lundi 10 août 2020

Joa d'an anaon (Joie aux trépassés)

Joa d'an anaon (Joie aux trépassés)




La stèle sous le vent, impassible, gravée,
Écrase tout le vide, la terre abandonnée,
Tu es parmi les vagues dans ta mort aggravée,
Toi que la mer a pris, et jamais redonné.

Tu t'évapores tout empli ,
De liberté et d'eau glacée,
Je veux te voir dans un repli
Des horizons entrelacés.

Et moi je fixe le granite,
Mes yeux rayent la pierre dure,
Ton manque brûle, au zénith,
L'été aride que j'endure.

Des jours sans horizon écument les toujours,
L'épitaphe entêtant, « Joie aux trépassé »,
Tatoué sur mon front par l'écume des jours,
Des heures, des océans où dorment nos passés.


Ainsi ils se diluent au lieu de disparaître,
Ceux qui pour s'éclipser ont préféré la mer
Aux cieux surpeuplés d'âmes qu'on envoie paître,
Mais sur la tombe vide, les larmes sont amères.

Tu souris entre les rayons,
Sous les tempêtes meurtrières.
Dans nos abîmes nous veillons,
Mais qu'entends-tu de nos prières ?

L'océan trouble se confond,
Aux marées qui baignent mon œil,
Demain en long hier se fond,
Perdu dans l'impossible deuil.

Des jours sans horizon écument les toujours,
L'épitaphe entêtant, « Joie aux trépassé »,
Tatoué sur mon front par l'écume des jours,
Des heures, des océans où dorment nos passés.

La vie est un exil, une lente dérive,
Naufragé sur un roc cerné de sentinelles.
L'eau monte lentement et c'est alors qu'arrive,
L'espoir de retrouver l'amour originel.

Trouveras tu parmi les phares
Les lueurs pâles que j'envoie ?
Le meilleur de ce cœur blafard,
L'ultime chant à faible voix.

On aura beau graver les tombes,
Ton nom s'efface sur la mer,
Sur la surface les jours tombent,
Mais ta mort n'est pas éphémère.

Des jours sans horizon écument les toujours,
L'épitaphe entêtant, « Joie aux trépassé »,
Tatoué sur mon front par l'écume des jours,
Des heures, des océans où dorment nos passés.

vendredi 7 août 2020

Chagrin de beauté

Chagrin de beauté. 

 Messieurs ôtez vos yeux rapaces, 
Ces deux miroirs sans réflexion, 
Qui font qu’avec vous le temps passe, 
Moins vite que crucifixion. 

Je les vois sur moi tournoyer, 
L’eau à la bouche, prêts à fondre, 
Et moi je rêve de me noyer, 
D’être papier peint, me confondre. 

La triste cécité qui nous rend invisibles, 
Pour un gramme, une ride, ou un grain de beauté, 
La cruauté du filtre, un ignoble fusible:
Vos canons meurtriers, nos chagrins de beauté

Vos regards croyez caressants, 
Mais vos yeux sont gantés de rouille, 
En un clin d’œil je suis en sang, 
Votre image de moi me souille. 

Cette torture baptisée 
Du sobriquet de flatterie 
Par vos fantasmes attisée: 
Mon long supplice, vos gâteries. 

La triste cécité qui nous rend invisibles, 
Pour un gramme, une ride, ou un grain de beauté, 
La cruauté du filtre, un ignoble fusible:
Vos canons meurtriers, nos chagrins de beauté

Je vous vois dresser l’inventaire 
Des qualités que je n’ai pas. 
Il faudrait pour vous satisfaire 
Tout l’arsenal de ces appâts. 

L’œil oxydé par les canons
Sue le poison dans les blessures.
Dans nos beautés nous vous damnons, 
Vous crèverez par nos fissures. 

La triste cécité qui nous rend invisibles, 
Pour un gramme, une ride, ou un grain de beauté, 
La cruauté du filtre, un ignoble fusible:
Vos canons meurtriers, nos chagrins de beauté

lundi 3 août 2020

La muse ment

La muse ment 

Elle tournoie gracile au tombeau du poète, 
De larmes diluées elle revêt son deuil, 
Jamais fatalité ne sembla si fluette, 
Qu’autour de ce caveau dont tu hantes le seuil. 

