jeudi 29 juillet 2010

Délit d'existence

Délit d’existence

Des nuits entières je cours après ton illusion,
Et contre mon visage torturé de bonheur
Claquent de lourdes portes aux verrous de raison.

Pourtant ces nuits sans toi où ton idée s’esquisse
Glissent sur mon corps chaud en d’indécents délices
Et laissent au creux de moi des parfums envoûtants.

Lorsque le ruban froid des lueurs bleues de l’aube
S’enroule autour de moi et étrangle mon corps,
Tu es lâche, tu fuis, soudain tu fais le mort,
Et moi idiot j’étreins la nuit qui se dérobe.

Alors la terre frappe mes pieds, je me redresse.
Je erre dans les rues d’un monde qui se dilue.
Un monde qui ignore tout du bruit de ma détresse

Le jour achève les couleurs chaudes de ma nuit rêvée,
Et mon songe suinte le long de façades insipides.
Alors empli du noir de ton absence, je prends le deuil.
Lentement je me résigne, mon réveil t’euthanasie.

Ton souvenir frappe encore contre les parois de mon crâne,
Tu te débats, mais le monde veille dehors,
Et tu ne sortiras plus de ta petite boite.
Ma cervelle t’assiège, ton souvenir s’affame.

Je me saoule au bruit du monde et ta voix s’étouffe
De plus en plus faible, de plus en plus folle.

Le téléphone sonne.

C’est ta voix.

Tu t’es échappé.

Tu penses encore à moi, tu dis de belles choses,
Tu attends mon appel.

Je te manque.

Blasphème !

Sombre diable.

Et je replonge dans la folie.
Tu n’étais pas emprisonné,
Les barreaux au travers desquels
Je te voulais dépérissant
Sont ceux de mon cachot.

Des heures de deuil,
Le calvaire d’un matin,
Que tu ridiculises
Et réduis à néant
Avec mots sur un répondeur.
A nouveau tu hantes mes heures.

Tu veux tout n’est-ce pas ?
La liberté des ombres, la tendresse des vivants.
Tes mots effacent la frontière entre la nuit et le jour ;
Dans les brèches que tu creuses
Dans cette ligne blanche,
S’engouffrent mes chimères.

Tu existes, c’est là ton crime.
Quelle insolence, quel affront !
Je te croyais mirage,
Et de cette seule croyance je tirais ma consolation.
Dans cette seule croyance je parvenais à te pardonner
Cette absence injurieuse que m’infliges,
Quotidiennement,
Inlassablement.


Dois-je t’achever ?
Comment t’enterrer ?
Tu vis déjà dans un gouffre…
Le gouffre profond et sombre de mes fantasmes.
Ton rêve à ma cheville est une lourde chaîne
Et sans cesse il me traîne vers une nuit humide.
Si je tirais assez fort, comme ces chevaux déments,
Parviendrais-je à t’extirper de ces ténèbres noirs?

Je lève mon glaive au dessus de ta nuque.
Jamais pourtant mon bras ne s’abaisse,
Je ne sais pas trancher.
Le tourment fiévreux de ton existence,
Ou le vide mortel de ta disparition.
La drogue ou le néant, vois le choix que tu me laisses.


Tu n’as pas le droit,
On te jugera, et tu paieras pour cette existence,
Ton sourire, tes mots tendres, circonstances aggravantes.
Des jurys trop cléments me poussent à la vengeance.
L’ampleur délicate de ma souffrance leur est insignifiante.
Un jour aussi je t’enchaînerai,
Un jour aussi j’existerai.

vendredi 9 juillet 2010

Palais royal, musée du Louvre (Théorème des bouts du monde)cha

Palais royal, musée du Louvre
Théorème des bouts du monde


Fouetté par un vent chargé de sel, assailli de bourrasques écumantes, assommé par d’infatigables lames, voici un bout du monde à l’agonie. Les éléments pourtant, violents et tyranniques, ne l’atteignent guère. Ce n’est pas qu’il craigne l’eau, ce n’est pas que le vent risque de le l’emporter. Ce bout du monde au crépuscule étouffe sous le fardeau des piétinements idiots des paumés de toutes sortes. Ils répandent ici au gré des pèlerinages des clichés sans fondement, et creusent le granit de leur bêtise sans fond. A coups de préjugés ils attaquent la roche. Les bouts du monde, muselés et rattachés à la terre par ces abjects liens, se cabrent en vain sous le fouet des bourreaux. Lentement vérolés par ces foules béates, ils se muent doucement en images dociles.

