vendredi 21 novembre 2008
The flying kyte strikes back
La conclusion:
Quand le temps souffle en tempête
De nos cris, de nos peines, de nos joyeux refrains,
De nos jours, de nos nuits, de nos songes innocents,
Que reste-t-il enfin quand arrive demain,
Et que souffle en tempête le temps étourdissant ?
Quand est-il trop tôt, quand est-il trop tard
Pour poser la question de ce qui va rester
Quand le grand ouragan des heures sera passé
Sur ce monde pressé à la courte mémoire ?
Il restera sans doute ce qui compte vraiment
Un mot une caresse, l’image d’un instant,
Rien de monumental, mais rien de plus certain
Que ces moments magiques où se joignent les mains.
Comment leur expliquer, à ceux qui oublient tout,
Qu’une plage de bonheur se fait de petits grains
Et que c’est du béton qu’on obtient malgré tout
Quand on construit sa vie de projets inhumains.
Dans le présent cueillez la graine d’une joie,
Que vous ferez pousser le long des souvenirs.
Et au printemps prochain vous la verrez fleurir,
Cette allégresse vive qui habite nos voix.
Quels sont ces faits étranges qui traversent la nuit,
Ces mystérieux amis qui ne vous quittent plus ?
Nul ne peut définir ces compagnons de vie
Qui colorent le monde de ceux qui furent émus.
C’est le sanglot si pur d’un violon fervent,
C’est le sourire espiègle d’un chanteur étourdi,
C’est l’ombre d’un danseur qui se fige un instant,
C’est l’ombre d’un instant à l’écho infini.
Ce ne sont que fantômes, nous en sommes conscients
Le spectre d’une rose pour un jardin moins gris
Vous hanter un moment, tromper un peu le temps
Cela serait pour nous un délicieux sursis.
Et pour que nos fantômes ne cessent de sourire,
Nous les ferons danser et pour l’éternité.
Chaque soir dans l’ombre, ces pâles souvenirs
Vivront des valses d’or, des tangos passionnés.
Le silence épargne celui qui peut chanter,
Et l’oubli laissera ceux qui ont écouté,
Le temps ne peut user ce qui toujours se crée
Ces vagues écumantes déferlant sur le monde
Les embruns vivifiants le long des dunes blondes…
Pour eux le temps ami fera tourner le monde.
mercredi 19 novembre 2008
The return of the flying kyte
Chants d’abysses
A l’heure où le soleil, écarlate d’amour,
Gonflé des émotions et des rires du jour,
Est prêt à se coucher dans l’océan glacé,
Ses rayons se colorent d’étranges mélopées.
Quels sont ces chants profanes, si sensés mais sans mots
Qui bercent les icebergs, et flattent les ormeaux ?
C’est la complainte douce du grand ange des mers,
De la baleine immense, qui chante l’amour des mères.
La lumière antarctique danse avec la banquise
Quand les accords parfaits vibrent dans les eaux bleues.
Un miracle scintille sous les vagues exquises
Quand glisse la baleine sous le ciel amoureux.
Sur l’écume des vagues, sur l’écume des jours,
Cet immense amour bleu franchit mondes et âges,
Bravant tous les ailleurs, le regard vers toujours,
Elle éclaire l’abysse de sa gracieuse nage.
Grande magie nacrée, son œil serein et digne
Est le témoin muet de la folie du monde.
Et d’un soupir royal, elle nous envoie un signe,
Ce geyser argenté qui mêle ciel et onde.
Dans le ciel noir ébène des lents déserts arctiques,
Les baleines dessinent des aurores boréales
Qui soulagent nos yeux des horreurs du réel
Et colorent les rêves des enfants atlantiques.
Ecoutez l’harmonie de ce paradis blanc,
Et les accords parfaits des longs poissons d’argent.
Chaque jour nos harpons en étouffent les notes
Et les harpes des mers en silence grelottent.
Les baleines s’éloignent en mirages graciles.
Dans un vibrant adieu ces ombres musicales
Tracent dans l’océan des messages subtils,
Nous libèrent des peurs, des peines abyssales.
Madame et dépendances
Loin des rives glacées et des baleines à bosse,
Dans les flots bouillonnants d’un fleuve paresseux
Se prélasse et s’étire un opulent colosse,
Qui sculpte la savane de son être boueux.
L’excès ne sera plus privilège marin,
Proclame l’orgueilleuse dodue des marécages
«Le rorqual se targue d’un si bel embonpoint,
Mais mes formes s’élèvent plus haut que les alpages ! »
Ainsi se gargarise la belle Dame Hippo,
En se mirant rêveuse dans l’eau tiède du bain.
Mais les miroirs d’Afrique sont des peaux de chagrin,
L’élégante s’adore morceau après morceau.
Car le large Narcisse cultive l’opulence
Et la pluie doit tomber des jours en abondance
Pour former une psyché où la joufflue diva
Pourra se satisfaire de son entière aura.
D’un crépuscule à l’autre, l’éthérée demoiselle
S’applique à se vautrer dans son marais moelleux
Et sur sa croupe nichent nombreuses hirondelles
Fières d’avoir conquis ces îlots mystérieux.
Le gracieux monticule est plus coquet que gros
Argument appuyant une élégance rare.
Alanguie noblement, elle laisse les oiseaux
Masser ce dos qu’un jour, on prit pour Gibraltar.
Elle bulle veillée par quelques libellules
Qui voletant entonnent des airs de Sibelius
Ses lourds petons frissonnent et elle se voit en tulle,
Dansant sur les plateaux, de Lhassa à Vilnius.
Car de rêves énormes, Miss Potam en regorge,
Un beau dans l’arrière train, un autre au garrot,
Un espoir généreux, un grand souhait qu’elle forge
S’emplissant de fierté, débordant de culot.
Dans son spa tropical, elle soupire d’aise,
Et laissant s’éloigner les gazelles qui trottent,
Elle oublie les surnoms et les regards qui pèsent,
Et sourit en pensant qu’elle au moins elle flotte.
