mardi 29 janvier 2013

Dans mon dos, la mer...


Dans mon dos la mer...


Dans mon dos la mer, lisse et bleue, jouait silencieusement.

C'est ce que je rêvais, marchant sur l'avenue,
A des milliers de nuits des embruns écumants.
Ce que je ne vois pas, ce que je ne vois plus,
Existe dans mon dos, dans les revers du temps.
Silencieuse, discrète, comment l'aurais je vue ?
Dans mon dos l'infini, un océan pudique,
Liberté somnolant, paresseuse ingénue,
Baignant sa nudité dans un passé épique.


Dans mon dos la mer, blessée et rouge, saignait abondamment.

Étouffant dans mon dos d’étranges hurlements,
Elle noyait des pleurs cachés à ses enfants.
Faisant souffler le vent sur les rochers bretons,
S'accrochant à nos pieds et saisissant nos noms.
Dans ces marées noircies de deuil et de non dits,
Tant de mots, tant d'appels, pourtant si peu d'amis.
Pleure la mer perdue, dans ces colères immenses,
Combien de vies encore avant la délivrance ?

Dans mon dos la mer, profonde et noire, noyait ses vieux amants.
Profonde et réfléchie, résignée et muette,
La mer avait séché les sanglots du passé.
Observant d'un œil noir la danse des mouettes,
Qui crevaient en plongeant sa peau anesthésiée.
Digérant en son sein des flots de douleur vaine,
Courant après le temps et après le soleil,
La frustration coulait comme le sang dans ses veines,
Soleil et temps partis, la mer devenait vieille.


Dans mon dos la mer, fourbue et grise, crachait des innocents.

Des reflets argentés courant dans ses cheveux,
Des rides et des nuits perdues au fond des yeux,
La mer au crépuscule aiguisait son trépas,
La beauté pour la mort, irrésistible appât...
Alors à l'âge d'or, auréolée de miel,
La mer vie en ses flots renaître les marées,
Et son reflux clément posait sur les jetées
Des marins égarés qui s’étaient épris d'elle.


Devant moi la mer, heureuse et blanche, se jouait du présent.

Au matin, fatigué, quand l'aube blanche croit,
Avalant une lune alourdie de secrets,
Scintillant sous l'espoir d'un matin vierge et froid,
Respirait l’océan sensuel et discret.
Le temps comme la mer vit au gré des marées,
et ses jours et ses nuits, et les saisons menteuses,
Répètent leurs adieux a nos cœurs déchires,
Et heures en exil coulent sur nos joues creuses.

samedi 19 janvier 2013

Boulevard des ombres


Boulevard des ombres...


Sous le ciel d'ivoire de ce matin d'hiver, le squelette d'acier de la gare rougissait du combat qui se jouait en son sein. A travers les poutres métalliques et les larges verrières, jaillissaient parfois quelque éclat rouge, éclair sanguin que suivait de très près une volée de cris rauques et désespérés.

Je m'accrochais aux rails, je m'accrochais à tout ce qu'il y avait de fixe et de fiable en ce monde. J’enlaçais fougueusement un tas de souvenir fumant sur le sol, alors que mes mains, mes yeux et les plus solides de mes veines retenaient un train enragé. Je jurais, j'exhortais, le cœur exorbité, suant mon essence la plus primale. Rien n'y fit. A l'heure dite, mille chevaux infernaux arrives en renfort firent malgré tout tourner la terre. La terre fit avancer le temps, le temps fit tourner l'horloge, et le train partit.

Sur le corps froid du colosse de fer, des lambeaux de peau arrachés de mes mains, mon regard amoureux, cueilli à peine éclos au creux de mes yeux tristes, et mon sang qui coulait le long des vitres sales.
Si l'un de ces chevaux, si seulement l'un d'entre eux, avait pu un instant croiser mon regard, il aurait pris pitié, nul ne peut en douter. Il aurait supplié à son enfer froid d’arrêter un instant la marche de la terre, de laisser en mon cœur ce train et ces images, de retarder un peu plus l'heure de mon exécution. Mais les bêtes de Satan ont toutes des oeileres, c'est ce qui les protège de leur humanité.
Le train lui même grinça, cria, se débattit. Lorsque le chef de gare siffla l'heure du départ, le sang gicla hors de moi quand mon cœur partit, courant après le train, pour un dernier adieu.

Lorsque la terre tourna et emporta le train, germa lentement en moi l’idée d'une agonie. Car au train merveilleux, j'avais tout accroché, dans l'espoir naïf de l'alourdir assez pour le garder a quai. La lumière, les couleurs, la musique, la chaleur, le matin et le soir, ligotée au wagon de queue, quittaient aussi la gare, et agitaient leur mouchoir, lançant un au revoir gêné et impuissant. Restait autour de moi le squelette gris de la gare vide, la complainte métalliques des trains condamnés à l'exil, et le bavardage indistinct d’étrangers somnambules.

