mercredi 9 février 2011

A la vie

A ces obus aigris
Qui pleuvent sans répit
Qu’avons-nous à répondre ?

D’autres obus encore,
Quelques plaies sur nos corps,
Et nos mines amères

Ils pleuvent bruyamment et nous osons nous taire,
Les laissant réciter leurs sonnets militaires
Et nos courages fuyants déjà se font la malle
Remettant nos destins entre des mains plus sales.

A nos amours éteintes,
A nos romances feintes,
Qu’avons-nous répondu ?

Quand nos amants pleuraient
Notre moralité,
A nos noces trompeuses.

Et encore le courage, riant de nos vœux pieux
Faisant trembler le doigt qu’encerclait une bague,
Et encore le destin dans un cynisme vague
Qui au fond de l’église amusait les aïeux.


Quand la mort brûlante
Evapore nos corps
Qu’est-il à dire encore ?

Quelques larmes subtiles,
Un peu moins volatiles
Que nos amours pastel.

Nous restons désarmés, conscients et périssables,
Brièvement lucides, et pourtant pétrifiés,
Quand nous devrions voir le hasard improbable
Du destin bienveillant qui nous fait exister.

De la vie qui s’érode,
A chacun de nos pas,
Que savons nous déjà ?

Que quelques soirs d’été
Doivent faire oublier
Des années de douleur.

Mais nous restons aveugles aux crépuscules fauves,
Aux floraisons tardives et aux nuages mauves.
Et nous laissons couler au fond des jours plaintifs
Ces bonheurs étouffés par des chagrins trop vifs.

vendredi 4 février 2011

L'autre strip tease

L’autre strip tease.

I
Je suis à côté de lui, étendue dans le lit, comme jamais je ne l’avais été auparavant. Je suis nue, complètement, aussi nue qu’on puisse l’être. Avons-nous fait l’amour? Nous sommes nous déchirés ? De ces deux violences, j’ignore laquelle dénude le plus. Il ne dit pas un mot. Je ne peux lui en vouloir, il ne me connaît pas après tout, et je le sais timide. Le silence me tue, mais quelle réponse pourrais-je apporter à ses paroles, au moindre de ses mots ? Mourrons donc en silence, pour cette nuit au moins. L’aube sera peut être plus éloquente.
Aux mouvements du matelas, je devine sa position. Il est assis sur le lit, depuis quelques minutes, depuis quelques heures, depuis un temps dilué. Il me tourne le dos, et je fais de même. Il pourrait être curieux, je viens de me dévoiler. Mais je n’existe pas encore à ses yeux. Je me bats dans son esprit contre un fantasme mourant. Je ne sais pas si ce combat connaîtra un vainqueur. Peut être disparaîtrons nous toutes deux de son esprit. Je le sens las de ces batailles.
J’accepte difficilement la nudité, je n’ai jamais aimé mon corps, je ne l’ai jamais habité vraiment. Et je suis là, nue, sous les yeux d’un homme qui a par ailleurs toutes les raisons de me haïr. J’imagine ses pensées, un sentiment sans mots, certainement, qui boue indistinctement en lui. Un flot de colère, de mépris, de pitié mêlés. Rien de ce qu’on espère inspirer en se déshabillant. Je ne peux pas bouger. Dans mes veines, dans mes membres, coule un liquide froid. Je le sens, partant de la plante de mes pieds moites, remontant jusqu’à mon crâne, lourd, me clouant au lit, statufiée.
J’avais passé presque un an comme un funambule. J’attendais la chute, en espérant qu’elle n’arriverait pas. Lorsque la lumière du matin pénétra enfin la chambre, il me sembla que j’avais enfin les pieds au sol. La chute était passée, atroce, mais à présent tout était calme, tout était stable. J’aurais frotté mon corps nu contre le sol, juste pour sentir la terre. Je n’avais plus rien à perdre, tout à construire. Une question cependant. Qu’allais-je faire de cette valise sombre, débordant de souvenirs blessés, prêts à sauter à mon visage…

