviez pas de nouvelles… Et il a fini par se casser, et il est pas revenu… Tu ne te souviens pas des soirées de veillée à attendre des nouvelles ? C’est ça que tu souhaites pour ton fils maintenant?
- C’est comme ça, c’est du passé, on y changera rien. Ca sert à quoi de resservir des vieilles histoires comme ça ? C’est pathétique.
- Mais l’histoire se répète, sans cesse. La vie des hommes a toujours la même gueule. Le même début, la même fin… Mais pourquoi refaire les mêmes conneries ?
- C’est pas des conn…
- Et je vais dire quoi au fils du voisin moi ? Ca fait 15 ans que je lui balance que mon papa est un super héros, que le sien vaut rien à côté… Il va me faire passer pour un gros mytho dans le quartier si tu continues à te casser comme ça, et si tu disparais du jour au lendemain.
- Ben oui ça c’est un vrai problème fiston… mais fallait pas y raconter des salades au morveux d’en face non plus.
- Le pire c’est que j’ai presque pas eu à lui en raconter pour lui faire croire que tu étais un super héros…
- Ben oui mais son père est un vaurien… forcément c’était plus facile
- Son père était un vaurien, mais si tu continues comme ça tu vas pas tarder à lui faire de la compétition !
- Oui ben ça va quand même là ! C’est la vie aussi ! C’est pas parcequ’on s’absente un peu qu’on est un looser. Ca arrive à tout le monde.
- Personne n’est à l’abri d’une connerie. T’as le droit de planter, et j’ai le droit de t’engueuler aussi. Bon et c’est quoi ces papiers là, encore une convocation ?
- Non fiston, c’est mes résultats
- Tes résultats ? Fais voir. J’ai presque peur de regarder maintenant… Si c’était brillant tu serais pas resté si longtemps là bas.
- Ben regarde, tu verras. De toute façon que tu regardes ou pas les résultats seront les mêmes.
- Ah ouais ? Peut être que si je regarde l’enveloppe encore 20 minutes en grognant, les résultats vont s’améliorer non ? Tu faisais ça avec mes bulletins de note…
- Oui… l’efficacité était en général limitée…
- Bon alors j’y vais. De toute façon au point où on en est.

Le fils ouvre l’enveloppe en soupirant, la main sur le front, avec une intensité dramatique exagérée. Son il rend son expression caricaturale pour masquer son inquiétude réelle, et sa main essuie les gouttes qui coulent sur ses tempes. Ses yeux parcourent frénétiquement les lignes noires. Il pose le papier sur la table basse, soupire, lève les yeux vers son père.

