mardi 29 septembre 2015

Et sans ciel...

Et sans ciel...

Sur ses pas machinaux, la ville se referme,
Les immeubles avides s'abattent sur son corps,
Il court pour que sa vie arrive à son terme,
Mais le monde infini s'acharne sur son sort.

L'horizon fugitif court plus vite que lui,
Et dans ses yeux muet, déjà plus rien ne luit.
Il envoie au soleil des prières trop lourdes,
Tonnes de désespoir pour une sainte sourde.

Les lettres qui s'envolent sont vite transpercées,
Par tous les corbeaux blancs repus de nos pensées,
Leurs plumes maquillées nous font croire aux anges,
Dans ces pluies d'illusion, nous noyons nos louanges.

Sur la route trop longue, qui va de rien à rien,
Il se crève les yeux pour trouver l'essentiel,
Pour mieux pouvoir rêver, pour se perdre enfin,
Dans un monde oublié, sans corbeaux et sans ciel.
Sur le trop long chemin, du néant au néant,
Il s'enterre vivant pour trouver l'essentiel,
Pour pouvoir oublier, pour savourer la fin,
D'une vie avortée, sans corbeaux et sans ciel.

Heurtant le ciel trop bas, les prières retombent,
Et viennent décorer les pierres de nos tombes.
Et pour se protéger de cette neige grise,
Les âmes sans défense, construisent des églises.

Leurs genoux s'y abiment, quand les mots illicites,
Se cognent au plafond de ce ciel de granite,
Où sont peints les étoiles, et les anges et l'espoir,
Pour tromper l'innocent, pour maquiller le noir.

Il pénètre le temple, masqué de douleur,
Et hurle au plafond tout les mots de sa peine,
Mais le granite est sourd et n'entend pas ses pleurs,
Et la peinture s'effrite sur un ciel d'ébène

Sur la route trop longue, qui va de rien à rien,
Il se crève les yeux pour trouver l'essentiel,
Pour mieux pouvoir rêver, pour se perdre enfin,
Dans un monde oublié, sans église et sans ciel.
Sur le trop long chemin, du néant au néant,
Il s'enterre vivant pour trouver l'essentiel,
Pour pouvoir oublier, pour savourer la fin,
D'une vie avortée, sans église et sans ciel.

La peinture effacée, le granite se fend,
Et sous le ciel en ruine un noir nouveau s'étend.
Voyant aux yeux fermés ne vit que dans son crâne,
Dans l'esprit désertique les souvenirs se fanent.

Canopée de synapses, de sentiments inertes,
La dépression ferme les prières ouvertes.
Son araignée tisse des réseaux associaux,
Ecrit de nouveaux psaumes à grands coups de ciseaux.

Bible à l'encre rouge tatouée sur ses paupières,
Mais de ce ciel osseux il ne pleut que du sang,
Un sang trop froid déjà et moins fluide qu'hier,
Le sang des condamnés, un sang sans sentiment.

Sur la route trop longue, qui va de rien à rien,
Il se crève les yeux pour trouver l'essentiel,
Pour mieux pouvoir rêver, pour se perdre enfin,
Dans un monde oublié, sans bible et sans ciel.
Sur le trop long chemin, du néant au néant,
Il s'enterre vivant pour trouver l'essentiel,
Pour pouvoir oublier, pour savourer la fin,
D'une vie avortée, sans bible et sans ciel.

Déjà au creux de lui, le Styx prend sa source,
Et dans le bruit du temps, le chant de Perséphone
Murmure des promesses, le dévie de sa course,
Au diable tous les ciels et leurs prières aphones.

Le fleuve d'amertume creuse dans ses entrailles,
Le sombre labyrinthe où tous les mots défaillent,
Visages décomposés des souvenirs reniés,
Nourrissant la rivière de leurs chants étouffés.