On les traque, on obscurcit leurs perspectives, saturant l’horizon de nos regards opaques, on y viole des heures et des déserts adolescents.
On veut trouver au bord de ces rochers abrupts une excuse pour enfin mettre un terme des courses trop vaines. Sur les horizons vierges, les rêves fainéants peuvent ramper tranquilles. Un grondement continu, quelques fois poignardé par les cris des oiseaux maritimes, font taire des consciences en manque d’éloquence.

Voilà ce qu’on recherche, voilà ce que l’on trouve.

Quelques roches brunes et grises frottées jusqu’à l’usure par des vagues obstinées. Au loin la brume des évadés, le chant des naufragés, ceux que les terres solides avaient rendus malades. Des visages plissés par la lumière crue, crispés par le vent battant, contemplent en grimaçant un miroir trop honnête. Et des sons indistincts sifflant dans des oreilles rougies par le froid, qui pénètrent les gouffres creusés par le silence. Et puis les oiseaux blancs qui transpercent le ciel, et y tracent de longues flèches, nous invitant à les suivre. Mais la foule dressée ne s’envole pas. Elle lève à peine les yeux au ciel.


Je suis dressé comme eux sur la bordure d’un quai, et couvrant mon regard d’une main incertaine. Je scrute le bout du tunnel où s’échappent les lignes, attendant l’apparition de lumières salvatrices. L’horizon soudain se met à rugir, et la vie arrive en un violent orage. Les portes s’ouvrent et les vagues en crevant s’écoulent sur le quai. Je me baigne dans un flot agité de corps pressés. Flottant sur l’onde comme une écume maigre, une voix métallique esquisse quelques mots : « Palais-Royal, musée du Louvre. Palais-Royal, musée du Louvre ».

Le métro m’éclabousse encore de quelques vagues humaines. Tous leurs yeux me fixent, et leurs regards s’élèvent en murailles translucides, avant de fondre sur moi lorsque les portes s’ouvrent. La marée m’apporte son lot de visages défaits, de visages refaits, d’essences désespérées, d’odeurs exotiques et de reflets trompeurs. Quelques trésors perdus, ressurgis des profondeurs, viennent s’échouer ici. Les oiseaux de proie, blancs et menteurs, rodent en permanence au dessus du flot sans fin des naufragés. J’ancre encore quelques temps mes deux pieds sur le quai, jouant à résister à ces furieux courants. Le reflux déjà m’aspire vers le large, et par les portes béantes s’engouffrent mes voisins. Sur eux les portes se referment, et le train les emmène vers ces endroits curieux : le futur pour eux, le passé pour moi. Il fait de nous des inconnus, à quelques vagues du souvenir, à quelques métros l’un de l’autre. Mon reflet stoïque sur les vitres des voitures se mélange à cent visages. Les traits des étrangers, mêlés à mon image, partagent un instant mon immobilité. Pour un temps leur morphologie déforme un peu la mienne. Que restera-t-il de ces empreintes ?

Sur le quai contre mon corps glisse la chaleur d’autres corps. C’est une huile douce qui recouvre ma peau, tiède et veloutée. On me touche rarement, mais la chaleur me caresse. Celle d’un souffle, celle d’un bras nu, elles irradient autour de moi. A chaque instant un monde perdu me frôle. Quelques déportés, d’autres en permission, et des déracinés, s’empressant tous de traverser ce désordre au plus vite.