Maudite fée clochette
Ce qu’il faut être aveugle, pour croire en ce mensonge
Que peint insolemment ce qu’on nomme miroir.
Et parmi tous ces traîtres, le pire est bien le songe
Qui peut en un instant changer le blanc en noir.
Si les flaques d’Afrique s’évaporent trop vite,
Si les psychés classiques, élargissent les hanches,
Ecoutez le mirage dont on répand le mythe,
Et qui a engendré des lunes de nuits blanches
Imaginez un soir, un petit brin de femme
Qui s’endort calmement au creux d’un lit moelleux
Quand soudain elle rugit sentant poindre le drame
Qui la glace soudain d’un effroi nauséeux.
Car alors qu’elle allait le long du corridor
Le miroir a osé disgracier son corps.
Une repoussante vision de désespoir
Se dandine sans gène dans le couloir noir.
La vision étrangère n’a qu’une expression lasse.
Cet abject rebut semble d’une autre race,
Tant la menue rêveuse se sent défigurée
Dans ce portrait indigne qu’a peint d’elle Morphée.
« D’où vient donc ce niaiseux sourire étincelant ?
Et ces cheveux dorés quasiment scintillants ?
Pourquoi pas une frange, des cœurs et des diamants ?
Un doux parfum de rose et un peu de thé blanc ?
Qui ose faire de moi la mièvre fée clochette
Qui couvre ses guiboles d’une courte jupette ?
Qui m’a ôté ma bosse et rasé mon menton ?
Adieu mon doux strabisme, pustules et bubons !
Mon bon Dieu changez moi plutôt en guéridon,
Qu’en ce sac à main rose plus sucré qu’un bonbon,
Plus mou qu’une guimauve, je suis édulcorée !
Qui vais-je effrayer sous ces traits pralinés ?
Car me voici plus lisse qu’une page de Vogue
Moi la sombre sorcière plus velue qu’une bogue.
Comment puis-je crier mes jurons favoris
Avec ce bruit de cloche que je fais quand je ris ? »
Fort heureusement l’aube se chargea de tirer
De ce rêve trop bleu la sorcière choquée.
Au matin dieu merci tout était revenu,
Le rire de crécelle et le menton velu.
Mais depuis l’envoûtante ne dort que d’un œil
Et guette chaque nuit l’approche parfumée
De cette cruche lisse sans ride et sans orgueil
A laquelle elle a cru un soir ressembler.
dimanche 2 novembre 2008
Let's go fly a kyte
Ma mission, et je l'ai acceptée, fut d'écrire des poèmes pour entre les chansons...
Invitation : Des horizons déraisonnables
Qu’avez-vous retenu, dans les champs, dans les rues
Des refrains mystérieux de notre invitation ?
Car vous voici assis sans avoir entendu
Pour quel long périple nous vous emporterons
Entrez, que craignez-vous ?
Avez-vous oublié toute notion du jeu ?
Rappelez-vous antan ces conquêtes aveugles
Où vous découvriez de nouvelles couleurs !
Vous partiez volontiers vers les mondes nouveaux,
D’autant plus inconnus que vous les inventiez
Au fur et à mesure que vos rêves marchaient.
Somnambulez vers nous, oubliez le réveil !
Entrez ! Oh, nous savons, ce n’est pas vraiment grand
Un petit coffre en bois, sans rien d’éblouissant.
Tout est bien noir dedans, on n’y reconnait rien.
C’est les yeux clos que l’on voit clair dans l’univers.
Mais notre petit coffre est un espace ouvert,
Abaissez vos paupières et vous les verrez bien,
Ces horizons qu’on touche quand s’endort la raison,
Ces vastes étendues où vous riiez jadis.
Entendez-vous déjà ces arpèges allègres
Qui s’ébattent dans l’ombre et n’attendent que vous ?
Déjà ils ont creusé dans les murs opaques
De larges ouvertures sur des contrées lointaines !
Et par ces larges portes s’engouffrent des images,
Des odeurs et des sons, des univers entiers !
Sans honte ni scrupule, ils viendront vous charmer,
Et ils vous séduiront par leurs rires sans âge.
Vous voilà donc assis, et prêt à voyager
A dos de cerf-volant, restez bien accroché !
Profitez du voyage, et fermez bien vos yeux,
Pour mieux voir les étoiles et les entendre rire.
Surtout n’oubliez pas de regarder en bas,
Vous verrez comme la terre est belle en cette saison,
Et tout ce qui se cache à ceux qui restent au sol.
En cas de turbulence, rien ne se passera,
Les issues de secours se trouvent dans vos rêves.
Bon voyage !
Une nuit sur la plage
Et les cerfs-volants tombent, et la nuit avec eux.
Sur la plage le vent s’en va en un soupir,
Et le soleil le suit et fait foncer le bleu
Du ciel et de la mer qui pensent à dormir.
Sur la plage la nuit, tout est à inventer.
C’est un désert serein où les vagues se taisent,
Osant à peine chanter le souffle des falaises
D’où s’élancent parfois des oiseaux argentés.
Le reconnaissez-vous ce bel enfant de lune
Qui envoie vers le ciel des grains de nacre et d’or ?
D’un gracieux jet de sable en dansant sur les dunes,
Il fait scintiller l’ombre, du soir jusqu’à l’aurore !
Car les grains de poussière portés par son sourire
S’accrochent au manteau bleu et ne retombent plus,
Et le fils de la lune dessine d’un geste ému
Les bijoux dont la nuit se pare pour sortir.
Alors que l’élégante accroche ses diamants
S’allument autour du monde d’autres précieux joyaux
Ce sont les sourires d’anges qu’esquissent les enfants
Qui rêvent à la fenêtre de voyages spatiaux.
Etoiles et sourires illuminent la nuit
Se parlent en silence et rêvent l’un de l’autre.
Qu’on se sent bien là haut, dans ce bleu paradis
Où seuls se promènent rêves et astronautes.