Les victimes collatérales
Des malédictions artistiques, 
Dans leur chômage crient et râlent, 
Dans leurs habits hellénistiques. 

Quand le poète a expiré
Reste la muse à expier, 
En mal d’Orphée à inspirer, 
En mal de vers, en mal de pieds. 

Une vie de mortel, rien qu’un amuse bouche, 
Un corps sur un autel, rien qu’un amusement, 
Un trou dans le sol froid, et que la muse bouche, 
Aux fans qui le fleurissent, toujours la muse ment. 

Car que lui reste-t-il de ces années saignées, 
Dont les heures intimes ont été publiées? 
Maigres instants secrets, qu’elle ne veut enseigner, 
C’est elle entre les lignes, elle ne peut l’oublier. 

Les anonymes fleurs des champs, 
Qui peuplent trop de natures mortes, 
Nous leur devons tant de ces chants, 
Et leurs noms restent lettres mortes. 

Quand le poète a trépassé, 
Reste la muse à consoler, 
Les trivialités dépassées
Rongent les muses isolées. 

Une vie de mortel, rien qu’un amuse bouche, 
Un corps sur un autel, rien qu’un amusement, 
Un trou dans le sol froid, et que la muse bouche, 
Aux fans qui le fleurissent, toujours la muse ment. 

Un bijou dérobé, ou le sens d’une rime, 
La strophe gribouillée que vous ne lirez pas, 
Voici tout ce qui reste, ce à quoi je m’arrime, 
Quand chaque jour nouveau t’éloigne de cent pas. 

Nous les amours dissimulées, 
Nous les amants asexués, 
Les cadavres accumulés, 
Autres maîtresses conspuées, 

Quand le poète s’en est allé, 
Vous nous devrez tout son bonheur, 
Jamais nous n’avons détalé, 
Et l’au delà sonne notre heure. 

Une vie de mortel, rien qu’un amuse bouche, 
Un corps sur un autel, rien qu’un amusement, 
Un trou dans le sol froid, et que la muse bouche, 
Aux fans qui le fleurissent, toujours la muse ment. 

samedi 1 août 2020

Chacal-Chimie

Chacal-chimie


On n'a plus le vertige, et c'est alors qu'on tombe,
Mais ne sachant viser, c'est la tombe d'autrui,
Que l'on emplit penaud lorsque l'amour nous plombe,
La chute est consentie, mais l'impact détruit.

Trop d'atomes gravitent en un chaos maudit,
Et quel hasard fâcheux fallut-il en genèse,
Pour que de ce bouillon émerge le taudis
Que nous flattons de corps, et qui n'est que fournaise?


On joue chacal-chimie, en précipitation,
Et pour chaque alchimie, les animaux s'escriment,
L'intimité des lits délie délits et crimes,
Et le corps crie au delà de la délation.

Aberration algorithmique sado-maso,
Ce rejeton de loterie est un enfant gâté,
Chocolat aux babines, écume aux naseaux,
Par de piètres tortures sans cesse appâté.

Scie consciencieusement, jusqu'à l'épuisement,
La branche, la cheville, le cou qui le soutient,
Déchéance grisante, vice jamais ne ment,
Quand l'un d'eux tue l'aura, plus rien ne les retient.

On joue chacal-chimie, en précipitation,
Et pour chaque alchimie, les animaux s'escriment,
L'intimité des lits délie délits et crimes,
Et le corps crie au delà de la délation

Peut être sait-il trop l'atroce absurdité,
Le hasard ridicule qui joint ses molécules,
Dans ce néant moqueur, puant d'hilarité,
L'animal fuit le temps qui jamais ne recule.

Pour tomber au plus vite, pour cesser de lutter,
En amour, en disgrâce, l'une des damnations,
Abrégerait enfin son destin chahuté,
Pour mourir libéré des tristes équations.

On joue chacal-chimie, en précipitation,
Et pour chaque alchimie, les animaux s'escriment,
L'intimité des lits délie délits et crimes,
Et le corps crie au delà de la délation

L'homme a-t-il orchestré sa propre déchéance,
Pour revenir au temps des corps atomisés ?
Louchant sur l'horizon dépourvu d'échéance,
Tenté par l'implosion, l'esprit a tout misé.

