mardi 7 avril 2015

Entre les gouttes

1. Entre les gouttes
Entre les gouttes montaient, ce matin virginal,
Les vapeurs sulfureuses d'une nuit d'agonie,
Qui mourait doucement et glissait vers l'oubli
Parsemant l air trop pur d'un parfum animal.

Souvenirs transpercés, par les gouttes tranchantes,
d'une jeunesse, d'un amour, d'un semblant d'innocence,
Joies diluées dans la pluie de l'aube triste et lente,
des sentiments usés moisissaient en silence.

Dans un deuil élégant, des passants graves et lourds
agressés par les gouttes, agressés par le doute,
Dans un deuil révoltant, des passants au cœur court
Agressés pas le temps, s'exilent sur la route.

Entre les gouttes grises s’évadaient ce matin
Les soldats sans fierté d'un bataillon vaincu
Pauvres oiseaux sans tète combattant leur vécu
Hagards et couards, prisonniers des regards.

L'insu devant, l'oubli derrière, le vide au cœur,
L'obus dessus, la pluie de feu des temps présents,
L'incertitude qui les frappait épargnait le rêveur,
Qui fermait sa fenêtre, lorsque pleurait le temps.


  1. Dans les gouttes
Et dans les gouttes ce matin la,
Novembre élevait ses enfants.

Dans le gris jaune d'un ciel absent,
naissait la beauté du neant,
Le distillat des jours, l'essence des toujours
Changeait la rue en fleuve lent.
L’été mourant et soupirant,
Et son cortège d’endeuillés,
Les joies faciles, ensoleillées
Flottaient un temps puis se noyaient.

Dans les gouttes ce matin la,
Nageait un poison, un soupçon,

L'inconnu qui délave
L'arrogant qui se lève,
L'angoisse dont se gavent
Les meurtriers sans glaive.
Que déversait novembre
Dans cette pluie trop claire,
Qui arrachait des membres
Aux armées les plus fières?

Novembre dans ses larmes,
Pleurait l'acide quotidien,
La plus redoutable des armes,
Le silence, le vide, le rien.

Et le néant pleuvait sur des cranes ouverts,
D’où l’été s’échappait, et où montait l'hiver,
Ces cranes sans idées qui partaient au bureau,
Suppliaient sous la pluie la grâce du bourreau.



  1. Sous les gouttes
Sous les gouttes ce matin la,
Glissait un homme d'un pas lent.
Ses joues coulaient sous les gouttes glacées,
Son visage roulait sous les perles du temps.

Dans les sillons creusés aux berges de ses yeux
Par les années de pluie étiraient son âge,
Dévalaient ce matin en trombe ces orages
Qui gravaient sur son front l'esquisse du mot « adieu ».


Que la vie soit naufrage ou qu'elle soit odyssée,
On se rêve héros, on finit rescapé,
La pluie et les tempêtes, déluges dérisoires
Inondant, endeuillant nos risibles mémoires.

Ce qu'on perd, ce qu'on gagne, en vivant chaque jour,
Un monde qui s'effondre, a chaque instant succombe,
Un autre monde naît, un champ de ruines toujours,
Perpétuel jardin, perpétuelle tombe.

Tu rêves tu soleil dessous ton parapluie,
Ne trouveras pas la paix en évitant la vie.
Lorsque le vent tombe et que sèche la pluie,
S'effrite le passé et le futur s'enfuit.

De quelle matière étanche a ces acides pluies,
Construira-t-on sa vie, de quelle essence pure ?
Nous resterons toujours immigrés du futur,
Les instants, des frontières vers d'inconnus pays.