II
J’ai toujours aimé observer la vie. Il y a autant de mondes que d’individus. J’aime les explorer. Pour voir le monde de celui-ci, je me mets dans sa peau, je prends ses traits, j’absorbe son histoire, et je vois lentement sous mes yeux se métamorphoser la vie. Ce jour là donc, comme souvent, j’étais assise au bar. Et ce jour là, comme parfois, j’avais choisi ce personnage un peu fatal de femme-enfant. Habilement, je laissais transparaître sous mes habits vénéneux ce qu’il faut d’innocence, de fragilité et de pureté. Je voulais comprendre la solitude des belles femmes. De celles qu’on ne voit pas. Et je commençais à la connaître. Depuis deux mois je campais régulièrement ce personnage. Pas un homme n’avait transpercé drap si fin de mon lamé, pas un homme n’avait regardé plus profond que ma peau. J’étais sur le point de ranger le costume.
Et puis il est passé, devant la vitrine du café, pressé mais perdu. Il était très beau, je crois que je l’ai fixé un peu. Je ne sais pas si c’est pour ça, mais il a fait demi-tour, il est entré dans le café, et feignant quelques achats quotidiens, il s’est installé près de moi avec un expresso. Il fixait mon regard, s’en détournait brusquement, gêné, et revenait vers moi. Il balbutia un langage automatique, comme s’il se lançait un défi à lui-même. Il n’avait rien à perdre. Il m’émut beaucoup. J’usais des armes habituelles de mon personnage, je croisais mes jambes, cambrais subtilement mon dos. Mais rien ne semblait pouvoir le détourner de mon regard, et de notre conversation. Du fond de mon costume, j’entrai alors moi-même dans ce jeu. J’en oubliai pour un temps l’illusion où je m’étais enfermée, j’ignorai que je n’étais pas visible, cachée dans mon belvédère.
Rien ne fut plus simple, plus enivrant. De temps en temps, un coup d’œil dans le miroir du café me rappelait ma supercherie. J’inventais un excuse pour partir, mais il me retenait. Je ne luttais pas avec beaucoup d’acharnement, certes. Mais quelque part, j’aurai essayé de l’épargner. Je lui aurai donné sa chance. Lui aussi a voulu jouer. Il me sembla d’abord avoir gagné. Ma supercherie triomphait, enfin j’étais aimée, de ces amours de romans photo où tout est scellé en trois bulles et deux clichés. L’ivresse de cette joie trop attendue anéantit tout à fait ma raison, et je me plongeai corps et âme dans cette idylle fantasmée.


III

Ce qui avait commencé comme un doux rêve se changea subtilement, jour après jour, en un cauchemar amer. Pendant un temps je parvins à profiter pleinement de nos échanges. C’était le début, et au début de chaque relation, l’autre est caché derrière l’idée qu’on a de lui. Il y avait donc deux écrans entre nous. Son fantasme, et mon costume. Miraculeusement, le plaisir, et même l’amour je pense, parvenaient à traverser. L’illusion de la sincérité était troublante. Elle est normalement la raison du bonheur, elle en était ici la cause. Nos sentiments aveuglants nous empêchaient totalement d’envisager la présence d’un mensonge quelconque entre nous. Nous nous persuadions mutuellement du miracle de notre rencontre, et de la pureté de notre inclination mutuelle. J’en étais moi-même persuadée parfois. Lorsque j’enlevais mon costume le soir, il me semblait que je m’arrachais la peau. Je m’aimais de moins en moins, je veux dire mon vrai visage. Et je m’enfermais chaque jour un peu plus dans cette étouffante supercherie.
Au fil des mois, je commençai cependant à sentir des ruades sous mes caresses. Je sentais que je relâchais ma vigilance, trop à l’aise dans mon personnage peut être. Des incohérences apparurent dans mes discours. D’abord inaperçues, elles déclenchèrent bientôt chez lui des questions de plus en plus insistantes. Je les éludais, par une pirouette, un mot d’amour, un baiser. Mais mon cœur s’emballait à chacun de ses doutes. Je le savais intelligent, et chacune de ces interrogations écorchaient mon costume.
L’opium de mes charmes devenait moins sédatif. Je le soupçonnais de voir quelqu’un d’autre. Je ne pouvais lui en tenir rigueur. J’espérais quelque part qu’une autre prétendante tuerait mon personnage, et qu’il m’oublierait poliment, s’enivrant doucement à d’autres amours.
Il était très seul. Très solitaire, mais pas assez pour se satisfaire de sa solitude. Il était un rêveur, le réveil eut tôt fait de l’achever. Pourtant il voulait absolument croire au miracle, et le miracle pour lui, c’était la réalité. C’est la seule chose qu’il n’avait jamais eue. Je mourais de ne pouvoir lui donner.
Obstinément, commença sa quête, ou plutôt son enquête. Je le sentais fiévreux, tourmenté, frustré. Pourtant chaque soir, seul dans son lit, il se tournait vers moi encore, et il comptait sur moi pour tuer le silence. J’étouffais sous les exigences incommensurables de mon personnage, sous le pourpre lourd de cet amour.