L'animalisation, cet anoblissement,
Donne faim, donne soif à l'espèce insensée.
La désincarnation, l'anéantissement :
L'ennui insupportable dans l'espace encensé.

samedi 9 mai 2020

L'aube épine

L'aube épine


Tu suis au matin bleu les taches écarlates,
Coulant des mains meurtries qui l'ont trop tôt saisie.
Où mène ce chemin de croix Ponce Pilate ?
Un autre jeu de piste, une autre fantaisie...

Alors que l'heure sonne, le réveil strident
Allume un jour néon, suspend un lourd soleil.
Tout contre ma paupière, j'en vois luire les dents :
Un astre pernicieux au rire artificiel.

Bienheureux celui qui, drapé de songes troubles,
Peut distinguer la rose, la ronce, l'aubépine.
Regarde de plus près, le monde se dédouble,
Sous des airs de bouquet, s'annonce l'aube épine.

Le printemps se fait vieux, tu es encore au lit,
Le monde tourne vite, et refleurit sans toi.
Bientôt le sapin roi, bientôt les pissenlits,
De quoi te couvres tu ? La nuit n'est pas un toit.

Chantage et menaces, le jour persuasif
Se farde et pavane, tous jupons affolés,
Réfléchit mes complexes en miroir corrosif,
Et danse sur l'autel des rêves immolés.

Bienheureux celui qui, drapé de songes troubles,
Peut distinguer la rose, la ronce, l'aubépine.
Regarde de plus près, le monde se dédouble,
Sous des airs de bouquet, s'annonce l'aube épine.

Il brandit tour à tour des roses, des trésors,
Mille joyaux maudits punissant leurs voleurs,
Sous le velours soyeux, l'épine ne ressort,
Qu'une fois l'homme atteint par le parfum des fleurs.

Alors dans la torpeur de la nuit fugitive,
La main perdue saisit la tige hérissée,
Croyant cueillir la clé de joies définitives,
Il récolte la peur et l'ennui métissés.

Bienheureux celui qui, drapé de songes troubles,
Peut distinguer la rose, la ronce, l'aubépine.
Regarde de plus près, le monde se dédouble,
Sous des airs de bouquet, s'annonce l'aube épine.

Les ronces acérées qui enlacent nos rêves,
Couronnent nos messies et transpercent la nuit,
Sont les armes d'un monde trivial et sans trêve
Qui promet floraisons pour nous vendre l'ennui.

Suis les traces de sang, les pétales bientôt,
Fleuriront ce chemin quand la rose mourra :
Des esclaves bernés vont payer leurs impôts,
Chacun saisit la fleur, mais jamais n'avouera.

samedi 18 avril 2020

Dans les veines du marbre

Dans les veines du marbre


Il est une beauté que la vie et la mort
Partagent en secret et que peu connaîtront.
Et puis c'est le tonnerre, le serpent qui vous mord,
L'extase, les ténèbres, en vos seins renaîtront.

C'est une perfidie, plutôt un esprit joueur,
Un goût un peu pervers pour les grands carnavals.
Elles font incendie de la moindre lueur,
Vous caressent le cou et d'un coup vous avalent.

Venez apprivoiser la roche qui se cabre,
Dégustez le poison dont la vie se nourrit,
Le secret coule là, dans les veines du marbre,
L'agonie est le temps, et la mort vous sourit.

Voyez la peau blanchie par trop de solitude,
Refroidie par l'absence de lèvres et de mains,
Elle saura tromper de ses vicissitudes,
L'adorateur naïf, victime de demain.

Car sous le marbre froid poli par les années
Coulent discrètement les passions en torrent,
Et ceux que bernera l'illusion cutanée
Perdront en ces flots blancs leurs sanglots implorants.

Venez apprivoiser la roche qui se cabre,
Dégustez le poison dont la vie se nourrit,
Le secret coule là, dans les veines du marbre,
L'agonie est le temps, et la mort vous sourit.

Et le marbre tombé sur le printemps fragile,
Feint à la perfection le sommeil éternel.
De toute sa lourdeur il trompe les vigiles :
Devant l'ange de plomb, ils ignorent son aile.