Le corps se plonge dans la démission des cieux,
Le bateau qui avance dans l'enfer silencieux,
Le porte vers la mort, loin de la vie cruelle,
Dans un monde nouveau, essentiel et sans ciel.

lundi 28 septembre 2015

Origine des mécanismes de séduction

Origine des mécanismes de séduction.
Modèle: Ayu Chan
Styling: Jan Blasko
Photographie: Thomas Bettinelli















samedi 26 septembre 2015

Quand tu m'habites

Quand tu m’habites …



Et c’est d’abord ton souffle, sur mon cou,
Qui m’invite,
Murmurant tes fantasmes, et mes tabous,
Il m’incite,
A quitter le sommeil, lit de sueur,
Illicite,
Pour entrer dans ton jeu, dans ta torpeur,
Tout me quitte,
Mon corps s’ouvre à ta voix, à tes baisers,
Pas si vite,
Pour toujours me remplir, me posséder,
Tu m’habites

Tout se dissout quand tu m’habites
Plus de question, plus de doute,
La vie s’excite, le monde exit,
Et tu ne quittes plus ma route.
Moi je suis saoul quand tu m’habites,
Les sensations à la déroute,
Quand tu m’excites, enter- exit,
Je suis à toi, quoiqu’il en coute.

Soumis je prie, supplie, et à genoux,
Je t’invite,
Glisse ta grandeur d’âme, entre mes joues,
Tu m’incites,
A garder le silence, et la candeur,
Illicite,
Gouter à tes principes, en profondeur,
Je m’acquitte,
Retrouver la pureté, immaculée,
Et si vite,
Pour mieux me corriger, me confesser,
Tu m’habites

Tout se dissout quand tu m’habites
Plus de question, plus de doute,
La vie s’excite, le monde exit,
Et tu ne quittes plus ma route.
Moi je suis saoul quand tu m’habites,
Les sensations à la déroute,
Quand tu m’excites, enter- exit,
Je suis à toi, quoiqu’il en coute.

Finies les discussions, plus de tabou,
Je t’invite,
Lentement m’envahir, et jusqu’au bout,
Ca m’incite,
A ouvrir mes secrets, à ta chaleur,
Illicite,
Tout pénétré de toi, il est l’heure,
Tu me quittes,
Pour m’envahir encore, mon guerrier,
Reviens vite,
Les frontières ouvertes, abandonnées,
Tu m’habites

Tout se dissout quand tu m’habites
Plus de question, plus de doute,
La vie s’excite, le monde exit,
Et tu ne quittes plus ma route.
Moi je suis saoul quand tu m’habites,
Les sensations à la déroute,
Quand tu m’excites, enter- exit,
Je suis à toi, quoiqu’il en coute.

Corps à corps allongé, mâles debout,
On s’invite,
Tout au bout du tunnel, coup après coup,
Nous incite,
A repeindre la nuit, de nos blancheurs,
Illicite,
Glisse entre nos doigts, cette liqueur,
Qui nous quitte,
Coulent sur nous les heures, le corps vidé,
Oh vite, vite,
Chaque nuit pour toujours, l’éternité,
Tu m’habites.

Tout se dissout quand tu m’habites
Plus de question, plus de doute,
La vie s’excite, le monde exit,
Et tu ne quittes plus ma route.
Moi je suis saoul quand tu m’habites,
Les sensations à la déroute,
Quand tu m’excites, enter- exit,
Je suis à toi, quoiqu’il en coute.

Les yeux roses



La rose blanche

Le bruit des pas s’éleva dans les étages lorsque la jeune chaleur du matin le décolla du bitume. Les pas, lourds et empresses, endormis et empâtés des travailleurs matinaux, flottaient doucement dans l'air clair du matin, transpercés par le vol éthéré des oiseaux marins. Par la fenêtre entre-ouverte, le jour, la vie, le monde, la réalité, traînés par le bruit des pas, cortège loufoque et funèbre, solennellement ridicule des matins quotidiens, envahirent la chambre tous ensemble, marée triviale, barbare et militaire.

Souillant la virginité d'un sommeil adolescent, piétinant le lit, les draps, jusqu'au visage pale ou bourgeonnait encore le sourire beau et niais des rêves a l'agonie, la marée monte. Le corps réagit, robotiquement, et se met en marche, funambule et somnambule, suivant les pas insistants de la foule... La ville monte, le corps descend, a contre courant des ondes humaines. La vie décroche les rêveurs que l'aube avait pendus, et d'un pas hagard, le corps aveugle, l’œil inerte, masque d’Orphée, le voilà descendant lentement l’échafaud, marche après marche vers le gouffre sans fond des habitudes rances. Telle est la punition infligée aux innocents potentiels.

