1. Entre les gouttes
Entre les gouttes montaient,
ce matin virginal,
Les vapeurs sulfureuses
d'une nuit d'agonie,
Qui mourait doucement et
glissait vers l'oubli
Parsemant l air trop pur
d'un parfum animal.
Souvenirs transpercés, par
les gouttes tranchantes,
d'une jeunesse, d'un amour,
d'un semblant d'innocence,
Joies diluées dans la pluie
de l'aube triste et lente,
des sentiments usés
moisissaient en silence.
Dans un deuil élégant, des
passants graves et lourds
agressés par les gouttes,
agressés par le doute,
Dans un deuil révoltant,
des passants au cœur court
Agressés pas le temps,
s'exilent sur la route.
Entre les gouttes grises
s’évadaient ce matin
Les soldats sans fierté
d'un bataillon vaincu
Pauvres oiseaux sans tète
combattant leur vécu
Hagards et couards,
prisonniers des regards.
L'insu devant, l'oubli
derrière, le vide au cœur,
L'obus dessus, la pluie de
feu des temps présents,
L'incertitude qui les
frappait épargnait le rêveur,
Qui fermait sa fenêtre,
lorsque pleurait le temps.
- Dans les gouttes
Et dans les gouttes ce matin
la,
Novembre élevait ses
enfants.
Dans le gris jaune d'un ciel
absent,
naissait la beauté du
neant,
Le distillat des jours,
l'essence des toujours
Changeait la rue en fleuve
lent.
L’été mourant et
soupirant,
Et son cortège
d’endeuillés,
Les joies faciles,
ensoleillées
Flottaient un temps puis se
noyaient.
Dans les gouttes ce matin
la,
Nageait un poison, un
soupçon,
L'inconnu qui délave
L'arrogant qui se lève,
L'angoisse dont se gavent
Les meurtriers sans glaive.
Que déversait novembre
Dans cette pluie trop
claire,
Qui arrachait des membres
Aux armées les plus fières?
Novembre dans ses larmes,
Pleurait l'acide quotidien,
La plus redoutable des
armes,
Le silence, le vide, le
rien.
Et le néant pleuvait sur
des cranes ouverts,
D’où l’été
s’échappait, et où montait l'hiver,
Ces cranes sans idées qui
partaient au bureau,
Suppliaient sous la pluie la
grâce du bourreau.
- Sous les gouttes
Sous les gouttes ce matin
la,
Glissait un homme d'un pas
lent.
Ses joues coulaient sous les
gouttes glacées,
Son visage roulait sous les
perles du temps.
Dans les sillons creusés
aux berges de ses yeux
Par les années de pluie
étiraient son âge,
Dévalaient ce matin en
trombe ces orages
Qui gravaient sur son front
l'esquisse du mot « adieu ».
Que la vie soit naufrage ou
qu'elle soit odyssée,
On se rêve héros, on finit
rescapé,
La pluie et les tempêtes,
déluges dérisoires
Inondant, endeuillant nos
risibles mémoires.
Ce qu'on perd, ce qu'on
gagne, en vivant chaque jour,
Un monde qui s'effondre, a
chaque instant succombe,
Un autre monde naît, un
champ de ruines toujours,
Perpétuel jardin,
perpétuelle tombe.
Tu rêves tu soleil dessous
ton parapluie,
Ne trouveras pas la paix en
évitant la vie.
Lorsque le vent tombe et que
sèche la pluie,
S'effrite le passé et le
futur s'enfuit.
De quelle matière étanche
a ces acides pluies,
Construira-t-on sa vie, de
quelle essence pure ?
Nous resterons toujours
immigrés du futur,
Les instants, des frontières
vers d'inconnus pays.
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