Le grand roi tout seul
Tous les matins du monde ont leurs joies et leurs peines.
Ce qu’un demi-monde pleure, l’autre en joie l’accueille,
Et alors que s’éteignent dans un mystérieux deuil,
Les étoiles et les rêves, se lève l’aube sereine.
C’est un vent de clarté, mutin et facétieux,
Qui souffle entre les astres et éveille les cieux.
Les étoiles grelottent et vont avec les rêves
Se blottir dans leur lit quand ce vent frais ce lève.
A pas lent et patauds s’approche un astre hagard.
C’est un soleil faible, un soleil moribond
Qui étire ses rayons et s’ébroue au hasard,
Hors de la couverture que lui fait l’horizon.
A cette heure indécente, qui se prétend vaillant ?
Même le roi soleil n’est plus qu’un petit prince,
Et ses yeux lourds peinent à extraire nos provinces
De leurs chaudes tanières et de leurs rêves lents.
Il faut lui pardonner ces réveils difficiles,
Car le soleil est triste et vit seul sur une île.
Il voit là bas au loin les lumières du port
Et court la nuit durant après les étoiles d’or
Il se rêve invité au grand bal spatial,
Mais le dodu citron a fait peur aux étoiles,
Qui partent en filant au moindre de ses zestes.
A quoi être roi, quand manque tout le reste ?
Tous les matins du monde, le soleil se promène
Dans le palais sans rêve où les étoiles ont joué.
Il parcourt chaque jour la galerie glacée
De son beau palais bleu à la splendeur vaine.
C’est parmi les nuages que parfois il pavane,
La grisaille joufflue pour seule compagnie.
Il rêve à tout ce peuple, de Rennes à La Havane,
Qui dit-on le vénère mais reste loin de lui.
Chacun sur son passage se couvre le regard
Et dessine au sol une ombre sans visage.
Ainsi le roi soleil a des sujets sans âge,
Il règne sur des ombres qu’il aime sans les voir.
Il n’a que les nuages, ces enfants vaporeux
Pour danser, pour chanter, et s’amuser un peu.
Alors demain c’est dit, il se fera petit,
Et descendra jouer comme ces enfants qui rient.
vendredi 26 septembre 2008
Votre fils a 20 ans
Découvrez Serge Reggiani!
Remplace toi même "fille" par "fils" dans l'œuvre de Reggiani...
Mon frère tu as 20 ans et qu'ajouter de plus? Que dire qui ne soit pas banal face à la toute puissance de cet âge printanier?
Te dire que bien souvent on se croit arrivé et que c'est un sournois mensonge de la vie.
Que le départ fait peur, mais que les prisons sont froides, et que l'humidité nuit à tous les esprits.
Qu'il te faut protéger toutes ces impatiences que tu as du maudire, ces colères impétueuses, ces insatisfactions, qui sont une énergie moins renouvelable qu'on croit.
Qu'aimer le chaos est la seule garantie du sentiment de confort et la seule protection contre celui d'ennui.
Qu'il vaut mieux parfois écumer sa mémoire pour ménager sa hâte d'être au lendemain, pour se persuader que rien n'est pétrifié.
Que ton âge fait peur et rend le monde jaloux de tant de liberté. Ton talent consistera à entretenir cette jalousie, et alors tes 20 ans dureront assez pour que tu les savoures.
Que dans le cas contraire, 20 ans n'est qu'un jour et même souvent qu'un chiffre, et que trop de jeunes gens se complaisent dans la légende de leur âge.
Que 20 ans ou pas, pour moi tu en as 7, et tu es en CE1. C'est comme ça, Maman en a 36, et papa 4 de plus...
Et j'ai failli oublier: Joyeux Anniversaire!
jeudi 25 septembre 2008
Les enfants nocturnes
Mais qui donc sont ces êtres étranges et fuyants qui traversent nos têtes, d’une oreille à l’autre et jonglent avec nos yeux clos ? Qui sont ces lutins lucides et translucides qui échappent à nos griffes et autres raisonnements, qui naissent et qui s’envolent au plus léger souffle du temps ?
Les regards qu’ils nous lancent transpercent en plein cœur de vagues souvenirs, mais l’écume des jours se fane et la reconnaissance bien souvent est bredouille.
Ces naufragés du temps s’écrient en notre cœur et pour nous revenir, ils volent et accourent en nuées turbulentes repeignant nos paupières d’impressions familières. Ils vivent des épopées dans de noirs tunnels qu’éclairent les étoiles de couleurs troublées. Ils courent les yeux bandés dans des forêts d’argent, chevauchant en riant des biches herculéennes, jusqu’au bal du roi où leur destin les mène. Ils flottent doucement sous des cieux cristallisés où les vents sont figés en escaliers tremblants, en nuages sucrés et en longs rubans blancs.
J’en connais quelques uns qui se sont couchés tard, et que j’ai pu croiser parcourant mes paupières, alors qu’ils s’enfuyaient, effarouchés par les mortes lumières. Alors je les arrête et sous mon bras glacé je les enveloppe d’ombre et je les fais parler. Ils oublient alors combien ils sont pressés, et leur chant volubile fleurit à ma raison. Ils m’offusquent et m’apprennent l’art de ne rien savoir, celui qui fait tout découvrir et tout réinventer, cet art qui dénoue notre réalité.
Je note leurs histoires ou ce que j’en comprends, ou tout ce que j’accepte de ne pas en comprendre. J’étudie ce langage trop libre pour être su, trop fou pour être appris, et tiens d’un œil sévère ma censure à distance. Je retrouve le souvenir de ce qui pourrait être, les vérités alternatives de l’interprétation. Je tente de repousser les assauts du matin pour préserver encore ces bulles d’univers que les rayons de l’aube transpercent cruellement. Et les ballons irisés flottent entre le jour et la nuit en tremblantes trajectoires. Et dans chacun d’entre eux s’agite un monde crucial où le drame doit se jouer, jusqu’au bout, sans qu’on le réveil. Les visages du drame changent au gré des irisations et tirent le gravité de leur poésie sauvage.