Parcourant le fil fragile qui sépare songes et quotidien, descendant le long escalier -mais comprenait-il au plus trois ou quatre marches?- menant de l’éden aux enfers, dans l'infinie finesse de l'instant présent, le condamné pourtant semble narguer sa peine. Car le réveil pour lui, ce jour n'aura pas lieu, et quand le gibet s'effondre pour crever ses paupières, il ne découvre pas ces yeux, accusateurs, qui empoisonnent les songes et étouffent les faunes oniriques. Sous les paupières, juste devant l'iris bleu et gris dilaté par la nuit, avaient poussé durant la nuit deux roses superbes, blanches, immaculées, dans la splendeur de leur éclosion nouvelle.

Tel est l'horizon ce matin, lacté, nacré, infiniment doux et soyeux, clair et pur, rayonnant et éblouissant, le premier matin du monde, le premier matin d'un homme, le premier matin d'un cœur, le premier matin d'un amoureux balbutiant qui s’éveille sans s'y attendre à la lumière crue des premiers sentiments. Tout n’est que roses blanches, tout ne sent que parfum de roses blanches, tout chante ce que chanteraient les roses blanches si les roses blanches pouvaient chanter. Passants, taxis, passages piétons, centres commerciaux, mendiants et filles de joie, hommes d'affaires et teckels, tout n’est que rose blanche.

Quelle vague ! Ce colosse devant lui, ce gouffre et cette montagne, ces chevaux galopants et ces flocons délicats, ces soldats féroces, ces hordes de beauté s'abattant sur lui, sur elle... Était-ce le matin ? Était-ce la vie ? Était-ce la fin, la mort, le crépuscule déjà ? Ce n’était que l'amour, déployant ses pétales blancs et ses chants de sirène aux yeux et aux oreilles d'un cœur ignorant, handicapé de jeunesse.

Et la rose vivait dans le matin comme vivent les roses, un pétale tombait, en repoussait un autre, plus blanc et plus soyeux, recouvrant les immeubles et le gris des voitures, les pétales poussaient sur son chemin devant l'iris bleu-vert, les pétales fanaient, mais qu'importait la mort ? A rose blanche rien d'impossible, chantaient les chats des rues dansant sur leurs pianos.

La jeune fille en fleur avance dans les rues, s'aventurant plus avant dans la réalité, l'heureuse aveugle funambulait toujours lorsqu'un couteau tranchant transperça sa joue droite. Qu'avait-t-elle entrevu, entre les pétales doux de l'amour débutant ? Quelle chimère atroce, la rose fourbe lui avait-elle fait voir ? Un texto peut-être, l’écran vide de son téléphone, une autre fille peut-être ou un garçon ? Non, ce n’était pas grave... Calmons-nous. Le couteau se retourna dans la plaie. Toutes les roses blanches, ne parfumeront pas ce silence. C’était grave, l’écran restait vide. Trente secondes. Un autre poignard, et autre écran vide.

La rose, garce tendre florissant devant ses yeux, vivait son matin comment vivent les roses, et à neuf heures quatorze précisément, sur le chemin de l’école, une épine lui avait poussé. Risibles enfants qui voient en chaque épine un poignard acéré ! Et pourtant...
Et pourtant sur sa joue blanche d'adolescent perdu perlait désormais une larme de sang, qui coulait, qui coulait, alors que la jeune épine s’enfonçait dans la chaire tendre de la joue jusqu'au cœur. Rouge le sang des innocents, comme celui des autres. Lentement, comme tombent les pétales, le sang coule sur la peau blanche, la joue pâlit encore, et la rose, s'abreuvant au sang chaud des premières amours, rosit très lentement, comme rosissent les roses.


La rose rose

Il était à présent onze heure quarante, et la rose était tout à fait rose, d'un rose de jeune fille, d'un rose de jeune homme, d'un rose universel, insolent et confiant, le rose d’après la messe, d’après la communion, quand le blanc est fané, que le soleil pourfend des nuages avant le déjeuner du dimanche et qu'on ignore, rebelle jeunesse, la voix des parents implorant désespérés qu'on mette le couvert.