Mes yeux crevés se vidèrent lentement de tout panorama, et lorsqu'ils furent tout à fait secs, mon corps inhabité, allégé de la perte de mon âme, se laissa porter par le fleuve paresseux des normes sociales. Làoù la foule déambulait, je déambulai aussi, la où l'on regardait, je lançais mes regards, où l'on dirigeait, je traçais l'horizon. Je sortis de mon éducation lointaine un éventail de masques, et je jetais à mon visage les émotions peintes avec lesquelles je jonglais.

En mon cœur une abîme, et s'y déversaient inlassablement les flots glaces d'un quotidien anonyme. Derrière la vitrine plus ou moins humaine de mes paupières, un être de peur, de solitude et d’inquiétude, en boule noire et dense, tentait d'hiberner. Il construisait autour de lui un corps insensible, rempart infranchissable contre les pudeurs tristes du monde, qui tenterait de lui cacher la réalité de ce jour orphelin.

A la sortie de la gare se déroula devant moi la trop vaste avenue des jours à venir. Trop anémié pour résister a sa faible pente, je me laissai la descendre, pas par pas, heure par heure. Qu'elle fut longue, cette route sans but...

L'avenue était large, mais toujours surpeuplée. On y croisait des flots de noyés, des pendus de tout poil, des fantômes et des avortés. Ils descendaient la pente a mes cotés, tirés vers les abîmes par le poids de leurs pertes, et chacun silencieux, muet, imperturbable. Sur le boulevard des ombres, on rêve de rêves vieux et de rêves en exil. On rêve à la lumière et aux couleurs fuyant derrière un train, et à la musique évaporée qui baignait nos pensées...

Mais les yeux sont brûlés, aveugles par l'absence, épuisés par les recherches vaines et saturés de gris. Je m'arrêtai, juste au bord de la folie ou la rue me menait. Je saisis ma paupière, la retournai, et juste àl'intérieur je peignis ton visage. Je fermai les yeux, tu étais là, ton absence maquillée, étouffant sous le fard, cessait son harcèlement.

Les yeux fermés, tout restait encore possible. Je ne voulais rien savoir de cette réalité, qui ressemblerait, dans le meilleur des cas, aux cendres fumantes d'un passé arraché. Je marchai donc vers ton image, suivant mes propres paupières. Quand j'entrouvrais les yeux un serpent de jour pénétrait mon regard et s'enroulait a ton cou, enlaçant ton spectre et me privant de toi. Le vent froid faisait couler sur mon iris des torrents acides. Eux aussi dissolvaient, avec le temps et l'oubli, les couleurs fragiles de ton portrait. Je heurtais des passants pressés, ils m'insultaient, je m'excusais, je dus te dire au revoir, je m'excusai encore, auprès de toi cette fois, et j'ouvris les yeux. Le gris inonda à nouveau mon crâne déserté.

Il me suffit de m'enfoncer de quelques mètres dans ce brouillard pour que l'absence me poignarde ànouveau. Je l'entendais rire de moi, remuant la lame froide dedans mon dos voûté, alors qu'elle pointait de son doigt famélique, chaque endroit ou flottait ton parfum. Je me cabrai, fier et homme, pour désarçonner la traîtresse, qui chuta lourdement sur le sol enneige. L'absence lourde roulait à mes pieds, moquant mon moindre effort, et me donnant rendez-vous...

Je la sentais roder, fouine abjecte à l'affût de mon premier sentiment, elle diffusait dans l'air l'odeur rance du souvenir moisi. Je décidai de la tromper.

Lorsque j'entendais des pas à ma suite, je me persuadais qu'il s'agissait des tiens. Ne m'avais tu pas suivi maintes fois auparavant ? Jusqu'ici, jusqu'aujourd'hui ? La vraisemblance du scénario et la naïveté de l'espoir qui m'entretenait suffirent à tenir l’absence à distance. Il me suffirait ainsi de ralentir ma marche, pour sentir a nouveau le souffle chaud des étés sensuels. Il me suffirait ainsi de me retourner pour sourire encore à l'enfance oubliée... Mais j'ignorais encore, que ce passé dans mon dos, cette illusion d'histoire, me poussaient plus vite encore, vers des gouffres autrement plus stériles, et autrement plus sombres.

Car le bruit de tes pas, de leur voix de sirène, me chantaient encore les refrains oubliés. Les mélodies sournoises, grimpant a mes mollets et jusqu'à mon épaule, me caressaient le cou et bientôt suppliaient.