Sur ce cerf-volant, un monde en perdition subit les durs assauts d’un ouragan breton. Sur la terre décollée, un unique salon où mon frère et moi-même vivons contre les embruns. Je le protège des vagues écumantes, derrière le canapé, tout comme je le faisais lorsqu’il craignait encore les blancs moutons des plages bretonnes. Le monde tourbillonne sous les humeurs du vent, et les frères luttent contre ce qui s’engouffre. Qui fait battre les volets ? Pourquoi ce temps assaillant qui se déverse et nous chasse hors des sofas moelleux où je dormais sous son poids ? Un écureuil au pelage penaud, trempé et sans ciré, se joint inconsciemment à notre lutte juste. J’observe le ballet de ces trois improbables, qui s’enfuit par une porte entr’ouverte de mes souvenirs comme une feuille mourante se cache pour expirer.
La tempête à peine apaisée, me voici découvrant ce coffre cramoisi où furent entassés des bruits familiers. On y entend à travers une porte lourde la rumeur sourde et chaotique d’un repas de famille. Je suis derrière la porte, adossé et haletant, me gardant hors de portée de ce monstre rampant. Dans le bureau de mon grand père, le temps s’est arrêté, le temps du fromage au moins, et je me cache dans le passé jusqu’à l’appel de la tarte. Je me délecte de cette douce culpabilité d’avoir sciemment évité un devoir détestable, et tandis que le vin rouge coule sur le comté, je bâtis des églises, non sans l’aide d’une ou deux girafes. Leur long cou est la garantie d’un clocher fier. Je me roule sur l’épais tapis entre les pieds du bureau, et les longues bâtisseuses s’étendent vers mon corps. Je me tords de bien être sous la chatouille de leur langue, mais le coffre tombe en poussière. Et c’est sans mes girafes, que je me gausse au matin, et le coffre a fané juste avant le dessert.
Quelques mondes encore m’ont visité hier, mais je n’ai pas su leur être hospitalier. Les enfants nocturnes semblent perdre à l’aurore leur folie juvénile ! Aux premières clartés, les voici qui s’enchaînent à leurs réalités, qui s’embourbent et se pétrifient, qui s’évaporent, écrasés par le poids des jours semblables.
Les lumières, nos raisons, ont réduit leur pays, et nos journées n’éclairent que de tristes frontières. Et nous sommes des hommes au foyer armés de fers brûlants repassant l’horizon pour des lendemains lisses. Dans les recoins du temps se creusent de sombres grottes, des nuits où vivent encore des êtres du passé, où le noir nous cache l’impossibilité des choses, où seul l’esprit colore la matière, où les objets ne sont pas esclaves d’un dictionnaire.
Des encyclopédies s’échappent des flots de mots, et les définitions se mêlent dans la nuit en torrents d’idées sauvages. Les idées se jettent dans le bleu d’une mer de nuit où tout n’est que vague. Des notions primitives, ils forment des palais, qu’un vent chargé de vraisemblance érode au matin.
Et nous marchons souvent sur ces palais enfouis, nous pâmant sur les ruines de ces folies anciennes. Les vestiges des mondes de ces enfants nocturnes, sont les rues où s’ennuient nos vies trop dessinées. Le monde se modèle dans le flou d’une nuit où les angoissent sculptent, où les envies pétrissent des possibles nouveaux. Au matin tout se fige et l’on renie bien vite qu’on a eu peur du noir, et l’on oublie bien vite, l’œuvre des inconscients, des fous qui ne font plus usage de leurs limites.
lundi 8 septembre 2008
National Geographic, the august issue: wilde life of ThomThom in the french far west...
Alors pour que vous soyez aussi ennuyés que moi, je vais vous bombarder de photos de vacances, comme d'habitude bassement narcissiques.
Sur les photos, il y a moi,essentiellement. Mais pour votre plus grand divertissement j'ai pris la peine de changer le fond régulièrement.
Pour cette première série, le fond est breton. On le sait, car tout est beurré et salé. Allez vas y, lèche ton écran pour vérifier. Hop tu viens de prendre deux kilos!
Pour vous tenir en haleine, je vous avertis que les prochains décors de mes délires narcissiques seront croato-paradisiaques!
Allez, un petit commentaire gentil pour le remonter le moral... Parceque quand même, j'ai un peu mal au ventre et j'ai bien froid sans mon soleil blond.
Et sinon, Dubrovnik ta mère! (titre du prochain numéro de National Geographic)
jeudi 21 août 2008
Moi en Vrac
Promis, après je vous colle un article complet et illustré sur l'art d'épiler les kiwis pour qu'ils soient sexy en maillot sur la plage... Et il y a du boulot.
J'ai un sacré budget kiwi ces temps ci.
vendredi 8 août 2008
Cinq jours de poésie... le vendredi
De chercher une étoile, un soleil ou un Dieu,
Combien ont supporté la vision pétrifiante
De ce lourd rideau noir aux tombées insolentes ?
Ce rideau est brodé de marbre et de passé,
Et sa lame s’abat fendant les mers de larmes
Que l’on emplit en vain de chagrins en nuées
Lorsque l’on aperçoit ce mur de sombre parme.
On improvise en hâte de vaines révérences
S’imaginant laisser une trace de danse.
Mais le rideau lugubre ne masque qu’un décor
Et la salle ne perd que la vision d’un corps.
La voyez vous à l’œuvre, s’exécutant dans l’ombre
La triste couturière qui brode la soie sombre ?
Elle observe l’histoire et s’en laisse imprégner
Pour créer son motif et un parfait drapé.
Parfois ce n’est qu’un voile, translucide, brumeux,
Qu’elle étend sur une vie et qui s’opacifie,
Ou de lourds taffetas qui vous couvrent les yeux
Qui vous courbent l’échine et étouffent les cris.
Imaginez dans son coin poussiéreux la veuve,
L’araignée besogneuse croisant les fils du temps
Qui au hasard des nœuds quand les colombes pleuvent
Fait descendre sa toile qui tue au gré du vent.