La fleur ingénue prospère toujours, volage et facétieuse, sa corolle rose couvrant les murs des universités, et dans sa sève vigoureuse flottent les vers sucrés, et d'autres dramatiques, mais tous capiteux, tous chevaleresques, de poètes maudits -tous ont espéré l’être, tous ne l’étaient pas- lançant des regards et des défis, minuscules et gigantesques. Et l'on rougit a travers les âges, et l'on palpite, d'un bout a l'autre d'une génération de roses. Casquette a l'envers, uniforme strict, jupe fluide ou provocante, jean anonyme et lunettes noires, costume gothique ou t-shirts pastels, tout est rose rose à l'âge romantique. Les serments traversent les rues sans regarder, les promesses boivent avant de prendre la route, les fidélités fument dans les lieux publiques, les fiançailles se baignent moins de deux heures avant d'aller manger, les sacrements vont ensemble a la buvette.

La rose rose, fière et arrogante, pavane et parade, son parfum aguicheur, bon marché, dansant comme un ruban, s'enroulant au cou des filles, au bras des garçons. La rose rose perd un pétale, il en repousse deux, plus entêtants et plus menteurs, parlant comme parlent les roses roses, de ces mots de drogue douce.

Cette vapeur, cette brume, ce romantisme qui rampait encore en fin de matinée juste au dessus de l'herbe verte du jardin, cette fraîcheur infinie, mordante et douce, cet adorable pincement, cette angoisse délectable lorsqu'il disparaissait, lorsqu'elle réapparaissait par derrière, couvrant ses yeux bruns-verts de ses doigts coupables... Qu'il est doux d'avoir apprivoisé déjà, si tôt dans le matin, les ardeurs traîtresses des soleils blancs ! Ainsi se félicitent les roses roses devant les yeux des gens, dansant et pavoisant. On dansait, rougissait, souriait, transpirait, soupirait, se félicitait, se flattait, déclamait et récitait les amours passées... Le ciel bleu-rose, le soleil jaune-rose, les nuages blanc-rose, les rues grises-rose...

Et un poignard, en fer, de ce fer presque vert, de ce fer un peu rouillé, vient encore se planter dans la joue rose-rose. Un serment bafoué ? Que nous dit ce texto ? Un poème trivial, est-ce l'ennui même qu'on fait rimer ? Et la rouille sur cet anneau ? Non le voilà qui chante à présent, l'amour existe encore. Un poignard encore ? C'est Rimbaud qu'on assassine, ou du moins son pseudo, sa foule d'imposteur.

Car la rose rose, fière et aguicheuse, la jolie garce, le minet arrogant, a plongé ses épines plus loin dessous la peau, et la joue déjà rose depuis quelques années rougit encore un peu, et la rose déjà repue s'abreuve davantage, a la fontaine ou coule le sang du mariage. Les larmes pleuvent, le sang inonde les vastes plaines de la jeunesse, et dans ce marécage pathétique se dresse magnifique, une rose fonçant déjà, d'un rouge velouté, sombre et vif, crépusculaire et charnue, comme les lèvres du désir.


La rose rouge

Quinze heures sonnaient au clocher de l'église, et les cercles de plomb s'abattaient sur la ville. Heure lourde, implacable, totalitaire, quinze heures les unes après les autres avaient déjà fondu sur un jour à peine né, érodant les contours aiguises de la réalité, mêlant le monde et le soi dans une relativité subjective. On marchait, hommes et femmes, drapés de certitudes que l'on nomme force de l'âge, toges de philosophes amnésiques accrochés a leurs notes, scrutant dedans leur main les traces mourantes des antisèches d'antan, des numéros de leurs amours. Sur le bitume fondant et sous le ciel de plomb d’où avaient plu quinze heures déjà, on marchait vers le soir, et la rose repue, enivrée de nos sangs, était rouge à présent. Il avançait, pressé mais accablé, dans le rideau de pourpre des pétales charnels. Il ignorait lui-même le diable qui, assis sur son dos, accroché a son échine, le guidait. Ce diable aux yeux rouges sentait bon la rose, et sa voix familière, aux temps roses et blancs, l'avaient déjà mené vers des enfers familiers. Il avait juré, elle avait juré, nous avions tous juré, de ne plus y retourner, d'apprendre la leçon... Mais le diable rose efface les antisèches et fait suer nos mains. Alors il marche, elle marche, rose rouge devant les yeux, vers le gouffre exaltant des amours de quinze heures.