Je savoure le luxe d’être immobile quand chacun prend la fuite. Qu’il est bon d’être démissionnaire parmi tous ces soldats. Ici, la porte entre les mondes est toujours entrouverte, et la vie s’engouffre en courants d’air. Sur ce quai surpeuplé, je suis presque arrivé. Voilà mon bout du monde, en plein cœur de la ville. J’imagine déjà sa douce solitude, ses larges perspectives. Là où tant d’autres s’évadent, mon délice est de rester. Je laisse autour de moi couler la vie, et regarde s’éloigner le train où je ne suis plus. A son bord je remarque, assis et résigné, me suivant d’un regard envieux, celui que je devrais être. Mon armure orpheline disparaît dans un wagon bondé, et ma peau nue respire par tous ses pores le musc inhumain de la ville suffocante. Je me tiens les pieds joints sur un mouchoir de poche. Je me sens libre, doucement caressé par un univers qui passe et me frôle, et me cajole enfin avec la douceur de l’indifférence. Je devrais étouffer, je me délecte et me grise à la pensée de cette infinité d’air qui s’élève au dessus de moi, cette blanche colonne où mon esprit s’étire, mon nouvel horizon qui enfin se dégage.

Ma liberté en équilibre précaire au dessus de ma tête, je marche à pas lents vers les portes du palais, comme un ivrogne heureux baignant dans une liqueur douce, devient un funambule sur un long fil d’acier. C’est le fil qui se tord pour suivre ses pas de danse. Mais l’ivrogne heureusement n’en saura jamais rien.

La porte du palais est gardée par quelques violonistes. Me cambrant, j’évite les coups d’archets. Les soldats musiciens lancent à ma poursuite des chefs d’œuvres baroques. Mes oreilles se débattent et se défont péniblement de ces chants de sirènes. Combien d’otages envoûtés, alignés en rangées pétrifiées, ne franchiront jamais les portes du palais ? En moi je chante à tue tête quelque cacophonie. Me murant dans ces dissonances, je traverse la porte, à peine écorché par les archets des violonistes. Je reprends mon souffle, ajuste au dessus de ma tête ma liberté en colonne, et pose à terre mon armure de fausses notes. Ici résonne un silence mélodieux. J’ouvre les yeux et mon regard repeint les murailles du château.
Je suis dans un asile, au cœur de ce jardin le monde des hommes a rendu les armes. Par la folie ils échappent ici au monde. La raison s’éloigne dans un métro, la morale agonise à l’entrée du palais, une corde de violon autour du cou.

Des murailles épaisses compriment l’univers. Il s’élève en vain cherchant à déborder, mais les colonnes s’étirent sans fin dans les nuages. De sombres galeries entourent le jardin d’un ruban de nuit épaisse. Elles offrent aux bagnards de longues perspectives que le jour transperce parfois. Des dagues de lumière laissent des balafres blanches le long de ce cloître. Un peu de lumière entre dans le jardin, pas un regard n’en sort. Je tournerais des heures dans ces galeries, marchant en spirale, revenant vers moi-même. J’y passe quelques nuits, seul. Derrière quelques colonnes se cachent des orateurs, on les piétinerait si l’on n’y prenait garde. De leur froide demeure ils observent la ronde que je danse chaque nuit. L’un d’eux parfois m’aborde, me saisit au poignet ou à la cheville et chante à mon oreille :

« Tu parcours la nuit les galeries glacées,
Changeant autour de toi les hommes en étrangers.
Effaces tu si vite les regards échangés ?
Les colonnes sans nom ont pourtant un passé,
Et la pierre rougit encore sous nos baisers…
Qui suis-je ?
Suis-je le corps froid d’un amant blessé ?
Vois dans mon cou les traces que tu as laissées,
Sur mon corps de marbre tes caresses ont gravé
L’inhumain matricule des amours oubliées. »

Je l’écoute sans le regarder. Quand je me retourne, il a disparu. Entre les colonnes alignées courent des bruits inquiétants.

