Qu’on le pardonne, cet homme qui craint légendes,
De crisper ses yeux froids au souffle du silence
Il ignore la beauté dont le vent fait offrande
Cette musique est le don d’une vérité qui danse.
Sortie de cinéma.
Je viens de parcourir les Etats-Unis.
Il fait 46° en Alaska, la salle était surchauffée.
Le réchauffement climatique est un challenge pour la vraisemblance et la vérité, et les fièvres de la nature humaine allument des bûchers qui se mêlent aux alizés sulfureux d’un dimanche soir urbain.
Une vie nous est projetée et l’on s’envole, un interrupteur se renverse, la vie s’éteint, on est relâché. La foule, comme les poussières qui volaient dans le faisceau lumineux, va tenter d’exister et de rêvasser sous d’autres lampadaires. Je plane encore un peu, des guitares et des percussions me poursuivent gentiment, l’air arctique conserve quelques notions fraîches de liberté, alors que mes yeux sont aveuglés par des horizons éteints.
Une porte à franchir, un pas dans la nature et celle qu’on croyait sauvage est en fait corrompue et désabusée. Elle s’offre sans retenue, sans fierté, criarde et tapageuse, dépouillée de toute noblesse primitive. Dans la rue, ce sont les ombres qu’on projette. La grandeur est celle des silhouettes, insignifiantes mais narcissiques. Sur ces grandes dames noires, les petits bouts d’hommes discrets qui revendiquent les ombres ne sont en fait que des étiquettes. Des rappels, des post-its, des modes d’emploi.
Les pas résonnent sur les pavés comme les prémonitions péremptoires d’une horloge orgueilleuse. Le compte à rebours étrangle un à un chaque instant qui nous éloigne du rêve, et l’on descend sans repos vers l’horizon incertain des réalités extrêmes. On suit le flot du temps, le flot des rues, on se veut emporté dans un élan de vie, mais le tourbillon passe sans même nous décoiffer. Les tempêtes placardées sur les murs ne déplacent ni les montagnes, ni la poussière. La surface mazoutée de la vie n’est pas facile à mettre en branle. La chape se reforme mollement là où l’on croit la transpercer, là où l’on croit ouvrir une fenêtre.
Au gré de ces marées noires palpite un monde aux tentacules flottants, parfois gracieux. Qu’il est reposant de se laisser bercer par les courants ! Mais ce soir là, je garde en moi l’étrange sensation d’être arrêté, fixe, absolument immobile. Ce soir je ne tombe pas, je ne descend plus. C’est la ville qui coule sous mes pieds. Le bruit de pas est peut être bien celui d’une horloge, et je suis debout dans cette rivière qui charrie les immeubles, de part et d’autre de mon corps. Je sens à mes mollets le courant doux du temps, charriant quelques épreuves dissoutes, et sur lequel flottent des joies imbibées. Je suis au cœur d’une machinerie, d’une farce. Au cœur d’une grande usine un peu inutile, dont la complexité tente de camoufler l’inefficacité. Une soufflerie anime mes cheveux, les rouages font changer le décor derrière moi, et les pavés roulent en un tapis sans fin. Je regarde le ciel, les étoiles sont pourtant immobiles, la preuve que je ne bouge pas ?
Je marche comme Baptiste, sur place, au cœur de moi-même, certain d’être absolument constant, ma mire au creux de l’œil, loin derrière les illusions et les décors que mon regard transperce. Mes pas font avancer sous mes pieds les pavés, le décor défile, les silhouettes des figurants marchent en processions savamment désorganisées. Mais le mensonge est trop évident, et l’illusion de vie ne prend pas. Tout est si lisible, tout est si plat, tout est si transparent. Il manque une dimension, il manque un sentiment.
Et ce soir je suis conscient. J’entends derrière le décor le silence que couvre la bande son. Je sens derrière le carton un monde plus réel. Un monde qui se cache, qui se réveille et ne se maquille pas. Un monde réfugié et résigné, un monde nu trop pudique pour descendre dans les rues, qui envoie ses acteurs déclamer des fausses routes.
On arrête la machinerie, les pavés s’immobilisent, on regarde en arrière, et on comprend l’illusion. On ferme les yeux, et on rêve à l’impensable. Seul dans un décor abandonné, on fait glisser ses doigts sur le carton peint. On sort du champ pour constater les perspectives tronquées, les trompe-l’œil. Alors on pousse sur les murs, on tire les panneaux, et on découvre la vérité de la nudité, la vérité du silence, la vérité sans son masque, qui sort en fumeroles d’un champ de bataille abandonné.
On traverse toutes sortes de paysages, toutes sortes de mondes, et les vies pleuvent sur nous, diluviennes et opulentes.
On traverse les foules, le vacarme, on se sent plus anonyme que jamais. Mais Babel s’est effondré, les cris sont étrangers, les chants sont dissonants et se brisent comme le verre hurle en tombant.
Les agoras bruyantes étouffent les musiques, et les poèmes se perdent dans des flots de mensonges et de lieux communs. Ils sont pris en otage, j’entends qu’on les torture, et leurs sonorités à jamais travesties avouent des crimes qu’elles n’ont jamais commis. Qui ose vivre dans un monde où l’on fait mentir les poètes ?
On traverse des déserts, inondés de vide, d’espaces inhumains, aux couleurs primaires et primitives. Des couleurs sèches gorgées de soleil et de joie, qui font naître du blanc cru et métallique de la lumière des sables les arcs vibrants des couleurs vivantes.
Il m’a toujours semblé plus tentant de séduire les déserts. De se donner aux pays qui n’ont rien à donner, qui ne vous achètent pas. Céder aux attentes d’une foule en manque de tout, non merci, mais fleurir le sable, parfumer les espaces vides, voilà la séduction. Exprimer sans se cogner aux miroirs, donner et laisser partir, vers les lignes fuyantes de l’horizon, son image au gré du destin.
Il faut savoir abandonner son image, en faire l’offrande, la laisser libre de partir, grandir et changer dans les yeux des autres. Les ombres s’étirent à nos pieds quand la lumière se terre, elles partent à l’aventure, mais jamais ne nous quittent. Mais les images que nous peignons si minutieusement, que nous éduquons et que nous couvons, ne sont jamais fidèles. Elles sont les maîtresses d’un instant, des plaisirs et des perfections fugaces, des clins d’oeils, des fleurs de peau dont la caresse cabosse.
1 commentaire:
On sent l'influence de Christopher McCandless, l'univers de Jack London, ces mondes ni tout à fait perdus ni tout à fait conquis, où la liberté et la fuite se rencontrent en un point de non-retour, où les miroirs ne renvoient que l’image qu’on veut bien offrir...
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