Quelle ivresse, quel délectable poison, que cette idiotie tardive que l'on s'autorise au midi de se vie, pour se ressentir jeune, pour se sentir tomber, pour se sentir aimer, pour se sentir mourir encore une fois. On se souvient mal du blanc, et le rose pâlit dans nos mémoires... Alors pousse le rouge devant nos yeux, violent, aveuglant, caressant, le rouge capiteux des roses de la passion, qui nous aiment excessivement, nous étranglent de baisers.

Mais à quinze heure quinze, lorsque tombe son pantalon sur ses chevilles, qu'importent alors le rose et le blanc ? Qu'importent les mensonges qu'on se fait à soi même ? Dans l’alcôve de pétales pourpres, dans les deux millimètres qui séparent son œil de la fleur, dans l'infinie minceur de sa réalité, ils étaient simplement là et à l’ abri du temps, parcourant la peau comme en pèlerinage, infiniment profond et infiniment intense, comme aux derniers instants, comme aux au-revoir sans prochain rendez-vous.

Rouge redevient le lit qui avait refroidi, rouge redevient la lèvre qu'on avait oubliée, rouge redevient le futur qu'on avait peint en gris. Et l'on se damne à genou, priant la rose rouge, de nous laisser sortir de ces grottes jolies ou l'enfer fit son nid, il y a quelques années, il y a quelques roses.


A quinze heures vingt en dégrafant son soutien gorge, elle emplit sa poitrine de ces vapeurs d'opium, car le rouge la rend belle encore, plus belle qu'avant peut-être, elle aime à le penser. Devant ses yeux la roses et sa corolle fière lui chante en langues mortes qu'elle ne s'est pas fanée, qu'elle a juste foncé, ton après ton, et qu'elle foncera encore sans perdre sa beauté. Dans les vapeurs d'opium, sur les corps aveuglés, marchent les piétons, roulent les voitures et les tramways, galopent la vie, les heures pressées, et sous la rose rouge, rien n'est jamais trop long, rien n'est jamais trop lent.

Quinze heures trente. Un coup unique retentit, fatal et froid, pas de cercle de plomb, une dague, une épée, qui s’élève et retombe, tranchant l'air et l'opium, fendant les corps unis. On jette un œil a travers les pétales sur l’écran du téléphone. Un mari, une femme, un travail, une vie ? Bien plus grave que tout cela. L'aiguille d'une montre, l’épine d'une rose, le temps qui passe sur le bonheur, l’érodant un peu plus, laissant les âmes nues face au sommeil, face au néant perpétuel du lendemain. Rougis ma rose, rougis, et bois encore mon sang si tu ne rougis pas de honte. Car déjà tu t'effaces, plus foncée, toujours plus éphémère, et renaissent le monde et ses chemins sans vie lorsque le corps s’éloigne. Et la route reprend sous le soleil de plomb, sous le cadran des heures qui martèlent encore, et il cherche en vain, ajustant sa cravate, les traces de l'opium dans le bitume chaud. Alors qu'elle se recoiffe, elle parcourt le miroir de ses yeux nus, entre les cernes, entre les rides, et entre les années, la beauté, la jeunesse, les roses, qui fleurissaient à quinze heures vingt-neuf, à quinze heures trente-et une s'en étaient allées.
Mais la rose prospère, et le sang coule à flot, car qu'est la vie des roses, sinon des flots de sang, inondant des cœurs, noyant des corps, en torrents, en marées, en fleuves, en déluges, et la rose rougit à n'en plus pouvoir.

La rose noire.

Il est vingt et une heures et les ombres s'allongent, faméliques et fragiles, longues tiges ballottées par le temps. Les heures raccourcissent en frôlant l'horizon, se courbent pour passer sous le ciel bas, et tout semble accéléré. La jeunesse sort, parée de romance, d'insouciance, de roses blanches et roses, les amants baissent leurs pantalons, dégrafent leurs soutien gorges et s'aiment sous les pétales rouges, mais que sont ils vraiment, a vingt et une heures, sinon des souvenirs, des ombres frêles aussi et prêtes à se briser ?