Ces grandes tragédies sont au petit matin
Des joyaux scintillants que la rosée étreint
Le reste d’une vie à l’aube s’évapore
Faible vapeur d’éther sous un soleil de mort.
On ne cache qu’un décor, on ne perd qu’un corps.
jeudi 7 août 2008
Five days of poetry... Thursday
Perfumes of elsewhere can be dearly missed
When you know that they smell like the lover you kissed
Before time flew him away and let my life hollow.
How painful I find those pictures in my books
Where you seem to have drawn in the blue paradise
In the glow of the sea I’m searching for your looks
I listen to the wind seeking for some advice.
How ridiculous…
Can one miss the pictures in a book?
I just miss what you see so far away, because it makes me feel blind
I just miss what you hear without me, because it makes me feel deaf.
I miss things which I could as well hate.
All those things which have stolen you away,
Their beauty, which I dreadfully fear and childishly envy.
They surround you like I would; they caress you like I should.
I’m a prisoner of space, of time, I feel trapped by the immensity.
Somewhere on earth, I will meet you
Somewhere in time, I will find you.
Time keeps us apart, stronger than any wall.
But I will pull the thread of time and bring you back to me,
I’ll wrap the thread around my heart, and tie you up with me.
How brave can a kid be, looking for his dream on earth?
How stupid can he look, looking for his love in time?
I’ll just close my eyes and look down from the stars
I have a great view there, and their light makes you shine.
And the world keeps spinning, and we’re still worlds apart
How many more turns till I land in your arms?
Waiting for you on this waltzing planet,
I feel dizzy but still I see
Clearly your arms waiting for me.
Découvrez Olivia Newton-John!
mercredi 6 août 2008
Cinq jours de poésie... le mercredi
L’instant où les regards cessent de nous habiller,
La seconde élégante où l’on fait fi des fous,
Des vampires qu’on côtoie et qui festoient de nous.
On vous gave de vie, et vous voici parée
De peaux mortes tissées, d’apparences cirées.
Vous voici à la mode, vous avez réussi,
L’exotique étrangère, ne voit plus son pays.
Êtes-vous assez sortie de vos chaires alléchantes ?
Êtes-vous bien vêtue de toutes ces breloques
Dont vous vous recouvrîtes, intraitable immigrante
Pour mieux vous prémunir de quelque songe en loques ?
Nous voyons sur ses lèvres suinter l’écarlate
Et comme un grand oiseau dressé haut sur ses pattes,
C’est une rose debout, dormeuse qui s’ignore
Et qui puise son pourpre aux sources de la mort.
Et dans ses jolies mains, plus mortes que leurs bagues,
L’avenir désespère et les lignes s’effacent.
Suivez sous vos vêtements ces destinées trop vagues
Les écrits de vos mains qui trop gantés trépassent.
Vous êtes de ces vierges qu’on sait plusieurs fois veuves.
Vous fûtes engloutie en rêvant de peau neuve,
Sous les sueurs de prisme qui coulent des yeux des autres.
Résilles et dentelles ont aveuglé les vôtres…
Débarrassez-vous donc de ces yeux qui vous rongent,
La beauté est en vous comme l’eau dans une éponge.
Votre âme se meurt déjà ligotée à vos os,
N’harnachez pas le corps dans ces horizons clos !
Faites comme ces âmes qui au soleil couchant
Rejette à la hâte leur corps dans un lit,
Pour partir toutes nues valser jusqu’au levant
Loin de ces chimères qui marchent sur la vie.
Laisse donc la nuit suave déshabiller tes formes
Et marche sur le fil, marche jusqu’à l’aurore,
Sur le long fil d’or que les figures de proue
Tissent de leur regard qui ne voit que demain.
Laisse le droit horizon s’enrouler dans tes mains
Et au gré des astres dessiner dans tes paumes
La carte du chemin qui mène à ce jardin
Où poussent à fleur de peau des rythmes inhumains.
mardi 5 août 2008
Cinq jours de poésie... le mardi
Et qu’advient-il des amours mortes,
Quel diable inconscient les emporte ?
Elles chevauchent nos souvenirs,
Les cheveux au vent des soupirs.
Les voici rampant à nos pieds
Agenouillées sous nos épées.
Leurs gémissements si tranchants
Ne blessent encore que les enfants.
On se protège de leur laideur
Et on se cache de leurs humeurs,
Car dans les yeux de ces histoires
On craint de croiser un miroir.
On les tue puis on les embaume,
On scelle un linceul rouge et gris
Et quand le passé fait des mômes
On les achève à coup de momie.
Nous voilà seul sur un traîneau
Que neige et loups déjà entourent.
Lorsque l’on fuit un échafaud,
N’attend-on pas qu’il nous secoure ?
On retient vaguement en soi
Des foules d’âmes intrépides
Qui bâillonnées taisent pourquoi
On fut un jour aussi stupide.
Ces fantômes de sentiments,
Jeunes ou vieux, ou impotents,
Sont les compagnons d’un voyage
Qu’on veut faire seul, qu’on veut volage.
Les spectres des amours blessées,
Fondus en alizées tremblants,
Volent déjà vers les chevets
De leurs camarades mourants.
Ces souvenirs marécageux
Où flottent de tristes fantômes
Irriguent les torrents amoureux
Et donne au passé ses arômes.
Les amours mortes sont l’héritage,
Et le sillage de nos erreurs.
Et les victimes de ces naufrages
Ne meurent vraiment qu’avec le cœur.
lundi 4 août 2008
Cinq jours de poésie... le lundi
Ne sont ils pas encore une triste trouvaille,
De sombres artifices qu’on porte au coin de l’œil,
Une excuse de plus pour se couvrir de deuil ?
Quels sont ces rideaux diluviens
Qui seuls suffisent à éteindre les scènes ?
Quelles sont ces frêles estrades où nous nous produisons,
Qu’une ou deux larmes douces suffisent à recouvrir…
Mais d’où vient la lumière ?
