jeudi 22 mai 2008

Oublier le temps (II)




Il y a ceux qui partent, ceux qui s’évaporent, ceux qui se dissolvent,
Esclaves de leur fuite, ils courent à rebours et font tourner le monde.
J’ai beaucoup couru, je n’ai que trop fui, mais aujourd’hui je tombe.
Je tombe hors du temps, je laisse tourner les ombres et les fous qui s’immolent,
Tout autour de la terre, sur leurs orbites molles..

Tomber hors du temps, c’est chuter hors de prison, c’est tomber libre
Comme on tombe amoureux, une joie intolérable et une insulte au monde
Se complaire dans la chute et apprivoiser l’absence des heures, oublier leurs ombres,
C’est tuer les geôliers sans les remercier, se laisser survivre et s’épargner enfin.
Perdre le contrôle, celui qu’on supporte, aveuglément.

Il faut prendre un passe temps comme un passe muraille et dissoudre les chaînes,
Vivre en désaxé, les horizons brouillés, l’abscisse désordonnée.
Les pieds sur la terre nous entraînent, le temps gonfle les voiles du départ
Ce désir d’être porté lorsque l’on peut flotter est un caprice cher payé,
Le fauteuil du temps précède le handicap.

Les terres meubles, les sols impalpables, sont ceux qu’il faut savoir fouler
La confiance qu’on accorde aux trésors invisibles nous délie des regrets,
Et relâche à mon cou la corde nouée que le temps tend sans trêve.
Ces certitudes sans âges actionnent d’autres rouages et d’exotiques logiques,
Des narrations nouvelles qui tissent le fil du temps avec d’autres soies rares.

Il faut confier le plus lourd aux nuages légers, savoir remettre à demain,
Et remettre en des mains étrangères les encres noires qui suintent à travers nous.
Traverser la pluie et le bon temps, les brouillards acides des matins éteints
En conservant en soi l’horizon, et l’infini vers l’autre, ne pas viser demain
Mais viser un état, un état libre et de grâce.

Les temps morts sont des leurres, qui hantent les cœurs creux
Et les soupirs faciles des âmes prisonnières
Ces fantômes mythiques s’évaporent d’effroi
Dès qu’on tourne le dos à la funeste marche
Et le temps comme le vent, n’emporte que l’infime.
Ne voyagent avec lui que de sèches brindilles,
Et la chaleur de flammes qui n’ont rien su brûler.

Le reste demeure et voyage autrement, dans l’espace infini, sur cette route droite, qui relie l’indicible à mon être profond

mardi 20 mai 2008

Oublier le temps


free music



Préface à l’introduction des prolégomènes: promis, après cet article, je publierai quelque chose qui aura mobilisé au moins deux ou trois de mes neurones… Je suis en ce moment en plein casting pour sélectionner les meilleurs, et cela prend du temps, faute de candidats.

Du coup je balance des photos de fleurs, je publie mon agenda… Si ça continue je vais te mettre en forme ma liste de course avec des vidéos de fruits et légumes, et un super mini-lecteur audio avec Bourvil dedans qui te chante que la salade de fruit jolie jolie, jolie, plait à sa mèreuh et plait à son pèreuh.

Mais il faut me comprendre, vous avez lu mon agenda (et bientôt la notice de lavage de mes caleçons), et vous avez bien compris qu’en ce moment précis, c’est la crise…

Non, ce ne sont pas les 5h de répétition quotidiennes, ni le stress qui monte. C’est bien plus subtil que ça, et bien plus redoutable aussi. C’est un mal insidieux qui me ronge depuis exactement un an aujourd’hui, une angoisse pernicieuse qui inscrit dans chacune de mes cellules ce code effrayant qui me rapproche irrémédiablement (un mot au dedans duquel il y a diablement, tu sens la présence du démon dans cet article) du début de la fin… Et cette malédiction qui plane au dessus de ma tête comme un pigeon boulimique au dessus d’un paquet de chips s’abat sur moi aujourd’hui même…

Moi: Tu comprends ?

Toi: Gné ?

Moi: Bon remets ta mouche Merteuil, après j’texplique.