Car elle marche à présent le long des rues pavées, et les rues s'allongent, et les rues s'inclinent, et le futur est une montagne, de plus en plus inaccessible. Le soir se lève, et s’entend sur la ville, elle s'y attendait bien-sur. Elle y pense depuis des années, mais la voilà trompée. Elle attendait le soir, et avec lui la paix, le calme et le silence, l'horizon paisible et dégagé, et le ciel libre enfin, ouvert sur l'infini. Elle ne voit rien de ça, elle ne voit que la rose. Cette rose encore, qui fleurit sans répit, revient encore ce soir et s'impose, apaisée et grandiose, juste devant ses yeux. Passées l'innocence, l'arrogance et la passion, c'est une rose grave, une fleur solennelle qui fleurit aujourd'hui.
La rose noire est fleurie a présent. D'un noir rayonnant, d'un noir vibrant et profond comme le noir de la nuit. Plus belle et plus pure que jamais, digne et apaisée, déployée en silence devant les yeux fatigués. Il monte la rue, il n'en peut plus, mais devant lui la rose noire, étalant la nuit dessous et dessus ses pas, l'appelle encore une fois. Quelle est la voix des roses noires ? Une voix d'outre-tombe, triste et fantomatique ? Une voix du passé, familière, rassurante ? La voix de la mort future, qui invite et qui tente ?
Non, la rose noire chante toujours la vie, elle parle des lendemains comme on parle d'un rêve, elle parle du plaisir, elle parle des blessures, un sourire aux lèvres... Tais-toi, Rose tais-toi !
La rose noire berce, elle ensorcelle et envoûte, elle enchante et endort. Tais-toi Rose, crient-ils, laisse dormir en paix mon passé, mes gloires et mes erreurs, mes hontes et mes plaisirs ! Le passé, s'amuse-t-elle ? Et la rose noire marche devant eux, et les serments traversent encore la rue sans regarder, et l'opium s’échappe de quelque alcôve rouge, et les pétales blancs recouvrent les murs gris.

Je ne suis pas un deuil, je ne suis pas l'oubli, je ne suis pas l'espoir, je ne suis pas demain. Je suis l'amour fou, l'enfer et le paradis, le diable et tous les anges, je suis l'excuse, l'alibi, qui donne a l'existence une valeur, la valeur de sa démence. C'est le chant des roses noires, dans leurs langues mortes.
Alors que la rue monte en sommets inouïs, alors que les heures passent avec frénésie, que les chants du passé, du présent, du futur se mêlent à la nuit en un vacarme sombre, la rose noire se fige et attend les amants. Il vient, elle vient, ils sont juste au devant d'elle.
Minuit sonne déjà, elle étend une épine, acérée et divine, vers la joue presque froide. Quelle est cette douleur ultime ? Bien au delà du corps, bien au delà de l’âme, la dernière larme de sang s’écoule lentement.

Une vie a passé, des roses devant les yeux, le temps s'est écoulé, le sang s'est écoulé, et la rose a noirci, l'amant n'a rien appris, des roses devant les yeux, il n'a rien vu passer. Les yeux roses voient autre chose, aveugles et clairvoyants, ils guident les amants sur le fil mince qui sépare l'enfer et le paradis. A la frontière fébrile, facétieux ils s'appliquent a tomber ça et là, d'un coté et de l'autre. La vie, la mort, le réel ou le rêve n'ont pas leur mot à dire. Car rien n'est plus vrai, et rien n'est plus faux, que ce que voient les yeux roses, tout le temps d'une vie.

samedi 19 septembre 2015

La fuite des idéaux




Dans tout cet air



Dans tout cet air…


Dans tout cet air autour de moi,
Flotte la vie, flottent les voix,
Dans tout cet air qui me noie,
Respire un monde où tu n’es pas.

Devant mes yeux s’écoulent des peintures,
Maquillant de visages les tristes murs.
Clown menteur qui jette les couleurs,
Pour tromper le vide, il fait peur.
Des kilomètres d’art plombent le ciel,
Le rêveur est privé de son sommeil.
Respirer tout cet air plein d’acrylique,
Dangereux pour les yeux, tableaux toxiques.

Dans tout cet air autour de moi,
Coule la vie, coulent les voix,
Dans tout cet air qui me noie,
Suffoque un monde loin de toi.

Pour tuer les silences un musicien,
Lâche dans l’atmosphère un clavecin,
Les églises se jettent dans le vide,
Egorgent de leurs flèches patricides,
Le créateur des ciels démesurés
Qui séparent nos peaux abandonnées.
Respirer tout cet air plein de tambours,
Dangereux pour les voix, heureux les sourds.

