dimanche 29 mars 2020

Vestiges du vertige

Vestiges du vertige


Personne ne s'attend à rencontrer un jour,
Au détour d'un hasard, un animal sauvage.
A croiser tout à coup un tigre de velours,
Un amour monstrueux, un si doux esclavage.

Alors mille fléaux s'abattent tous ensemble,
Et autant de trésors pleuvent sur notre vie.
Et la bête féroce en tous points nous ressemble,
Et chante en un souffle nos peurs et nos envies.

Alors nous nous lançons, croyant avoir le choix,
Sur le chemin noueux que pointent nos instincts,
Quand nous escaladons, la chute nous échoit,
Nous tombons amoureux jusqu'au fond du destin.

La peau fait désertion, et l'âme nue frissonne,
Pour ceux qui ont mené ces guerres éperdues
L'instant le plus ténu survit en nous, résonne,
L'infinie profondeur du vertige perdu.

Notre cœur est au chaud dans la gueule du tigre,
Personne n'eût rêvé pour lui plus bel écrin,
Le jeune amant embrasse le danger qu'il dénigre,
S'enivre goulûment du poison qu'il ne craint.

Déjà vous questionnez, et vous avez raison,
La sanité psychique de l'autodestructeur,
Du garçon romantique qui en toute saison,
Se brûle au feu noir d'un soleil séducteur.

Pourtant chacun sa bourse, chacun son commerce,
Et les trésors de l'un sont les misères de l'autre.
Ainsi ceux qui chérissent l'arme qui les transperce,
Ont d'autres religions, et leurs propres apôtres.

La peau fait désertion, et l'âme nue frissonne,
Pour ceux qui ont mené ces guerres éperdues
L'instant le plus ténu survit en nous, résonne,
L'infinie profondeur du vertige perdu.

Comment finit le tigre ? Il nous dévore, il meurt ?
Dans les deux cas je suis voué à l'agonie,
Mais j'aurai tant vécu, et si rien ne demeure,
Jamais je ne craindrai votre monotonie.

Car le tigre me suit, ou lui ou son fantôme,
A chacun de mes pas, je l'entends me rugir :
« J'ai aimé follement chacun de tes atomes,
Le souvenir de toi me fait encore rougir. »

Moi qui ai tout perdu, par ma faute peut-être,
Je suis riche de toi, je garde ce prestige,
Je porte le fardeau, l'extase de connaître
La vie à l'état pur, vestige d'un vertige.

mardi 24 mars 2020

Valse Mascara

Valse Mascara


Le grand bal des débutants
Ouvre ses portes rouillées,
A ses enfants hésitants,
A l'innocence souillée.

Les deux armées se font faces,
Couleur contre noir et blanc,
L'amour, l'amitié s'effacent,
Filles fières, garçons tremblants.

Du haut d'une crinoline,
Tenu par sa mitraillette,
Entre nous la gazoline,
Et notre genre : l'allumette.

Valse Mascara, temps de transparence,
Entre dans la danse, tu démasqueras,
L'être disparu sous les apparences,
Les genres séparés, les genres d'apparat,

La valse qui s'évapore,
Aux accords inflammables,
Mélange âmes et corps,
En tourbillon insatiable.

Les robes qui les enrobent,
Cravates et nœuds cravachent,
Les talons qui se dérobent,
Les artifices s'arrachent.

Vite les têtes tournent,
Coulent sueurs printanières,
Les hormones détournent,
Le genre dans sa tanière.

Valse Mascara, temps de transparence,
Entre dans la danse, tu démasqueras,
L'être disparu sous les apparences,
Les genres séparés, les genres d'apparat,

Gabriel prend ses deux ailes
De sequin sous sa chemise,
Perdu sur l'île malgré elle,
Vole vers l'alter promise.

Elle a déjà franchi le Styx,
Mille fois ressuscitée,
Sa souffrance , son préfixe :
Les questions qu'elle a suscitées.

Entrée zone no smoking,
Le bal devient explosif.
Embrasse moi ! I'm joking...
Amour de genre exclusif.

Valse Mascara, temps de transparence,
Entre dans la danse, tu démasqueras,
L'être disparu sous les apparences,
Les genres séparés, les genres d'apparat,

Tournez, changez de rôle, valseurs,
Vous accélérez le temps,
Changez les frères en sœurs,
Les princesses en sultans.

Quittez le bal éperdus,
Allégés des artifices,
Chantez les pronoms perdus,
Mélangez filles et fils.

Soyez Valse Mascara,
Pour qu'enfin honte fonde !
Épargnez vous l'embarras :
Aimez qu'on vous confonde.

dimanche 22 mars 2020

Lie nos sens

Lie nos sens...