D’abord je tiens à rappeler au lecteur étourdi, et conséquemment pendu par ses tripes au clocher du village à l’heure qu’il est, que l’article « demandez le programme » contenait une énigme de haute voltige, niveau trapèze volant, du genre :

« Le jour le plus important du mois de mai est entre le 19 et le 21 »...

Çà se pose comme énigme, hein? Déjà, Da Vinci Code est relégué au rang de cahier de vacances pour moyenne section, et la quadrature du cercle est confiée à une bande de fillettes avec des pâquerettes dans les cheveux (elles dansent des rondes, elles sont donc tout à fait à même de résoudre la quadrature du cercle si elles se donnent la peine de danser un peu en carré de temps en temps… En comptant le nombre de pâquerettes qu’elles peuvent cueillir dans l’espace ainsi formé, et en les effeuillant le nez en l’air, elles trouveront Pi à trois pâquerettes près -infaillible!).

Je vous imagine, froissant des brouillons, barbouillant des tableaux d’équations, affûtant vos compétences intégro-différencielles, dépoussiérant vos traités de thermodynamique, vous arrachant les cheveux alors que le balayage est tout neuf…

J’ai décidé d’abréger vos souffrances en vous offrant gracieusement (suis pas danseur pour rien) le résultat de l’énigme. J’invite Bécassine et Pollux à me rejoindre sur le plateau pour nous révéler le résultat de ce problème épineux!

Rappelons les nominés :

- Pi

- 20

- 1981

- Tata YoYo

- Dominique Blanc qui joue Phèdre au rayon abats du franc-prix en bas de chez toi.

Ben tiens toi bien, la réponse est 20, et par la magie d’une coïncidence comme qui dirait pure et fortuite, c’est pile la date d’aujourd’hui.

Le nom des vainqueurs sera affichée en haut des commentaires datés d’aujourd’hui.

Et donc aujourd’hui, comme c’est le 20, j’ai 20 ans, na ! Comment ça ça marche pas comme ça ? J’ai décidé ! N’empêche que hier encore… bon remplace toi même les 20 par des 26 dans la chanson.



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Je sais, je suis drôlement narcissique de poster moi même un article sur mon blog pour me fêter un joyeux anniversaire. Mais sache que je le fais par pur altruisme.

D’abord, parce que si je ne prouve pas régulièrement mon narcissisme, certaines personnes sont bien déçues, elles n’ont plus rien à me reprocher, alors elles m’en veulent, elles ont peur. C’est aussi pour ça que je prouve souvent mon égoïsme et mon immaturité. Je mets en quelque sorte de l’eau du bain dans le moulin, et le bébé avec.

Ensuite parce que mon approche habituelle des anniversaires, c’est plutôt ça : je ne rappelle jamais rien à personne, et j’attends impatiemment 00h01 le 21 mai pour rayer définitivement de mon carnet d’adresse chaque inconscient qui a oublié de me chanter des louanges et de me souhaiter du bonheur. Evidemment, après un moment, je reprends contact, suis pas si ingrat. J’envoie un gentil petit mot, agrémenté d’un cocktail de bactéries amazoniennes mortelles pour m’assurer que le félon mourra dans d’atroces souffrances pour le reste de sa vie misérable.

Donc là, altruisme flagrant, mesquinerie apaisée, sagesse évidente, je vous tire tous de l’embarras en vous laissant cet espace privilégié pour penser à moi, et bénir mon année nouvelle. Cet article, c’est en quelque sorte un sanctuaire où tu peux te recueillir… Comme c’est beau… Si tu veux tu peux parsemer ton clavier de fleurs de lotus pour laisser ton commentaire. Sauf que tu verras moins bien les touches, c’est à toi de voir.

Plus sérieusement, soyez gentils, c’est assez flippant comme ça de voir filer les années quand on nourrit ses passions de fougue, de beauté juvénile, de chevelure flamboyante (heureusement, il y a la gamme John Frida « brillante brunette »), de grands écarts et de courtes nuits…

Bizarrement, en ce jour, plus que jamais, je me sens fougueux, immature, impulsif, excessif, obstiné, passionné, ambitieux, égoïste, borné, fragile, lunatique, sensible, instable… donc plus que jamais j’ai la conviction d’être moi, et que cela ne changera pas. C’est peut être là la seule forme de sagesse qui ait pu germer en moi : je sais maintenant que je ne renoncerai jamais à mes doux vices et à mes rêves démesurément mégalo. Va falloir vous les coltiner encore un moment !