Je m’assieds sur un banc un livre à la main. Le soleil cru blanchit les pages et les mots s’échappent vers quelque zone d’ombre. Les pages tournent, les mots s’échappent. Le livre est presque parfaitement blanc lorsque mon frère me rejoint. En silence il remplace les mots fugitifs par quelques regards bavards. Ses lèvres bougent sous l’éloquence de ses regards. Perdu encore dans l’opium cotonneux qui le fit apparaître, il me rassure :

« Ici j’ai tout rangé, nos jeux, nos peurs sont en sécurité.
Chaque chose est à sa place, tu retrouveras tout.
Ici rien n’a changé, les années entre nous
Emplissent la distance qui parfois nous sépare,
Fleurissent les silences qui grimpent aux colonnes.
Et le long de ces lierres, nous monterons ensemble
Nous nous amuserons des chapeaux que ces gens
Ont cloué sur leur tête pour garder leur esprit.
Le nôtre s’évapore et depuis notre enfance
Un été permanent distille nos raisons.  »

Sa voix douce et apaisée se perd dans la végétation.

Les tilleuls sous le soleil pleurent un parfum subtil. A leurs pieds se soulève parfois une poussière rose. Elle vient poudrer leurs feuilles, donnant à leur vert foncé une solennité grave. Des roses à la beauté carnivore affûtent leurs épines. Derrières de fins grillages, elles s’esclaffent, attirant leurs victimes en lançant à leur nez de capiteux effluves.

Mon pantalon levé en haut de mes mollets, je baigne mes pieds nus dans l’eau bleutée de la fontaine. Un jet d’eau joyeux s’envoie en l’air et chante fraîchement parmi les tourbillons de poussière fauve. Je presse contre le béton graveleux du fond la peau de ma plante, et je marche vers le jet d’eau, presque paralysé par le plaisir de l’eau qui caresse mes jambes. J’envoie mes yeux en l’air avec les gerbes d’eau, et ils scintillent aussi comme les gouttes folles, avant de retomber en un fracas allègre. Sur le bord du bassin, une vieille jeune fille montée sur sa fierté se prépare à plonger. Elle défait son chignon, perdant vingt centimètres et presque autant d’années, et disparaît dans l’onde. Elle reparaît plus loin, sous une autre apparence, surmontée de quelque nénuphar.
« - C’est qu’elle n’est pas mauvaise aujourd’hui !
- Pardon ?
- La rime, jeune homme je la trouve plaisante.
- Ne vous glace-t-elle pas Madame? Vous semblez frissonner.
- Je tremble mon ami car j’ai froid pour vous. Vous attrapez la mort, méfiez vous!
- C’est que je crains madame, surtout d’attraper froid.
- Plongez donc mon ami, mieux vaut vies en grelottant que mourir au chaud. Vous verrez la rime est bonne, on s’y fait bien vite!
- Mes pieds déjà y baignent, et mon corps se glace à chaque pas.
- Vous êtes si frileux, si fragile! Petit clown en vous protégeant de la sorte vous vous condamnez. La marée monte. Plongez donc avant qu’elle vous submerge. Vous apprendrez à nager.
- J’arrive Madame, laissez moi encore un instant.
- Hâtez vous jeune homme, le soir approche, et la rime est moins clémente au crépuscule. Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie, n’attendez à demain… »
Et la rime submerge l’apparition.

La nuit est tombée, un air d’opéra danse entre les colonnes de la porte du fond. Je le suis quelques temps et m’abandonne à lui. Me voilà à nouveau en dehors du palais. Je sens dans mon dos le souffle chaud du cheval de la place des Victoires. Il me reconduit jusque chez moi, j’entends ses sabots sur les trottoirs parisiens. Je lui raconte ma journée, il m’abandonne au pas de ma porte, et je m’endors enfin, au bout du monde. Je suis seul, j’écrase d’un clin d’œil les anonymes qui violent mon rêve, et je peuple les rues de créatures poétiques.