lundi 6 juin 2011

L'ombre d'un bruit

De loin je les entends,
Ils rampent au galop sourd des cavaliers perdus
Et des chevauchées vaines.
Je sens leur trajectoire, ils approchent,
Sous ma peau,
Charognards et méthodiques.
Des jours durant, je passe entre leurs griffes,
Traçant des angles morts.

La nuit venue, je les confronte,
Ils s'insinuent, persuasifs, séduisants,
Dans les fêlures de mon esprit.
J'ouvre grand les fenêtres.
Pour les chasser,
J'invite en moi le chant de deux ivrognes
Qui coulait dans la rue.
Mais la lame les frappe, eux aussi,
Et les fait taire.


Dans ma chambre ils se posent alors.
A mon chevet, sur mon lit,
Alanguis contre mon corps,
Derrière mon épaule
Me regardant dormir, ou feindre le sommeil,
Ils allument en me fixant une cigarette.
Leur souffle muet et froid
S'emplit de fumée grise rampant sur ma peau nue.

Au matin bleu encore,
Lorsque mes yeux dégèlent, leur présence perdure
Et leurs regards vitreux
Dorment sur mon épaule.
J'agite les draps gris, et la fumée dans l'aube.
Les brouillards s'en vont, moqueurs et blasés.
Et ma peau est griffée,
Par un sourire encore…
En passant la fenêtre… " A demain mon ange...".

Aux jours cuisants,
Je les sais réfugiés dans leurs enfers secrets,
Des jardins désertiques
Où poussent des troncs creux et des murs de gravas.
L'aridité trop blanche de ces jardins muets
Distille les intrus, et les concentre trop,
Asséchant les pensées et les voix dans leurs crânes.

Moi qui fus cet intrus, encore je vois danser,
les sables à mon cou,
Là où dansaient aussi les fumées de la nuit.
Les silences à venir s’étendaient devant moi.
Je leur parlais jadis
Avec obstination
J’inondais de non sens ces silences secs.

Et je m'évaporais, et comme les fleurs sèchent,
Mon temps se craquelait.
Désormais je me tais quand désert arrive,
Je garde mes pensées
Derrière mes lèvres closes, j’ignore les absents,
Et je récite en moi ce que je n’entends pas.

Aux bordures du désert,
Des violonistes gris agitent leurs poignets
Sur des cordes usées.
Des archets orphelins et des musiciens fous
Arpentent les frontières du silence,
Feuilles blanches en main
Jetant à l’inconnu des accords suicidaires.

L’oreille étanche à ce néant,
Je laisse jouer en moi nos souvenirs communs
Toi et moi, enfants,
Le futur leur ressemble.
Toi et moi, amoureux,
Respirant calmement les chants du lendemain,
Dormant, inconscients et rêveurs,
A l'ombre d'un bruit familier.

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