La pierre traversée de mille vaisseaux blancs,
Palpite et frémit au souffle le plus tendre,
Les printemps se ressemblent, l'au-delà est lent,
Mon amour immortel, j'ai bien fait de t'attendre.

dimanche 29 mars 2020

Vestiges du vertige

Vestiges du vertige


Personne ne s'attend à rencontrer un jour,
Au détour d'un hasard, un animal sauvage.
A croiser tout à coup un tigre de velours,
Un amour monstrueux, un si doux esclavage.

Alors mille fléaux s'abattent tous ensemble,
Et autant de trésors pleuvent sur notre vie.
Et la bête féroce en tous points nous ressemble,
Et chante en un souffle nos peurs et nos envies.

Alors nous nous lançons, croyant avoir le choix,
Sur le chemin noueux que pointent nos instincts,
Quand nous escaladons, la chute nous échoit,
Nous tombons amoureux jusqu'au fond du destin.

La peau fait désertion, et l'âme nue frissonne,
Pour ceux qui ont mené ces guerres éperdues
L'instant le plus ténu survit en nous, résonne,
L'infinie profondeur du vertige perdu.

Notre cœur est au chaud dans la gueule du tigre,
Personne n'eût rêvé pour lui plus bel écrin,
Le jeune amant embrasse le danger qu'il dénigre,
S'enivre goulûment du poison qu'il ne craint.

Déjà vous questionnez, et vous avez raison,
La sanité psychique de l'autodestructeur,
Du garçon romantique qui en toute saison,
Se brûle au feu noir d'un soleil séducteur.

Pourtant chacun sa bourse, chacun son commerce,
Et les trésors de l'un sont les misères de l'autre.
Ainsi ceux qui chérissent l'arme qui les transperce,
Ont d'autres religions, et leurs propres apôtres.

La peau fait désertion, et l'âme nue frissonne,
Pour ceux qui ont mené ces guerres éperdues
L'instant le plus ténu survit en nous, résonne,
L'infinie profondeur du vertige perdu.

Comment finit le tigre ? Il nous dévore, il meurt ?
Dans les deux cas je suis voué à l'agonie,
Mais j'aurai tant vécu, et si rien ne demeure,
Jamais je ne craindrai votre monotonie.

Car le tigre me suit, ou lui ou son fantôme,
A chacun de mes pas, je l'entends me rugir :
« J'ai aimé follement chacun de tes atomes,
Le souvenir de toi me fait encore rougir. »

Moi qui ai tout perdu, par ma faute peut-être,
Je suis riche de toi, je garde ce prestige,
Je porte le fardeau, l'extase de connaître
La vie à l'état pur, vestige d'un vertige.

mardi 24 mars 2020

Valse Mascara

Valse Mascara


Le grand bal des débutants
Ouvre ses portes rouillées,
A ses enfants hésitants,
A l'innocence souillée.

Les deux armées se font faces,
Couleur contre noir et blanc,
L'amour, l'amitié s'effacent,
Filles fières, garçons tremblants.

Du haut d'une crinoline,
Tenu par sa mitraillette,
Entre nous la gazoline,
Et notre genre : l'allumette.

Valse Mascara, temps de transparence,
Entre dans la danse, tu démasqueras,
L'être disparu sous les apparences,
Les genres séparés, les genres d'apparat,

La valse qui s'évapore,
Aux accords inflammables,
Mélange âmes et corps,
En tourbillon insatiable.

Les robes qui les enrobent,
Cravates et nœuds cravachent,
Les talons qui se dérobent,
Les artifices s'arrachent.

Vite les têtes tournent,
Coulent sueurs printanières,
Les hormones détournent,
Le genre dans sa tanière.

Valse Mascara, temps de transparence,
Entre dans la danse, tu démasqueras,
L'être disparu sous les apparences,
Les genres séparés, les genres d'apparat,

Gabriel prend ses deux ailes
De sequin sous sa chemise,
Perdu sur l'île malgré elle,
Vole vers l'alter promise.

Elle a déjà franchi le Styx,
Mille fois ressuscitée,
Sa souffrance , son préfixe :
Les questions qu'elle a suscitées.

Entrée zone no smoking,
Le bal devient explosif.
Embrasse moi ! I'm joking...
Amour de genre exclusif.

