Mon ange,
Il y a deux jours à peine, que je me promenais, sous un soleil de plomb et les arbres du parc. Venu faire prendre l’air et quelques belles couleurs à ma mélancolie, je transpirais sans vous des sentiments sucrés, et gorgeais mes poumons de jeunesse et d’été. Une chaleur ardente tabassait mon hiver, et après quelques heures de ce combat inégal, je rendis les armes. Me vint alors l’idée de marcher à la roseraie. Plus qu’une idée, il s’agissait en fait d’une obligation, d’un besoin impératif, de marcher à la roseraie. Ainsi mon jour s’était il levé. Il fallait se laver, s’habiller, manger, et aller à la roseraie. Je compris bientôt les raisons de cette imprévisible impulsion.
Alors que la brise de juin portait doucement à mes narines les premiers parfums fleuris, il me sembla démêler de ces douceurs enchevêtrées le son de votre voix. Mon ange, une fois de plus, vous m’aviez donné rendez vous. Vous ne le saviez pas, et moi non plus, et c’est de cette manière-ci que nos retrouvailles ont toujours été les plus certaines. Au premier de mes pas le long des parterres fleuris, j’entamai avec vous une délicieuse conversation. Je vais essayer de vous en rendre compte. Je serais bien égoïste de garder pour moi-même tant de délices donc vous fûtes la source.
Oui, bien sûr mon ange, comme souvent votre peau fraîche était bien loin de la portée de ma main, et vos boucles brunes s’ébattaient dans des bourrasques que d’autres respiraient. Mais mon amie, je jure que rarement je vous sentis à mes côtés avec autant de force et de certitude. Vous ne fûtes jamais moins vaporeuse.
Sur ces roses vos yeux, ombragés par d’élégants soucis, se posaient avec complaisance. Vous n’êtes pas du genre à dénigrer les fleurs fanées, heureusement. Vous vous penchiez à leur chevet, prenant tant de souci pour ces fragiles pétales, bien désarmés face à un soleil de juin. Au passage un parfum vous faisait tressaillir. Je me penchais également, tout près de votre nuque, sentant la jeune fille qui sent si bien les roses, et prenait bien du souci également. Si le soleil seul vous menaçait, mes tourments seraient vite dissipés.
Dans le silence de l’été, si lourd qu’il étouffait jusqu’au bruit de nos pas dans allées de gravillons, vous laissiez échapper quelques vers sur l’ironie meurtrière des étés…
« Quel triste histoire- expliquiez vous aux jeunes fleurs- ; ce même soleil qui hier vous fit éclore et vous rendit si belle, aujourd’hui brûle vos ailes. Profitez bien de l’envolée du jour, le soir peut être serez vous à la terre ».
Je restais silencieux. Je n’ai jamais rien su ajouter à vos belles évidences. Je courrais derrière elles, comme on chasse les papillons.
En moi je m’émerveillais des miracles qui naissent certains jours d’été. Me voici à ma place dans ce grossier cliché. Une muse à mon bras, des roses plein les yeux, dont les parfums en moi faisaient naître des sonnets entiers. Il suffisait de respirer pour se sentir Rimbaud. Qu’advenait-il du monde sous ces chaleurs heureuses ? De toutes ses bêtises qui l’enlaidissent bien, de ce terreau abjecte où poussait ma révolte ? Rien sans doute. Je vous voyais en 1910, couverte de dentelles blanches, montée sur des bottines, surmontée d’une ombrelle. J’étais fier en habit, me sentant honoré, d’avoir conçu pour vous cet écrin délicat où vous étiez heureuse.
Pourtant au loin, derrière les vallons artificiels du jardin des plantes, montait en fumée jaune la fièvre de la ville. L’été s’englue là bas dans le bitume chaud, et le parfum des roses ne sent que dans les livres. Vous parlez des beautés que l’on trouve là bas, qui plongent leur racine dans la réalité. Vous riez de nos bulles, vous buvez à nos joies comme on boit du champagne, heureuse de l’ivresse de ces heures d’artifice, augmentée du savoir des réalités grises. Visitant la roseraie, vous étiez à mon bras une belle étrangère, fascinée par un monde intouchable que vous effleuriez du bout du rêve, souriant joliment pour dissimuler votre embarras face à tant d’exotisme.
Et pourtant chaque soir vos reveniez à moi croulant sous des brassées de fleurs des villes. Ces floraisons improbables qui colorent les pavés, vous seule avez ce talent rare pour les apprivoiser. Loin des drogues et des engrais de la belle roseraie, vous avez toujours su donner aux fleurs modestes assez d’estime pour que leur parfum ne quitte jamais notre quotidien.
Derrière ce buisson rouge monte à présent un ballon léger, suivi de quelques secondes par le cri déchirant d’un enfant désespéré. Le pauvre bambin, cloué à la terre par d’inhumaines sandalettes, regarde à travers un mur de larme sa fierté s’envoler dans le bleu saturé. Il lance à la poursuite du ballon fugitif des volées d’injures et des gerbes de pleurs. Mais les cris ne volent pas si haut que les ballons, et bientôt ils se fondent dans le bruit de la ville. Tant de cris prématurément lancés, tant de pleurs tombés du nid, pour un ballon perdu. Il faudrait plus que le vent de juin, même parfumé par quelques milliers de roses, pour apprendre à voler à certains désespoirs.
Nous parlons depuis près d’une heure mon ange, et pourtant cette roseraie est un désert. Dans mon esprit joyeux ma plume vous écrit avec allégresse. Mais lorsque je lève mon regard du feuillet noirci, il n’y a parmi les roses que la poussière des allées desséchées, et ma solitude qui monte en bourrasques fauves. Je parcours les chemins avec une grande application, tâchant de relever au passage tous les détails qui pourraient vous intéresser. Je vous fais part de mon projet d’exercer prochainement cette activité de manière professionnelle. Je me sens devenir un excellent visiteur de roseraie. Amplement supérieur aux mille badauds qui traversent les fleurs sans vous, et posent machinalement leur nez sur des pétales au hasard. Certainement le gouvernement aimerait à rémunérer une telle activité. En effet, à quoi bon planter le cœur de nos villes de telles splendeurs fleuries, si aucun homme ne sait rendre hommage à la poésie de ces lieux. Dès mon retour je postulerai, voilà qui est dit. Voici une activité respectable pour un jeune homme sensible. Sans doute m’épouserez vous bientôt si j’obtiens cette situation.
Déjà mes pas m’emportent loin des parfums élégants de la roseraie et de vos regards tendres. Je frémis en pensant à l’improbabilité des moments passés. Je pense, jalousement, à la beauté assurée et éternelle de ces bosquets. Qu’en est il de celle, autrement plus rare, autrement plus précieuse, et autrement plus fragile, de votre tendre cœur ? S’il en venait un, semblable au vôtre, chaque année au printemps, dans quelle belle harmonie baignerait alors la vie des hommes…
Mais vous êtes loin déjà mon ange, et pour vous embrasser il me faut trop souvent rêver. Je marche dans les rues et vous vous dissipez. Au coin de chaque rue un trait de votre souvenir quitte mes yeux, des yeux qui s’ouvrent à nouveau sur une réalité sans vous.
Je reviendrai à la roseraie, je vous y attendrai comme un amoureux sage, tortillant dans ses doigts sur un banc solitaire une lettre de vous lui donnant rendez vous.
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