IV
Un soir que nous devions nous voir, je fus prise d’une sorte de panique. Ce long rituel de préparation, d’incarnation, m’épuisait. Il me fallait changer mon intonation, repasser dans ma mémoire nos précédentes discussions, pour n’omettre aucun détail de la fiction que j’écrivais. Il était devenu si pointilleux, chaque incohérence faisait naître une remarque ou une dispute. Chacune de mes failles engendrait en lui une désillusion désolante. J’entrevoyais ma chute, je la sentais imminente.
Je la retardais, j’avais peut de le laisser tomber. Il me tenait au bord de la falaise. Ses bras retenaient ma chute, mais c’est son corps qui me poussait vers le rebord. Il me baladait au dessus du vide comme je l’avais baladé auparavant. Et pendant tout ce temps, maîtresse de ce mensonge, quelle ignoble infidélité m’étais-je infligé… Je me trompais moi-même, plus que je l’avais trompé, je m’oubliais, me négligeais, me méprisais, me préférant ce double qu’il aimait.
Ce soir là, dans mon miroir, alors que je commençais mon maquillage, mon reflet porta sur moi un regard effrayant. Le grief et la pitié s’y mêlaient. Je me sentis laide et misérable. Il me sembla soudain que je m’effondrerais si j’enlevais ce costume. Que restait-il de moi sous le personnage ? Une ruine sans doute. Un abandon.
Je restai lasse devant le miroir, le pinceau entre les doigts, fixant mon reflet. La chambre, autour du miroir, semblait flotter, trouble et vibrante. Il me semblait que je m’éveillais d’un très long sommeil, et que ma vie n’était que les restes confus d’un rêve trop réaliste.
L’heure tournait, il devait me rejoindre. Je savais qu’il serait parfaitement à l’heure. A la minute convenue, j’entendrai le moteur de sa voiture s’arrêter devant la maison, la porte claquer, et son pas pressé battre le pavé humide du trottoir. L’urgence ne m’affolait pas. Mon anesthésie résistait aux minutes alarmantes. Je vais me préparer, j’ai encore le temps. Ne jouant aucun jeu, ne faisant aucun effort, il me semblait que je dormais, enfin. Ma respiration était lente. L’aiguille tournait. Je regardais, insensible, le couteau s’enfoncer dans les chairs parfaites de mon personnage.
Je pensai alors à lui, à sa colère, à son mépris s’il apprenait la vérité. Je me délectais pourtant en silence de la mort du mensonge. 5 minutes encore. Que faire ? Faible, je décidai de me ressaisir, de ramasser le costume agonisant au sol et de reprendre mes pinceaux, une fois de plus. En 5 minutes, je pouvais le faire. 5 minutes encore, je ne suis pas prête. Il n’a jamais été en retard, il n’a jamais non plus été en avance. Il viendra à 20h. 19h56, il sonne, je suis presque nue, pas maquillée, ma perruque dort entre deux oreillers.


V

Je n’avais pas entendu la voiture. Etait-il venu à pieds ? Je n’avais pas fermé les volets. Qu’avait-il pu voir par la fenêtre ? Il avait au moins remarqué a présence, vu la lumière au carreau. Peut être plus. Impossible donc de feindre l’absence, de l’échapper dans le silence.
Je m’approchai de la porte, et jetai un regard par l’œil de bœuf. Je le vis haletant dans la pénombre du couloir, ses doigts se nouaient et se dénouaient tremblants, mus pas une sorte de spasme douloureux. Son regard était fuyant, affolé. Il savait. Il m’avait vue. C’était fini, il n’y avait plus rien à tenter. Impossible de faire marche arrière. Je me vidai d’une sorte de tension malsaine. Je soufflai longuement, et presque malgré moi ma main saisit la poignée et ouvrit la porte.
Je m’attendais à fondre sur moi toute la haine du monde. Je ne vis qu’un point d’interrogation. Tout son corps semblait me demander pourquoi. Il était là, tel un enfant perdu, n’ayant nulle part ailleurs où se réfugier. Il entra machinalement, je me sentis transparente, il me traversa. Je sentais dans sa gorge un chagrin noué. Il venait de perdre un être cher, il était seul au monde, il voulait en parler au premier inconnu. Je fus cette inconnue, mais il ne parla pas. Il s’assit sur le lit. Quand les enfers se turent en lui, je crois qu’il se plaignit, assez violemment, de toutes sortes de crimes dont il fut victime. Il ne m’accusa pas vraiment, ne me connaissant pas.
Je n’avais rien d’autre à montrer que ma personne. Je voulais expliquer quelque chose, mais tout semblait si trivial et si évident. Il savait déjà tout et toute explication l’eut fait passer pour un idiot. La fraîcheur de la nuit eut raison de ses fièvres, et il s’assit sur le lit, immobile. Il ne me regardait pas. Je sais ce qu’il faisait. Il projetait sur mon corps l’image de celle que j’ai prétendu être.
Au fil des heures l’image se diluait, fantomatique, et s’évaporait lentement. Alors que je commençais à exister à ses yeux, je me sentis prises d’une pudeur folle. Je me recroquevillai de l’autre côté du lit, silencieuse.
Je respirais avec prudence une réalité trop fraîche. Une partie de ma peau était partie avec mon costume, je me sentais comme écorchée. La légèreté du mensonge sortait par la fenêtre entrouverte. Dans la réalité, chaque geste devint pesant, presque insupportable, mais tellement plus significatif.




VI
Je cherchais en moi ce qu’il avait aimé, j’en cherchais les vestiges. Il aurait pu m’achever. Sa lame ne transperça que mon costume. Pourquoi m’a-t-il épargnée ? Si je m’écoutais, j’espèrerais son pardon. Peut être les bandages n’ont-ils pas tout arraché de ce qu’il avait aimé… Mais je ne suis pas assez stupide pour m’accrocher à mes délires. Je le laisserai partir s’il le souhaite. S’il y a quelqu’un que je dois encore séduire ici, ce n’est pas lui. C’est moi. Dans ma tête résonnent, sur de lancinants accords de piano, des mots qui longtemps m’ont hantée :
« Je voudrais arriver, je reste, je me déteste. »