Et puis cet article est deux en un (un article et un adoucissant ? un article et un baume orthographique ? Un article et un après-article ?). Parce que c’est aussi aujourd’hui l’anniversaire de mon Viking. C’est sympa qu’il y ait d’autres gens qui vieillissent avec moi. Prenez exemple !

Grattis på födelsedagen !

En fait la vie n’est pas si moche! Allez, musique !



free music

lundi 5 mai 2008

Le grenier des anges


free music


Parmi les plaisirs coupables dont j’ai pavé les chemins de mon quotidien, l’un de mes favoris est sans doute de me perdre. Il n’est pas ici question d’évasion, car si l’évasion est une fuite, la perte naît d’une quête. C’est d’ailleurs lorsqu’on a trouvé, ou qu’on a été trouvé, que l’on cesse d’être perdu. Ainsi, lorsque le temps s’y prête et qu’on m’a prêté quelques heures, je quitte mes antres familières, et vagabonde au gré des exotismes, guidé par les chants perfides et suaves de ces ailleurs illusoires, dont le beauté est souvent plus évidente lorsqu’on la devine au loin.

Ne laissant derrière moi qu’un sillage parfumé ou un air entonné (pour être pleinement appréciée, la perte doit parfois durer. Il convient ainsi d’être un peu discret, car l’exubérance fane les ailleurs), armé d’une naïveté proche de la transparence, je laisse les foules actives et influentes me porter sur les boulevards du crime.

Je me délecte particulièrement de l’effervescence des marchés printaniers où, bousculé par des effluves parfois trop charnelles, par les voix qui appellent et celles qui malgré elles me rejettent, je suis à peu près certain de me retrouver très vite là où je ne pensais jamais atterrir (c’est ainsi que la probabilité de me trouver à comparer le prix des navets bios un samedi matin sous la pluie n’est pas nulle).

Alors dans le chaos, dans la violence du hasard, l’inattendu dessine des constantes, des vérités auparavant illisibles. Quand tout s’efface sous la pluie des différences, le maquillage coule en premier (chez certains, il est waterproof). Il reste une trame, des traits plus simples et plus clairs, des perspectives plus nettes qui expliquent des compositions trop complexes. Devant les navets bios, les yeux fixant le ciel, je regarde les nuages crever sur moi en torrents diluviens, les cheveux collés aux épaules, faisant couler le long de mon corps et jusqu’aux égouts des idées inutiles, obsolètes, étrangères, parasites et sans avenir. Elles s’en vont rejoindre dans le caniveau quelques pommes abîmées et deux têtes de poisson. Peut être seront-elles la proie d’un chat de gouttière en quête d’inspiration. Alors la perte s’achève, je retrouve mes repères et je me reconnais, je lâche mes navets bios et cours acheter un pot de Ben and Jerry’s Cooky Dough.

Je dois cependant confesser qu’une de mes pertes favorites ne doit rien au hasard ni au vagabondage. On peut se perdre dans une rue, dans un labyrinthe, ou devant les navets bio sur un marché douteusement bigarré. Mais depuis une éternité (avant que je ne découvre les crèmes glacées hyper caloriques, donc une éternité), c’est dans le temps que je me perds le mieux. Entre les pages d’un album photo (n’est il pas légitime d’être nostalgique quand on approche de ses 5 ans ?), au fond de mes placards lorsque je décide de les ranger (goût prononcé pour l’archéologie détecté très tôt), j’adore me perdre. Mais le top, c’est le grenier (normal… par définition… oui d’accord il reste le toit dessus, mais on s’y perd difficilement).

Depuis de longues années, il y a près de chez moi un grenier remarquable. N’ayant pas la chance de disposer moi même d’un grenier, mes rêves étaient cruellement privés d’antichambre, et les portes du ciel me semblaient parfois redoutablement verrouillées. J’ai donc été contraint par ces dispositions inhumaines à utiliser des greniers étrangers, et il se trouva que mon oisiveté curieuse était la clé de l’un des moins conventionnels.