Il fallut traverser des années de conscience,
S'abstenir de signer tous ces autoportraits,
Il fallut effacer les versets par la science,
Pour que la diable enfin relâche cet attrait.

Il est des mots trop crus érigés en barreaux,
Qui résistent au temps mieux que les souvenirs.
Nos mots ou ceux des autres, qu'importe le bourreau,
Qui font un sacerdoce de nos devenirs.

Les regards pollués lient nos poings, lient nos sens,
Flétrissent nous sourires, font taire l'innocence,
La main enfin tendue lit nos vies, lit nos sens,
Souffle sur la poussière tombée sur l'innocence.

Et nos âmes proches qui prétendent aimer,
Qui s'appellent famille au nom de liens du sang,
Torturent, légitimes, les enfants enfermés,
De leur semblant d'amour : ils grandiraient mieux sans.

Au nom de mille dieux nous faisons pénitence.
Notre terre promise, notre peau de chagrin,
Où pousse les bons jours notre maigre pitance,
Nous nous y cultivons, nous autres mauvais grains.

Il nous faut résister au bord d'une falaise,
Au grand vent, au vertige d'un passé volé,
Vos tendres souvenirs sont nos profonds malaises,
Et nombre d'entre nous préfèrent s'envoler.

Les regards pollués lient nos poings, lient nos sens,
Flétrissent nous sourires, font taire l'innocence,
La main enfin tendue lit nos vies, lit nos sens,
Souffle sur la poussière tombée sur l'innocence.

Pourtant les jours de pluie, nous nous tenons la main,
Et quand le ciel dilue notre perpétuité,
Nos sourires fleurissent et les futurs sont maints,
Nous flottons au dessus de votre vacuité.

Peut être un jour prochain si nous sommes indulgents,
Et si nous pardonnons mieux que vous l'avez fait,
Nous vous enseignerons à aimer l'indigent,
A vous échapper de votre monde surfait.

mercredi 18 mars 2020

Le jardin possible

Le jardin possible


Poussons les ronces, les barreaux,
Les chardons, orties et chimères,
Soyons fugitifs ou marauds,
Cueillons le jardin éphémère.

Juste derrière la broussaille
Qui couvre l’œil trop éveillé,
Très vite, avant qu'il ne s'en aille,
Égarons nous, émerveillés.

Ne nomme pas trop tôt la fleur
Que tu pourrais y rencontrer,
Ce nouveau monde est le leur,
Le mot se meurt en ces contrées.

Tu saisis et tu analyses,
Et plus tu cueilles, plus tu perds,
Ta connaissance banalise
La poésie qui s'y opère.

Les corolles sont musicales
Et l'horizon lent se balance,
Les couleurs déferlent, bancales,
Les prés bleutés sont de faïence.

Ton esprit doute, déconstruit,
Il sent, écoute, interroge.
Oublie la menace d'autrui,
Ici seule ta voix déroge.

Bois et apprends de l'irréel,
Tes mots ne sont que les frontières,
D'un univers spirituel,
Qui couple demain à hier.

Et comme tant d'autres perdus,
Apprends à rêver des chemins,
Et cours toujours, cours éperdu,
Dans ces éléments inhumains.

Tu es étranger au futur,
Étranger au passé aussi,
Un visiteur en aventure,
Qui connaît maintenant, ici.

La vie est un jardin possible,
Nous attendons ses floraisons,
Ses fruits sucrés imprévisibles,
Et nous chantons ses oraisons.

Arrête-toi un jour, inspire,
Debout sur le pas de la porte,
Attends le meilleur ou le pire,
Suis le vent, le jardin t'emporte.

dimanche 15 mars 2020

Mécanismes de séductions : le crépuscule des machines.

Mécanismes de séductions : le crépuscule des machines.


Une main sur la manivelle,
Un doigt pressé sur les boutons,
On détruit, on renouvelle,
Et rejoue un autre jeton.

Les pistons régissent le jeu,
Pompent et crachent en silence,
Pour la machine pas d'enjeu,
Je prends un homme, je balance.

La chaleur des talons
Fait fondre le bitume,
Mangeuse d'étalons
Dont j'oublie l'amertume.

La sueur de la nuit s'échappe des égouts,
Maculant de soupirs la décence nocturne.
Machine d'agonie nourrie des bouches, des goûts,
Après les fumées noires : le froid, la cendre, l'urne.

Les dents parcourent, affûtées,
Des orbites bien dessinés,
Avalent les maux réfutés
D'une main d’œuvre calcinée.

Les engrenages dentelés,
Dentelles dont elle est parée,
A la machine attelée,
Fulminent sourds, désemparés.

C'est un vieux cheval épuisé,
Tirant des tonnes d'inepties,
Il suffoque, vous conduisez,
En attendant son autopsie.

