Toi qui sais tout de moi, toi dont j’ai tant à apprendre, raconte moi l’histoire de mes rêves nacrés. Ceux que nous cultivions ensemble, ceux que tu m’as appris à faire mûrir. Ces rêves qui fleurissaient aux fenêtres d’immeubles si gris et si étranges que nous avons habités, et qui embaumaient mon enfance, grimpant au gré des mercredis pour jouer avec nous.
Moi qui te découvre, moi qui veux tant séduire, tant convaincre, pour qui rien n’est acquis, je suis toujours sous ton regard le même garçon nu. Je ne peux rien te prouver, tu acceptes le doute, tu berces les mystères, tu laisses aux marionnettes l’usage des artifices.
Toi qui m’as donné ma chance, qui m’as confié l’or de ta confiance, aveuglément, fermant les yeux sur le hasard de mes paris, donne moi encore cette main, projette à nouveau mon regard vers l’avenir. Car ce parfum de confiance qui flottait derrière moi, cette présence indicible, arrive en flocons d’argent à travers le ciel gris que tes yeux ont percé. La main par delà les nuages nous ramenait le bleu, le blanc, et quelques arcs-en-ciel, et coloraient nos yeux de teintes exotiques.
Toi qu’on a enfermée, tu comprends les révoltes, de ceux qui ont un cœur trop grand pour leur corps, trop lourd pour leur maison. Tu sais la patience, tu sais le silence, tu as appris à t’échapper, tu as appris à libérer.
Moi qui suis en fuite vers mes utopies vitales, je pense à tes combats, je partage tes défaites. Je sais tes écorchures, car les routes perdues qui mènent à nos églises sont bordées de ronces et striées de balafres. Mais les belles clairières où tu nous a conduits, et les lagons bleutés où nous nous échappons, sont sources de prodiges et les blessures s’y perdent.
Toi qui séchais mes larmes, tu m’offrais des planètes pour faire pousser mes fleurs. Et mes sanglots faisaient fleurir ce monde, les couleurs et les parfums naissaient de nos détresses. Les hivers sentent l’orange et la cannelle, la tristesse sent l’espoir et le pardon. Chaque saison, chaque émotion, est un visage nouveau de la vie que tu as rendue précieuse.
Toi qui as donné ton temps, toi qui donnerais ton sang, sais tu où tu iras, quand manquera le temps, quand manquera le sang ? Tu auras tout donné et tu seras légère, si légère, comme une idée, une prière.
Moi je me rends compte que le temps et le sang auront toujours manqué, que c’est de la survie que jaillit la beauté. C’est dans la course, c’est dans le vent, dans les marées et les courants, que la vie naît et je comprends, que l’on frissonne vraiment lorsque le temps se glace et que le sang se fige.
Je revois ton visage, qu’éclairaient les bougies, dans des prières secrètes dont je fus le sujet, mais jamais le témoin. Ces prières invisibles qui nous portaient de loin, qui veillaient sur nos nuits et retenaient les ombres, portant à bout de cœur nos songes hors de portée des griffes sombres.
Je revois les bougies qu’éclairait ton visage, donnant vie aux pierres des chapelles, ravivant les couleurs de sentiments grisés, de ferveurs désuètes. Comme elles étaient vaillantes, à leur propre destin, si fragiles et si éloquentes, se consumant comme toi en rayons de lumière, ces bougies éphémères que ta foi allumait.
Je revois autour de toi flotter les sourires de ceux que tu as aimés. Lorsque tes yeux clignent je vois leurs yeux cligner. Lorsque tu tends la main je vois leurs mains tendues, des mains d’hommes, de femmes, des mains belles ou repoussantes, vaillantes ou faibles, chaudes ou définitivement froides. Qu’importe la main, l’important est le geste.
Ils ne t’ont rien donné que tu aies pu garder, ils ont fait mieux, ils t’ont accompagnée, sur les chemins que tu traçais pour eux. Ils ont suivi dans le brouillard cette lueur que je porte au plus profond de moi.
Ils la suivent toujours et l’appellent espérance,
J’ai l’immense privilège de l’appeler Maman.