Le grenier des anges se trouvait sous le sol, c’était un grenier qu’il fallait mériter. Plus qu’un grenier, c’était l’idée d’un grenier, un essentiel, une réduction de grenier, un grenier d’urgence qu’on pouvait pénétrer si on se faisait suffisamment petit.

Alors commençait un voyage plus grand qu’on eût jamais pu l’imaginer dans 9 mètres carrés (et 1 mètre 60 de hauteur sous plafond). A chaque pas fleurissait un univers, on se retournait, et c’était encore une autre époque, un autre rêve réduit ici, stigmatisé, mis en scène ou en carton. D'insignifiants détails empilés dans une anarchie savante donnaient au visiteur juste ce qu’il fallait d’anecdotes légères pour que l’exotisme soit vraisemblable. L’importance que revêtaient ces objets dérisoires leur provenait de la distance et du temps qu’il leur avait fallu parcourir pour nous atteindre. Ils nous amenaient les soucis du quotidien qui donnaient aux anges leur importance, à la beauté sa nécessité. Sur les pavés glissants, la nuit pouvait tomber, mais au dedans, toujours, il suffisait d’ouvrir une malle pour qu’un parfum vous transporte dans le nuage poudré d’une belle du dimanche, ou mieux encore qu’il vous laisse entrevoir le printemps prochain dans le bouton de rose qu’un chérubin effeuille au bord d’une fontaine.

Seules les frontières du rêve cantonnaient cet espace, et le temps élastique en repoussait les murs.

Derrière les monceaux scintillants, on percevait la présence d’une dame. Seulement sa présence, pas son existence. Un être sans âge éternellement jeune, ou éternellement vieux, qui s’était répandu parmi tout ces bibelots, exposant une vie mieux qu’on la raconterait.

Car après tout, qu’est-ce qui mieux qu’un grenier peut raconter la vie ? Ici le temps est couché en strates distordues. La complexité des influences est méticuleusement retranscrite par l’empilement progressif et aléatoire de ce qu’on laisse derrière soi. Les humeurs indescriptibles reparaissent à la faveur d’une lumière imprévue. J’aime ouvrir les greniers comme on ouvre une boite à musique. D’abord, tout est mort. Puis on ouvre, et la musique jaillit, la lumière d’un regard traverse le prisme des années et fait naître sur les murs les images du passé.

Les greniers parfois s’échappent. Ils sont si près du ciel, imaginez le vent. Alors on les oublie, comme on oublie un rêve. Et au détour d’une rue, on tombe sur cet endroit, sur ces sensations oubliées, et le grenier des anges est à deux pas de chez moi.

Comme ce grenier auquel je pense depuis une semaine, ce grenier qui m’échappe, mais dont je n’ai jamais voulu m’échapper. Cet endroit gris et sombre où ma sœur et moi finissions en douce les repas de famille trop pesants, et où nous voyagions sur des photos de calèches que de lourds chevaux tiraient fièrement. Là se rejouaient les jeux du passé, les insouciances surannées reprenaient du service. Dans des berlines de métal, escortées d’un régiment de soldats de plomb, les années quittaient les lieux. Et tous ces enfants s’affairaient ensemble. Ma sœur et moi réglant sur un tableau noir des comptes très importants, ma mère de 6 ans écrivant sur son cahier de poésie, mon grand père s’appliquant à quelque nature morte pour son cours de dessin, mes oncles se moquant de ma tante et de son vieux landau.

Dans les coins on trouvait des boites sombres et scellées où les peines et les épreuves étaient enterrées. On les cachait ici mais on les lisait mieux dans les sillons qui serpentaient sur les visages de mes aïeux. Parfois la lumière se perdait dans cet encombrement. Elle soulevait les draps blancs qui séchaient sous les toits, et la poussière des craies dansait dans la clarté furtive. Le grenier était alors comme un champ à la campagne, parfumé et frais, où sous des arbres fruitiers, une dame regardait ses enfants jouer dans la lumière.

Une dame sans âge, qui montait les draps pour qu’ils sèchent sous les toits. Elle s’est envolée, au gré du dernier souffle, vers des clartés plus permanentes. Mais il reste le grenier, si près de chez moi, où j’aime tant me perdre.

Il y avait, du temps de grand-maman,

des fleurs qui poussaient dans son jardin.

Le temps a passé, seules restent les pensées,

et dans mes mains...