Comme nous avons confiance ! Vois comme nous croyons !
Quelques dentelles grises, et les sourires sombrent.
Tout ne vient pas d’en haut, tout ne tombe pas du ciel !
Aujourd’hui le monde ruisselle et suinte
De fièvres en sueurs, le voici qui s’écoule
En fleuve d’amertume nourri par les complaintes
D’une tribu de martyrs, d’incompris qui s’écoutent.
La pluie n’est pas éclipse, le temps n’est pas sentence.
La pluie d’été t’insulte et dissout tes attentes,
Tu voudrais lire au ciel les traces du temps qui passe,
Tu voudrais voir partout fleurir les horloges
Crains-tu vraiment le temps ? Crains-tu qu’il t’oublie ?
Crains-tu d’y échapper, crains-tu la liberté ?
Tu vis dans une caverne que la pluie assombrit
Tu ne penses qu’au dehors, tu ne vois que la sortie.
Et si pour un instant tu oubliais ta peur,
Si tu te retournais et observais le fond,
Peut être trouverais tu dans tes recoins obscurs
Des veilleuses discrètes sous les voutes humides.
Dans un repli de toi, dans un repli du temps,
Tu trouveras bien la clé des autres jours d’été
Le temps est cette belle étoffe que l’esprit peut froisser
L’art du drapé protège de la pluie, protège de l'oubli.
Ce qu’il faut être mort pour craindre les ondées
Les jours de pluie ça n’existe pas…
Découvrez Véronique Sanson!
lundi 7 juillet 2008
Valse avec Narcisse
Le danseur semble éviter les projecteurs, il est fugitif et conquérant. Ses pieds sont brûlés par le terrain miné de l’immobilité, et il sent au dessus de lui, dans la lourdeur d’un ciel lourd, le feu nourri et menaçant de la pesanteur le clouer au sol. E puis il apprend à se donner à la lumière, se laisse apprivoiser par sa caresse.
La scène s’improvise aux moments les plus inattendus. Le public a envahi la terre. La musique est prête à jaillir, salvatrice et apaisante, au cœur du conflit. La valse rend la survie romantique.
Le fantassin fond en un mouvement insaisissable, se convainc de la légèreté de sa condition en évitant les projecteurs, sous le feu nourri des mitraillettes qui l’observent. Du haut des tours hantées, penché aux balcons éventrés, c’est un public meurtrier qui vient condamner chaque faux pas d’une sentence de mort.
Une même valse, deux publics, et la scène bascule du paradis à l’horreur. Les pas étaient pourtant les mêmes, et la musique n’a pas changé. Comme l’équilibre des impressions est fragile. Comme la lecture du monde est inconstante. On change une lumière, quelques spectateurs, et la valse bascule de Bastille à Beyrouth.
La lumière semble travestir aussitôt qu’elle a révélé, on la cherche cherche, on la vampirise. On entre dans la lumière, le nez en l’air, parcourant les étoiles sans faire attention aux ruines qu’on piétine, aux flaques de sang que la fusée a crachées. Aux fleurs de l’ombre on épargne le cueillette, mais les sentira-t-on jamais ? Les étoiles filantes irradient leurs proies d’un concentré d’existence. Quel beau spectacle, quel savant jeu d’illusion que notre esprit met en scène pour voir dans ces lumières des merveilles éphémères!
Il faut lui pardonner, il ne sait pas embrasser l’ampleur des tristesses, l’ampleur de sa faiblesse. Il se dupe gaiement et maquille ces drames avec frivolité. Ce qu’on ne comprend pas ne semble importer vraiment.
D’un côté le ciel bleu et pur teinte l’eau fraîche d’un azur doux, les prairies vertes frémissent sous des brises sirupeuses et des rêves sucrés, l’air est léger et frais.
De l’autre des arbres noircis se voutent sur un marasme sirupeux dans lequel se noie un ciel rouge et gris, tourmenté par des orages oppressants et accusateurs. Entre les ruines fumantes volent des intentions mauvaises, et les désillusions s’échappent en fumeroles d’entre les décombres.
Dans les flots se mêlent les reflets, et des humeurs contrastées viennent teinter les corps dérivants. Les courants capricieux charrient les naufragés et teintent leurs peaux de couleurs toujours nouvelles. Dans cet espace où vit l’homme, au cœur de ce confluent immense de valeurs et d’émotions, qui peut dessiner des frontières, qui peut se revendiquer d’une rive ou de l’autre, quand les rives se dissolvent à chaque instant dans leur reflet, charriées par le courant des corps ?
Pourtant qu’elle est triste, la surface si lisse d’une mare abandonnée où les visages glissent comme les ombres des saules. Elle attend l’onde d’un vent nouveau, le fin frémissement des ailes d’une libellule, elle attend le pavé qui rendra la mare hilare. Elle attend qu’on vienne sans peur troubler les images, que chacun sache se reconnaître intrinsèquement, et connaître l’autre au-delà de son reflet fragile.
Narcisse tente de se retrouver, seul au bord de l’eau. Les autres ne voient que son reflet, et jaloux veulent s’en saisir. Les voici qui tombent, précipités dans les marasmes de leurs ambitions capricieuses, en quête d’un visage, d’une expression qu’ils ont voulue peinte à la surface d’une flaque. Quand les vagues se calment, l’image de Narcisse est partie voguer sur des eaux moins troublées.
Il faut parfois s’élever pour constater sur la carte le chemin parcouru, pour retrouver le point de départ et les premières escales.
Il faut faire marche arrière pour retrouver les souvenirs, et ce qu’il faut grandir pour tout récupérer, tout porter, tout embrasser. Toutes ces images qu’on a refusé être, ne les avons-nous pas été toutes un peu ?