Valse Mascara, temps de transparence,
Entre dans la danse, tu démasqueras,
L'être disparu sous les apparences,
Les genres séparés, les genres d'apparat,

Tournez, changez de rôle, valseurs,
Vous accélérez le temps,
Changez les frères en sœurs,
Les princesses en sultans.

Quittez le bal éperdus,
Allégés des artifices,
Chantez les pronoms perdus,
Mélangez filles et fils.

Soyez Valse Mascara,
Pour qu'enfin honte fonde !
Épargnez vous l'embarras :
Aimez qu'on vous confonde.

dimanche 22 mars 2020

Lie nos sens

Lie nos sens...


Il fallut traverser des années de conscience,
S'abstenir de signer tous ces autoportraits,
Il fallut effacer les versets par la science,
Pour que la diable enfin relâche cet attrait.

Il est des mots trop crus érigés en barreaux,
Qui résistent au temps mieux que les souvenirs.
Nos mots ou ceux des autres, qu'importe le bourreau,
Qui font un sacerdoce de nos devenirs.

Les regards pollués lient nos poings, lient nos sens,
Flétrissent nous sourires, font taire l'innocence,
La main enfin tendue lit nos vies, lit nos sens,
Souffle sur la poussière tombée sur l'innocence.

Et nos âmes proches qui prétendent aimer,
Qui s'appellent famille au nom de liens du sang,
Torturent, légitimes, les enfants enfermés,
De leur semblant d'amour : ils grandiraient mieux sans.

Au nom de mille dieux nous faisons pénitence.
Notre terre promise, notre peau de chagrin,
Où pousse les bons jours notre maigre pitance,
Nous nous y cultivons, nous autres mauvais grains.

Il nous faut résister au bord d'une falaise,
Au grand vent, au vertige d'un passé volé,
Vos tendres souvenirs sont nos profonds malaises,
Et nombre d'entre nous préfèrent s'envoler.

Les regards pollués lient nos poings, lient nos sens,
Flétrissent nous sourires, font taire l'innocence,
La main enfin tendue lit nos vies, lit nos sens,
Souffle sur la poussière tombée sur l'innocence.

Pourtant les jours de pluie, nous nous tenons la main,
Et quand le ciel dilue notre perpétuité,
Nos sourires fleurissent et les futurs sont maints,
Nous flottons au dessus de votre vacuité.

Peut être un jour prochain si nous sommes indulgents,
Et si nous pardonnons mieux que vous l'avez fait,
Nous vous enseignerons à aimer l'indigent,
A vous échapper de votre monde surfait.

mercredi 18 mars 2020

Le jardin possible

Le jardin possible


Poussons les ronces, les barreaux,
Les chardons, orties et chimères,
Soyons fugitifs ou marauds,
Cueillons le jardin éphémère.

Juste derrière la broussaille
Qui couvre l’œil trop éveillé,
Très vite, avant qu'il ne s'en aille,
Égarons nous, émerveillés.

Ne nomme pas trop tôt la fleur
Que tu pourrais y rencontrer,
Ce nouveau monde est le leur,
Le mot se meurt en ces contrées.

Tu saisis et tu analyses,
Et plus tu cueilles, plus tu perds,
Ta connaissance banalise
La poésie qui s'y opère.

Les corolles sont musicales
Et l'horizon lent se balance,
Les couleurs déferlent, bancales,
Les prés bleutés sont de faïence.

Ton esprit doute, déconstruit,
Il sent, écoute, interroge.
Oublie la menace d'autrui,
Ici seule ta voix déroge.

Bois et apprends de l'irréel,
Tes mots ne sont que les frontières,
D'un univers spirituel,
Qui couple demain à hier.

Et comme tant d'autres perdus,
Apprends à rêver des chemins,
Et cours toujours, cours éperdu,
Dans ces éléments inhumains.

Tu es étranger au futur,
Étranger au passé aussi,
Un visiteur en aventure,
Qui connaît maintenant, ici.

La vie est un jardin possible,
Nous attendons ses floraisons,
Ses fruits sucrés imprévisibles,
Et nous chantons ses oraisons.