Dans tout cet air autour de moi,
Se meurt la vie, meurent les voix,
Dans tout cet air qui me noie,
Restera-t-il un peu de toi ?

Diluer le parfum, de ton être,
En ouvrant les portes, les fenêtres,
De cette prison d’air, où j’habite,
Ces fausses libertés qui irritent.
Odeurs de sainteté, vous blasphémez,
Les essences précieuses, périmées.
Un peu de pureté, nécessaire,
Dans ton corps fantasmé, je m’enterre.


Et tout cet air autour de moi,
Dissout la vie, dissout ta voix,
Dans tout cet air où je me noie,
Mon âme cherche tes bras.

Des atmosphères d’illusion, au fond,
Imitateurs, usurpateurs absconds,
Le grand spectacle sans relâche,
Jouent la comédie des absents, des lâches,
Peintres et musiciens, tous parfumeurs,
Camouflent des instants du temps trompeur.
Dans les respirateurs artificiels,
Je ne sens que le vide de mon ciel.

Dans tout cet air autour de moi,
Vagues de vie, vagues de voix,
Dans tout cet air où je me noie,
Veux-tu te noyer avec moi ?

J’ai choisi d’habiter une falaise,
Sur le bord d’un rocher, où rien ne pèse,
J’y respire l’horizon, les frontières,
Le vent chasse pour moi ce trop plein d’air.
Chaque inspiration porte vers moi,
Les pays inutiles où tu n’es pas,
Massacrant ces kilomètres barbares,
Nous respirons tout l’air qui nous sépare.

dimanche 13 septembre 2015

J'ai couché avec ton absence



J'ai couché avec ton absence

1.
Moi qui me croyais seul dans cette pièce nue,
Ne sentant que les murs sur mon corps dévêtu,
Noyé dans l'air trop froid qui noircissait la nuit,
Abusant mon sommeil, elle entra sans un bruit.

De son pas de velours
Toute voilée d'amour,
Hautaine et sans détour,

Elle fondit sur moi et prit mon souffle court.

2.
Moi qui ne suis qu'un homme plein de mauvais fluides,
Le diable dans ce corps est mon unique guide,
Et dans ce lit immense, ivre de solitude,
J'ai trop vite perdu mes vieux réflexes prudes.

Hauts et bas de soie,
Flottant d'elle à moi,
Endormant les "pourquoi",

Dentelles de mémoire tombèrent à mes pieds.

3.
Menteuse sans visage, qu'elle te ressemble!
Elle nous épiait quand nous étions ensemble.
L'incarnation du manque viola ma raison,
Mes yeux te dessinaient sur son masque de plomb.

Voilée de souvenirs,
Mon cœur froid de saphir,
Oublie comment frémir.

Sa main ouvrit mes bras, singeant ta voix, ton rire.

4.
La nuit bleue des amants prend un deuil violet,
Quand au bout de son doigt un rubis affûté
Tranche sur le cœur nu la serrure sans clé,
De la chambre rayée où nos corps s'attiraient.

Ma main en ascension,
Sur son sein sensation,
De tes palpitations,

Par l'absence perfide feintes à perfection.

5.
L'ennemie me chevauche et mes yeux éblouis
Par ton corps disparu s'aveuglent à présent.
Elle s'engouffre en moi profitant de mon cri,
Arrache de ma gorge ton nom omniprésent.

Négligé étouffant,
Sur mon torse tremblant,
T'écorche en dansant,

Sur le cadavre chaud de notre livre blanc.

J'ai couché avec ton absence,
Et je lui suis fidèle.
Car dans cette démence,
Mes yeux ne voient plus qu'elle.
Sur la Terre désertée,
Et d'ombres surpeuplée,
Moi l'humain pénitent,
Mendie un faux semblant.

J'ai couché avec ton absence,
Tout en la maudissant,
Et mes mains l'étranglant
Transpiraient ton essence.
A genoux dans le lit,
J'implore ta vengeance,
Je prie ta jalousie,
Honnis ton indulgence.

Viens punir ta rivale,
Interromps cette transe,
Viens abréger mon mal,
Viens tuer ton absence!