- Bon, je m’attendais à pire Papa. Il y a du mieux par rapport à la dernière fois non ?
- Ben on m’a dit de poursuivre mes efforts. C’est pas encore top mais bon…
- Oui ça je peux le voir merci, tu seras pas encore au tableau d’honneur… t’es à nouveau convoqué la semaine prochaine ?
- Oui j’y retourne avec le chef du département cette fois ci.
- J’espère qu’il saura te prendre en main celui-ci… il y en a tellement qui ont essayé. T’es un terrible tu sais !
- Ben il a l’air d’avoir pas mal d’espoir pour mon cas…
- Puissent ses espoirs se concrétiser… je suis plutôt fier de toi en tous cas Papa, tu as fait des efforts.
Il referme l’enveloppe et la rend à son père.
- Je te laisse la ranger avec le reste de ton dossier médical… J’espère que c’est un des derniers que je lis.
- Ben j’espère aussi, mais tu sais bien qu’il y en aura d’autres. Et que je devrai repartir. Et plus longtemps, et plus souvent…
- Oui enfin pour ce genre de conneries le plus tard sera le mieux. Qu’est-ce qui est si formidable là bas pour que tout le monde y finisse? Raconte moi ça m’intéresse ! J’espère au moins que tu prends ton pied pendant que je me fais ce sang d’encre dans mon fauteuil! Dis moi ce qu’on te donne là bas que t’as pas ici !
- Ben pas grand…
- C’est les produits qu’ils te filent ? J’espère que tu prends pas des trucs dangereux… qu’est-ce qu’ils te refilent les gens là bas ? Il y a tellement de saloperies qui circulent dans les hôpitaux… Tu regardes bien ce qu’ils te filent hein ?
- Non fiston te bile pas ils savent ce qu’ils me donnent…
- Ah oui ? Alors tu planes bien là bas ? Tu tripes c’est ça ? C’est pour ça que t’y retournes ?
- Des fois c’est pas mal mais…
- C’est les filles peut être ? Ils t’envoient des infirmières sexy c’est ça ? J’en étais sûr…C’est des infirmières en mini jupes qui te font des piqûres de morphines. Que veux-tu que je fasse contre ça moi…
- Il n’y a pas que ça…
- Remarque dit comme ça c’est plutôt sympa le cancer, je vais peut être m’en trouver un. Tu m’emmènes la prochaine fois ?
- Nan mais n’importe quoi t’as pas du tout, du tout l’âge !
- Comment ça, il y a un âge pour être branché ?
- Ben je crois oui. Et il y a cinq minutes tu me disais qu’il valait mieux pas refaire les conneries ancestrales… Alors ça serait peut être mieux que tu restes un peu sage. Si tout le monde pète les plombs en même temps ici, Maman va peut être pas apprécier…
- C’est sûr… d’un autre côté, c’est elle qui a montré l’exemple… C’est elle qui a déconné en premier.
- Alors tu vois j’avais un bon exemple sous les yeux !
- Nan nan Papa tu vas pas t’en tirer comme ça. Tu sais très bien que quand maman est partie elle t’a dit gentiment de lui foutre la paix pour un très long moment, et de la rejoindre aussi tard que possible. Oui tu la suivais partout, mais là bas tu peux la laisser tranquille, elle a tout ce qu’elle veut sur place.
- Ben oui mais elle me manque…
- T’inquiète, elle va rester là bas super longtemps, même si t’attends 20 ans pour la rejoindre t’auras un beau bout d’éternité à partager avec elle. Relativise un peu quoi. T’es pas le centre du monde. Merde, pourquoi faut que vous soyez si impatients à votre âge ?
- On fait ce qu’on peut fiston, chacun fait ce qu’il peut. Dans la vie faut savoir partir, et faut aussi savoir laisser partir.
- Il faut aussi penser à ceux qui restent…
- Tu crois que ça m’amuse de te laisser là ? Quand t’étais gamin ça me faisait mal au bide de te laisser le matin pour aller bosser. Faut se dire qu’on fait des choix, qu’on fait de son mieux, et que pour le reste, on a pas le choix. Alors quand on a pas le choix on a rien à regretter… On a pas de raison d’être en colère…
- Oh si, il y a plein de raisons ! Enfin non, peut être qu’il n’y a pas de raison, mais j’en ai rien à cirer ! En novembre il fait un temps pourri, et la nuit tombe plus vite. C’est chaque année, c’est irrémédiable, c’est la vie. Et pourtant ça fait chier gravement, et on se plaint, et on se serre les coudes et on se tient chaud jusqu’au printemps… Alors oui, je me plains que ce soit l’automne, et j’ai le droit !
- C’est con, mais je suis plutôt heureux que ça te foute en rogne… ça veut dire qu’on a au moins passé un bel été ensemble. Ce serait triste si on pouvait laisser le passé derrière soi comme ça, sans qu’il nous manque un peu.
- Facile à dire pour toi t’as encore le sang gorgé de psychotropes… Moi aussi si j’avais des infirmières en mini jupes pour prendre ma température, et des drogues en libre service, j’aurais des pensées positives sur la maladie !
- Patiente un peu fiston… Les antalgiques puissants sont un des rares privilèges des malades et des vieux ! Laisse leur donc ça encore quelques années. Contente toi du sexe. Je t’assure la morphine c’est pas beaucoup mieux. Tu as tout le reste. T’es beau, fort, intelligent, couillon comme pas deux…
- J’ai un père qui fait les 400 coups à l’hôpital, qui s’en va sans prévenir, et qui rentre de plus en plus tard, et dont les résultats sont encore plus que médiocres…
- Oui mais ce soir il est rentré. Alors pourquoi on passerait ce temps là à se prendre la tête ?
- Tu as raison. On devrait plutôt fêter ça…
- Voilà ! Allez partage un peu mon whisky veux-tu ?
- Haha ! Non Papa, toi tu vas te coucher maintenant ! Tu as besoin de repos, tu es en pleine croissance.

Le père soupire et tourne les talons, les épaules basses. Il retourne vers sa chambre en grommelant…

- Couillon !
- J’ai parfaitement entendu papa ! ».