Arrête-toi un jour, inspire,
Debout sur le pas de la porte,
Attends le meilleur ou le pire,
Suis le vent, le jardin t'emporte.

dimanche 15 mars 2020

Mécanismes de séductions : le crépuscule des machines.

Mécanismes de séductions : le crépuscule des machines.


Une main sur la manivelle,
Un doigt pressé sur les boutons,
On détruit, on renouvelle,
Et rejoue un autre jeton.

Les pistons régissent le jeu,
Pompent et crachent en silence,
Pour la machine pas d'enjeu,
Je prends un homme, je balance.

La chaleur des talons
Fait fondre le bitume,
Mangeuse d'étalons
Dont j'oublie l'amertume.

La sueur de la nuit s'échappe des égouts,
Maculant de soupirs la décence nocturne.
Machine d'agonie nourrie des bouches, des goûts,
Après les fumées noires : le froid, la cendre, l'urne.

Les dents parcourent, affûtées,
Des orbites bien dessinés,
Avalent les maux réfutés
D'une main d’œuvre calcinée.

Les engrenages dentelés,
Dentelles dont elle est parée,
A la machine attelée,
Fulminent sourds, désemparés.

C'est un vieux cheval épuisé,
Tirant des tonnes d'inepties,
Il suffoque, vous conduisez,
En attendant son autopsie.

La sueur de la nuit s'échappe des égouts,
Maculant de soupirs la décence nocturne.
Machine d'agonie nourrie des bouches, des goûts,
Après les fumées noires : le froid, la cendre, l'urne.

Mais les liens de cuir sont usés,
Et la bête devient fiévreuse.
Les courroies dont vous abusez
Sautent dans la machine creuse.

Et le charbon vient à manquer,
L'ogre de rouille affamé
Détruit l'enfer alambiqué
D'un au delà trop mal famé.

Et peu à peu l'humain s'extirpe
D'entrailles dont il se croit né,
Irrigue peu à peu ses tripes,
Du sang chaud de sa destinée.

La sueur de la nuit s'échappe des égouts,
Maculant de soupirs la décence nocturne.
Machine d'agonie nourrie des bouches, des goûts,
Après les fumées noires : le froid, la cendre, l'urne.

Un givre fin qui s'épaissit,
Recouvre l'usine de glace,
Alors que marchent des messies,
Nus dans la nuit qui les enlace.

La chaleur a changé de camp,
Le fer lassé d'être battu,
Ne rougit plus de ses volcans,
Ne se dresse plus en statues.

Mille machines implacables
S'emballent, fument et fracassent,
De sang, de muscles, indomptable,
La femme vit, sans carapace.

samedi 14 mars 2020

Le prisme du corps

Le prisme du corps


Parlons de l'oublié de la philosophie,
Du tabou des apôtres et des moralistes :
La chaire que l'esprit condamne à l'atrophie,
Et la mort annoncée des transcendantalistes.

Restreignons l'analyse à nous autres vivants,
Et définissons nous comme humbles autocrates,
D'un empire de peau, de fluides clivants :
Sans organe, sans os, il n'est plus de Socrate.

Nous voici citoyens de mille carapaces,
Qui, Dieu nous en fit grâce, sont murs translucides.
Ainsi nous observons de nos yeux de rapaces,
Mais le corps entier voit pour nous rendre lucides !

Et ces masses de chaires, splendides poétesses,
Savent en une fièvre repeindre le monde,
Nous convaincre du pire avec délicatesse,
Ou changer les aimés en chimères immondes.

Quand nous nous évadons et croyons réfléchir,
Les fantômes toujours de sensations passées,
Caressent nos esprits et viennent infléchir
Nos idées, nos songes : tout est cadenassé.

Dans nos prisons de peau, attendons nous la mort ?
Que dit la maladie couchée nue sur nos lits ?
Pourrons nous dans la tombe dire tous nos remords ?
Le temps du corps est là, qui nous réconcilie.

Voyons changer la rue au gré de nos symptômes,
Les nuages soudain se figent, accélèrent,
Sous les combinaisons de nos propres atomes,
Naissent au même instant orgasmes ou colères.

Sous le prisme du corps, notre monde fleurit,
Nuances infinies des faiblesses humaines,
Sous le prisme du corps, aucun rêve proscrit,
Ouvre les yeux, explore ton immense domaine.