Et tout le long de la route, les yeux du monde nous observent. Ils se délectent des images que nous envoyons, de celles que nous rejetons, de celles que nous oublions.
jeudi 3 juillet 2008
Jeux de scène
On piaffe dans les coulisses, partagé entre la certitude que rien ne peut se passer comme prévu, et le besoin de voir la lumière. Le rideau s'est levé, un seul mot m'est venu à l'esprit: "enfin".
Le rideau est tombé, et ce fut "déja".
Ma fête, cette année, fut le 27 juin.
Je voulais justifier quelques absences,
Je voulais expliquer quelques armures,
Je voulais rappeler que le silence peut être lumière.
Je voulais remercier ceux qui ont été assez curieux pour tenter de me connaître vraiment, ils ont fait un grand pas vers moi.
Je voulais demander pardon à ceux qui ne comprendront jamais. Je n'ai pas le choix, je ne sais vivre que de ça, et que de moi.
Le chant reprend doucement dans ma tête, le monde hors du cocon va reprendre des couleurs plus réelles, Baptiste, Orphée, Narcisse, Valmont et leurs amis vont revenir danser en cette place.
Narcisse trouve son miroir favori dans les yeux du public, c'est là qu'il se trouve beau.
Votre soutien, votre patience, votre inspiration, m'ont permis de vivre jusqu'au bout cette année ambitieuse.
Je ferai tout pour honorer vos espoirs et vos encouragements, et tâcherai redonner vite à cette scène l'activité qu'elle mérite!
Pour l'heure, sieste estivale au bord de la marre.
mercredi 18 juin 2008
Papier glacé
C’est comme un rêve qui s’achève et son monde qui se fane. C’est une chute enivrante qui cesse sans fracas, c’est un météore qui s’évapore, et je l’ai chevauché toute la nuit.
Ce sont des images, des sons, des sensations dont l’emprise sur moi s’est aujourd’hui relâchée et me laisse écorché. Tout un pays caché au fond de moi dont j’ai fermé les frontières. J’emmène avec moi des souvenirs exotiques, des objets rares, toute une culture, un accent de vie qui teintera mes gestes, même très loin des banquises argentées.
Je viens de passer le frontière et dans le train qui m’aide à m’évader je regarde quelques clichés, encore si vivants.
Je me rappelle mes fantasmes, mes illusions si tenaces qui jamais n’ont quitté mes rêves.
Ces petits cauchemars, qui stigmatisaient mes craintes de ne pouvoir un jour plus glisser. Les patins immettables, les lacets perpétuellement cassés, les costumes déchirés au dernier moment, les lames rouillées, la glace fondue, et moi qui courais contre le temps, courant sur la glace pour me sentir voler malgré tout, nageant parmi les blocs de glace à la dérive, dans une eau chaude à me donner la fièvre.
Ces grands rêves où voler était une évidence, un commencement, où doucement je m’élevais, et droit comme un I je tournais, étudiant posément ma position, et retombant comme une fleur de givre sur un coussin de velours, ayant enfin compris la facilité des mouvements. Et mon cerveau apprenait, alors que mes jambes transpiraient au chaud sous leur couette, l’art de tromper la physique et l’exercice délicat de l’illusion cristalline.
Je revois mes premiers pas, les joues froides de maman et son gros pull, les figures de ma sœur et mon enthousiasme en écharpe qui gardait mes joues rouges. Les jeux et les rires, la pause forcée à la cafétéria quand la fascinante machine polissait le miroir que nous avions marqué, nous invitant à de nouvelles improvisations. L’odeur des vestiaires qui a toujours accéléré les battements de mon cœur, l’antichambre de moi-même où je démaquillais mon âme.
Je revis mon premier cours, allongeant mes arabesques sous le regard de ma mère, qui faisait l’avion derrière la balustrade pour que j’oublie l’angoisse qui me tétanisait, cette angoisse qu’on ressent quand on se sait en mesure de faire vivre un rêve.
J’entends craqueler la glace noire des lacs du Jura, où mon père m’emmenait tracer de blanches volutes sous les sapins enneigés. Partant au matin congelé, mes patins à la main, patinant tout le jour sur le moindre étang glacé, boulimique de cette fuite, je ne rentrais qu’à la nuit tombée, le nez pétrifié et le cœur bouillonnant.
Je revois la silhouette élégante de cette dame des glaces qui éleva ma vie à la force de ses pointes, glissant sur le miroir sans même le marquer, réfléchissant mon âme plus clair que la plus lisse psyché. Et elle traçait mon portrait chaque jour, m’invitant à poser avec elle, improvisant un cours de danse sur un iceberg à la dérive, déposant ma jambe sur la barre comme on montre le chemin à un égaré.
Et mon corps se souvient des luttes acharnées et des sueurs systématiques, dans la plus stricte des solitudes, contre sa nature propre. Des heures interminables, sur la glace, dans un grenier, dans une cave, partout où je pouvais m’exercer, sur les stades, sous les poids de fonte. Les colères insensées contre l’inefficacité de ces douleurs, contre l’invisibilité de la récompense, contre ce brouillard épais dans lequel je glissais sans avancer. Cette conviction profonde que jamais je ne m’arrêterais, que la solution était là, à deux mètres de brume, à deux heures de purgatoire.
Je jouis encore de chaque récompense, de chaque providence, de chaque improbable réussite. Je jouis des dénouements aléatoires, qui m’offraient morceau par morceau la lune que je visais, et épanchait mes désespoirs suintant. Toujours la lune a brillé quand tout semblait trop noir, je n’ai pas connu de point mort. Elle guidait mes folies, quand la résignation voulait m’en préserver. Marin, je redoutais plus que tout que le silence des sirènes.
Les colères noires qui tachaient la blancheur des pistes me traversent encore, capricieux otage de mes inaptitudes. Et le mouvement, et le miroir, catalysaient mes passions, aiguisaient les angles déjà tranchants de mon être. J’ai grandi autour de ces rages pour mieux les contenir, mais les flammes n’ont jamais été étouffées par le froid. Je plains ceux qui s’y sont brulés et en gardent les cicatrices.
