vendredi 15 mai 2009

Fenêtre sur noir

Il restait encore bien trop à faire pour tolérer de fermer les yeux. Trop à transformer pour accepter de perdre la main sur le monde. Quel cruel constat d’échec de se savoir obligé de marquer ces pauses honteuses alors qu’on n’a parcouru qu’une portion ridicule du chemin.

Alors on reste capricieux au fond d’un lit insupportable, dans un fauteuil solitaire où à une table, candélabre à la main pourfendant d’obscurité et le temps qui l’accompagne.

Un pauvre bonhomme aux muscles tremblants et moites retient vainement d’énormes paupières au poids croissant. Il lutte pour laisser encore un peu entrer la lumière, pour garder le lien avec le monde. Mais en vain.

Les portes de la nuit se ferment lourdement, les couleurs s’évadent par les derniers interstices alors que déjà des formes étranges investissent l’espace sombre. La prison est étanche et ses gardiens incorruptibles. Le parallélisme des mondes est à présent complet. La raison a beau frapper aux paupières, le rêve est une autocratie totalitaire.

L’anarchie sourde ne veut rien savoir. Elle est réfractaire au possible et se joue du vraisemblable. On est ici prisonnier des libertés extrêmes, en apesanteur, dans le vide, la course n’a aucun effet de déplacement. L’agitation est vaine, l’indignation inexorable est pure futilité. C’est tout noir dehors. On se tourne vers l’intérieur et là c’est infini. Ce n’est pas noir, c’est indéfini, c’est insoumis. Des fuyantes ondulantes sont des autoroutes par où les conforts s’enfuient. Tout est glissant, tout est mouvant, tout est infiniment stratifié, découpé, entremêlé. Rien n’est saisissable, tout s’impose avec insolence, dans une forme d’évidence étrangère à tout. Rien ne se justifie jamais.

Tout est masqué, tout est apparemment familier et profondément étranger. La reconnaissance est un jeu de dupes. L’identité est un pari dans ce monde ci.
Suis-je une peur, suis-je une envie, un souvenir, une trace du futur, un plaisir, une blessure ? Mes coordonnées sont brouillées. Un grand vent de choses et de faits mêlés mélange les époques. La visibilité fluctue au gré des bourrasques et la boussole se dilue. L’aiguille divisée indique un chaos certain.

Derrière les bosquets un passé indompté guette et gronde. Je sens son souffle si réel, aucune grille, aucune barrière ici ne le retient, ne l’empêche de saisir ma gorge exposée. D’un bond il me rattrape, et nous roulons ensemble le long d’une pente qui accélère notre fusion. Son souffle dans la gorge je parle son langage. Il attend des comptes, je lui dois quelque chose. Sur cette feuille qu’il plaque presque à mes yeux, des dettes sont gravées, indélébiles. Le fauve accroche à mon pied ces heures pétries en un boulet pesant, qui fait lorsque je marche le même bruit que mes peurs enterrées. Enterrées vivantes.

Ces cadavres côtoient les sylphides volages que sont mes chères utopies. Elles dansent aussi ici, où je peux les saisir, m’enivrant de leurs capiteuses réalités. Ainsi vont les marées, d’un extrême à l’autre, usant des rivages en fusion. Les instants valsent et s’échangent, le puzzle du temps forme un dessin abstrait, plein de sens.

Les choses, les faits, les personnes, sont imbriqués en une spirale qui lentement se serre. Tout s’essore et il en suinte un jus mystérieusement chargé de discours. C’est un flot de parole qui sort de la centrifugeuse, tous les non dits s’échappent, les tâches s’expriment enfin en trépassant. Chaque recoin de vérité s’éclaire sous la lumière crue de néons blessés qui donnent à mon histoire leurs dernières étincelles.

Tous ces flashs soulèvent la poudre blanche du sommeil. Chaque parcelle de mon corps voyage indépendamment, au gré de flots déstructurés. Je croise parfois mon pied au bras d’un souvenir. C’était un repas de famille je crois. J’étais assis un peu partout, à différents âges, toujours affamé certainement.

Je me baigne dans la boule de cristal, un tout petit endroit sans horizon où tout vous vient en fièvre, où tout s’impose, rien ne s’explique. On y apprend la modestie de ne rien comprendre. Celle qui nous attaque, si acide, quand on se perd sur les bancs du cours supérieur. On se dit qu’on n’arrivera pas, y est déjà. On n’arrive nulle part, tout arrive à nous, tout nous vient, tout s’exhibe très vite. Mais pour l’inimaginable une existence d’un instant est déjà interminable.

Mais un rayon de lumière vient se glisser dans les rouages insensés de cette machinerie. Les ressorts sautent un à un, les visages du passé fondent en un cri, ceux du futur comme des bulles éclatent. Le jour abat son poignard à travers l’oreiller. Le monde redevient médiocrement sensé, il redevient envisageable d’en prendre le contrôle.

Le réveil déroule la pelote du rêve en tissant cette masse brute en un long fil de temps. Tout reprend sa place, ce qui devait rester à l’écart ne se touche plus. Il reste quelques tâches de ce mélange violent. La bande magnétique qui se lit calmement grésille de temps à autre. Dans des bruits parasites on croit alors entendre, puis on le nie bien sûr, les voix hantées des songes.

1 commentaire:

Cyborg a dit…

Bon Anniversaire !