Il est sur mon bureau des monceaux de papier
Un encrier à sec, des plumes émoussées,
Un candélabre mort et maculé de suie,
Et des bouteilles vides éventrées par la nuit.
Je erre dans ce décor naïf et affligeant,
Maudissant la blancheur des feuilles empilées,
Et la virginité de ma main timorée,
Qui tremble en caressant l’idée d’un sentiment.
Et cette nuit pourtant j’ai rêvé de débauche,
D’excès et d’opulence, de lettres passionnées.
Mais cette nuit encore mon poignet fut gauche
Et rien ne vint souiller ces innocents papiers.
Il est dans mon esprit tant de mots et d’idées
Des sentiments aussi, et qui meurent étouffés.
Comme tout y sonne bien ! J’aimerais te les dire…
Mais je reste muet et je tremble d’écrire.
Dans le délire niais de mes sommeils troublés,
Je prends pourtant la plume et je noircis des pages,
De sonnets merveilleux où ton nom vient rimer,
Et d’épîtres brillants où je loue ton visage.
Mais au matin les lignes se sont effacées,
Et la raison censure mes pauvres arabesques.
Je vois le ridicule de mes idées grotesques,
Et j’accouche à nouveau d’un chef d’œuvre mort-né.
L’homme que je ne suis plus, dès que j’ouvre les yeux,
Me juge, me condamne à un destin honteux.
Ton regard devrait lire ces mots que j’ai rêvés,
Mais mes doigts maladroits ne savent les tracer.
Lorsque sur le papier, fiévreux, je m’aventure,
S’accumulent bientôt lourdeurs et ratures.
D’un sentiment gracieux je bâcle le portrait,
Et mes banalités en corrompent les traits.
Alors pour vous mon ange je me compromets,
Je range au fond de moi mon honneur désuet,
Et je publie ces vers dépourvus de hauteur,
Car le silence me tue, bien plus que mes erreurs.
Ces amours légendaires, au matin avortées,
Mes yeux, mes mains, mon corps, sauront te les conter,
Et l’amant éloquent que je m’efforce d’être
Te fera oublier l’absence de mes lettres.
Il faudrait un génie pour honorer ma tâche,
Et pour te mériter, mais mon talent est lâche.
Je n’ai pas de génie pour te parler de nous,
Je ne suis qu’amoureux, mais un amoureux fou.
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