La sueur de la nuit s'échappe des égouts,
Maculant de soupirs la décence nocturne.
Machine d'agonie nourrie des bouches, des goûts,
Après les fumées noires : le froid, la cendre, l'urne.

Mais les liens de cuir sont usés,
Et la bête devient fiévreuse.
Les courroies dont vous abusez
Sautent dans la machine creuse.

Et le charbon vient à manquer,
L'ogre de rouille affamé
Détruit l'enfer alambiqué
D'un au delà trop mal famé.

Et peu à peu l'humain s'extirpe
D'entrailles dont il se croit né,
Irrigue peu à peu ses tripes,
Du sang chaud de sa destinée.

La sueur de la nuit s'échappe des égouts,
Maculant de soupirs la décence nocturne.
Machine d'agonie nourrie des bouches, des goûts,
Après les fumées noires : le froid, la cendre, l'urne.

Un givre fin qui s'épaissit,
Recouvre l'usine de glace,
Alors que marchent des messies,
Nus dans la nuit qui les enlace.

La chaleur a changé de camp,
Le fer lassé d'être battu,
Ne rougit plus de ses volcans,
Ne se dresse plus en statues.

Mille machines implacables
S'emballent, fument et fracassent,
De sang, de muscles, indomptable,
La femme vit, sans carapace.

samedi 14 mars 2020

Le prisme du corps

Le prisme du corps


Parlons de l'oublié de la philosophie,
Du tabou des apôtres et des moralistes :
La chaire que l'esprit condamne à l'atrophie,
Et la mort annoncée des transcendantalistes.

Restreignons l'analyse à nous autres vivants,
Et définissons nous comme humbles autocrates,
D'un empire de peau, de fluides clivants :
Sans organe, sans os, il n'est plus de Socrate.

Nous voici citoyens de mille carapaces,
Qui, Dieu nous en fit grâce, sont murs translucides.
Ainsi nous observons de nos yeux de rapaces,
Mais le corps entier voit pour nous rendre lucides !

Et ces masses de chaires, splendides poétesses,
Savent en une fièvre repeindre le monde,
Nous convaincre du pire avec délicatesse,
Ou changer les aimés en chimères immondes.

Quand nous nous évadons et croyons réfléchir,
Les fantômes toujours de sensations passées,
Caressent nos esprits et viennent infléchir
Nos idées, nos songes : tout est cadenassé.

Dans nos prisons de peau, attendons nous la mort ?
Que dit la maladie couchée nue sur nos lits ?
Pourrons nous dans la tombe dire tous nos remords ?
Le temps du corps est là, qui nous réconcilie.

Voyons changer la rue au gré de nos symptômes,
Les nuages soudain se figent, accélèrent,
Sous les combinaisons de nos propres atomes,
Naissent au même instant orgasmes ou colères.

Sous le prisme du corps, notre monde fleurit,
Nuances infinies des faiblesses humaines,
Sous le prisme du corps, aucun rêve proscrit,
Ouvre les yeux, explore ton immense domaine.

mercredi 11 mars 2020

Détergent

Détergent


Un parfum dérangeant me fait me retourner,
Spectre non consenti assis sur mon épaule,
Bavardage bruyant d'un instant détourné,
Sensations fossile me retourne les pôles.

Acides violents, pioches acérées
Attaquent le ciment, l'oubli sédimenté,
Prison des étranglés, des êtres trop serrés,
Perdus entre les murs d'un passé segmenté.

Quel est cet air vicié, chargé de détergent,
Qui emplit mes poumons d'images allergènes ?
Ma bulle polluée, dangereux déterre-gens !
La surpopulation des souvenirs me gène.

Creuse, creuse encore, silencieux acide,
Et bientôt jailliront de mes grises méninges
Les restes momifiés de l'oubli fratricide,
Les instants embaumés qu'à mon insu je singe.

Ces gens couverts de rouille divaguent en moi,
Des masses oxydées de loin me dévisagent,
M'implorent, m'avertissent du retour des émois,
Mais l'instant infini ignore les présages.

Quel est cet air vicié, chargé de détergent,
Qui emplit mes poumons d'images allergènes ?
Ma bulle polluée, dangereux déterre-gens !
La surpopulation des souvenirs me gène.

Qu'ils sont ingrats pourtant, ces joyeux revenants !
Au prix de mille peines vous les déterrez,
Ôtant les clous rouillés, le cœur entreprenant,
Ils se font feux follets, sylphides éthérées.

Eux sans invitation fracasseront vos portes,
Faisant fi de l'endroit, du moment opportun,
Alors que vous lavez encore leur terre morte,
Les déterrés s'enfuient, dans un déni hautain.