« Retourne toi, ne le laisse pas marcher seul, et courir après toi ! Sa main chaude est là , et s'ennuie de la tienne. Chacun de tes pas l’éloignent de toi, à chaque nouveau pas, il est plus loin, plus froid. Retourne toi ! »

La mélodie grimpant a mon épaule me saisit au menton et tourna mon visage. Oh garce de musique, tu jetas à ma face des vérités tranchantes ! Derrière moi pas de toi, pas de main, une lourde porte noire qui se fermait inlassablement, un long grincement puis un trou noir, où venait s’engouffrer l'air épais, irrespirable et glacial, qu'on me forçait de respirer.

Je repris ma marche pénible pour oublier cet antre où l'on te torturait. Les lampadaires étendaient à mes pieds des ombres agressives, longues et pointues et fuyant vers l'avant. Une armée de moi même, étendu sur l'asphalte, courant vers un demain ou l'aube n'est plus possible. Je projetais ma silhouette au nez des étrangers, vendant a l'inconnu un corps vide et vain. Une peau d'ombre, insensible et tannée, était soldée ici au milieu du boulevard.

Je n’étais que mille ombres, enfilées les unes par dessus les autres, et je m'effeuillais au gre des paves noirs. Prenez, n'ayez pas peur, vous ne me privez de rien. Prenez la vous dis-je, elle ne me manquera pas ! Habitez donc ce corps, il est désaffecté, mettez-y vos envies, vos fantasmes, prétendez le connaître, si cela vous amuse...

Mes ombres mortes et grises, pendant aux lampadaires, flottaient au vent du soir. Je marchais plus léger, plus propre et plus vivant, ayant abandonne ces habits déchirés. Presque nu à présent, et mordu de toutes parts par le froid de l'hiver, et par les dents féroces de l'absence blessée, je sentis finalement sur ma chair écorchée la lueur d'un matin. En moi, qui dormait sous les ombres, germait l'espoir timide que tu vivais encore, non pas sous mes paupières, non pas suivant mes pas ou bien me devançant, mais plutôt en moi même, en ma chair à jamais signée de ton nom, en tous ces traits nouveaux que tu y dessinas, en ces sculptures nouvelles que tu fis de mon âme.
Alors aucun train, aucune ombre, aucune bête féroce, qu'ils déchirent ma peau ou emportent ma mémoire, ne sauront jamais nous séparer vraiment.

vendredi 11 janvier 2013

Barbie boy


Barbie boy....

I.
Ses doigts frêles et avides courent dans ses cheveux longs
Sur sa nuque rosée et entre ses seins ronds,
Défont coiffure et robe en un souffle impatient.
Son regard la dévore, insatisfait, gourmand.

La voici nue et vierge, offerte et sans défense,
Une brosse a la main, le garçon la saisit,
A l abri des regards, a l abri des offenses,
Un enfant solitaire recoiffe sa Barbie.

Au matin il faisait ses adieux a des fleurs,
Et a l'enterrement il pleura longuement.
Des oiseaux gris tombaient des peupliers en pleurs,
Couvrant de cendre lourde le sol du jardin blanc.

Et sur la tombe noire il écrivit son nom,
Lui qui fanait un peu si loin de sa planète,
Chaque fois qu'on riait de ses airs de poète,
Que sa poupée cruelle lui valait un surnom.

II.

Des doigts forts et avides courent dans ses cheveux courts,
Sur sa nuque musclée et son poitrail lourd,
Défont chaque bouton en un geste impatient.
Un regard le dévore, exalté et gourmand.

Le voici nu encore, offrant a l'indécence,
La plastique parfaite, que son amant envie.
Insensible aux louanges, insensible aux offenses,
Un enfant solitaire s'est changé en Barbie.

De son ego hagard, et las d'adoration,
Il contemple l'amour qui glisse sur sa peau.
Il songe au temps maudit ou les petits garçons,
L’assaillaient de surnoms plus froids que des couteaux.

Quand un matin il fit ses adieux a ses pleurs.
Dans la tombe coula, parmi ses mortes larmes ,
L'enfant a la poupée qui enterrait des fleurs
Il jura en tombant de reprendre les armes...

III

Il parcourut les ans, il parcourut les corps,
Des miroirs dans les yeux, pourtant sans réfléchir,
Et son regard de verre ignorait les remords,
Oubliait le passé, saignait les souvenirs.

Traversant un hiver, au creux d'un jardin blanc,
Il croisa un garçon aux yeux trop pleins de roses.
Dont les yeux se fanaient sous les cris des enfants,
Torturant sa poupée de leur ignoble prose.

L'enfant a la poupée, s’éveilla en son cœur
Et sur la tombe noire, ou son nom s effaçait,
Quelques fleurs enterrées arrosées par les pleurs
Resurgirent un matin en un heureux bouquet.

Sur les vitres d'un train, sur les vitres d'un œil,
Coulait une pluie drue, coulait la pluie du deuil.
La pluie des au revoirs, des amours en partance
Transperçant le plastique ou dormait son enfance.