Je fais encore chaque jour ce premier pas, celui où l’on remet tout en jeu, où on entre dans l’arène, seul sur la glace pour une heure d’entraînement, dans le stress d’une compétition, ou dans le joyeux chaos d’un soir de gala.
Et je garde sur mon visage le sourire du dernier soir, l’envie de partager le fruit d’une trop longue solitude, le secret dévoilé, le rideau levé sur ce qu’il y a de plus intime en moi. Et le départ précipité vers d’autres rideaux, d’autres scènes et d’autres miroirs, comme l’évidence d’un raccourci nécessaire. Mes patins sur mon épaule, je m’efface d’un paradis artificiel dont je commençais à me sentir prisonnier. La conquête, toujours, est enivrante, mais jamais elle n’est acquise. C’est l’étoile qui file qu’on remarque le plus, elle porte le regard vers d’autres constellations. Et derrière chaque étoile, un espace infini pour se réinventer.
J’ai voulu danser avant de patiner, j’ai traversé la piste pour arriver sur scène.
C’est par là que tout commença :
jeudi 22 mai 2008
Oublier le temps (II)
Il y a ceux qui partent, ceux qui s’évaporent, ceux qui se dissolvent,
Esclaves de leur fuite, ils courent à rebours et font tourner le monde.
J’ai beaucoup couru, je n’ai que trop fui, mais aujourd’hui je tombe.
Je tombe hors du temps, je laisse tourner les ombres et les fous qui s’immolent,
Tout autour de la terre, sur leurs orbites molles..
Tomber hors du temps, c’est chuter hors de prison, c’est tomber libre
Comme on tombe amoureux, une joie intolérable et une insulte au monde
Se complaire dans la chute et apprivoiser l’absence des heures, oublier leurs ombres,
C’est tuer les geôliers sans les remercier, se laisser survivre et s’épargner enfin.
Perdre le contrôle, celui qu’on supporte, aveuglément.
Il faut prendre un passe temps comme un passe muraille et dissoudre les chaînes,
Vivre en désaxé, les horizons brouillés, l’abscisse désordonnée.
Les pieds sur la terre nous entraînent, le temps gonfle les voiles du départ
Ce désir d’être porté lorsque l’on peut flotter est un caprice cher payé,
Le fauteuil du temps précède le handicap.
Les terres meubles, les sols impalpables, sont ceux qu’il faut savoir fouler
La confiance qu’on accorde aux trésors invisibles nous délie des regrets,
Et relâche à mon cou la corde nouée que le temps tend sans trêve.
Ces certitudes sans âges actionnent d’autres rouages et d’exotiques logiques,
Des narrations nouvelles qui tissent le fil du temps avec d’autres soies rares.
Il faut confier le plus lourd aux nuages légers, savoir remettre à demain,
Et remettre en des mains étrangères les encres noires qui suintent à travers nous.
Traverser la pluie et le bon temps, les brouillards acides des matins éteints
En conservant en soi l’horizon, et l’infini vers l’autre, ne pas viser demain
Mais viser un état, un état libre et de grâce.
Les temps morts sont des leurres, qui hantent les cœurs creux
Et les soupirs faciles des âmes prisonnières
Ces fantômes mythiques s’évaporent d’effroi
Dès qu’on tourne le dos à la funeste marche
Et le temps comme le vent, n’emporte que l’infime.
Ne voyagent avec lui que de sèches brindilles,
Et la chaleur de flammes qui n’ont rien su brûler.
Le reste demeure et voyage autrement, dans l’espace infini, sur cette route droite, qui relie l’indicible à mon être profond
mardi 20 mai 2008
Oublier le temps
Préface à l’introduction des prolégomènes: promis, après cet article, je publierai quelque chose qui aura mobilisé au moins deux ou trois de mes neurones… Je suis en ce moment en plein casting pour sélectionner les meilleurs, et cela prend du temps, faute de candidats.
Du coup je balance des photos de fleurs, je publie mon agenda… Si ça continue je vais te mettre en forme ma liste de course avec des vidéos de fruits et légumes, et un super mini-lecteur audio avec Bourvil dedans qui te chante que la salade de fruit jolie jolie, jolie, plait à sa mèreuh et plait à son pèreuh.
Mais il faut me comprendre, vous avez lu mon agenda (et bientôt la notice de lavage de mes caleçons), et vous avez bien compris qu’en ce moment précis, c’est la crise…
Non, ce ne sont pas les 5h de répétition quotidiennes, ni le stress qui monte. C’est bien plus subtil que ça, et bien plus redoutable aussi. C’est un mal insidieux qui me ronge depuis exactement un an aujourd’hui, une angoisse pernicieuse qui inscrit dans chacune de mes cellules ce code effrayant qui me rapproche irrémédiablement (un mot au dedans duquel il y a diablement, tu sens la présence du démon dans cet article) du début de la fin… Et cette malédiction qui plane au dessus de ma tête comme un pigeon boulimique au dessus d’un paquet de chips s’abat sur moi aujourd’hui même…
Moi: Tu comprends ?
Toi: Gné ?
Moi: Bon remets ta mouche Merteuil, après j’texplique.
D’abord je tiens à rappeler au lecteur étourdi, et conséquemment pendu par ses tripes au clocher du village à l’heure qu’il est, que l’article « demandez le programme » contenait une énigme de haute voltige, niveau trapèze volant, du genre :
« Le jour le plus important du mois de mai est entre le 19 et le 21 »...
Çà se pose comme énigme, hein? Déjà, Da Vinci Code est relégué au rang de cahier de vacances pour moyenne section, et la quadrature du cercle est confiée à une bande de fillettes avec des pâquerettes dans les cheveux (elles dansent des rondes, elles sont donc tout à fait à même de résoudre la quadrature du cercle si elles se donnent la peine de danser un peu en carré de temps en temps… En comptant le nombre de pâquerettes qu’elles peuvent cueillir dans l’espace ainsi formé, et en les effeuillant le nez en l’air, elles trouveront Pi à trois pâquerettes près -infaillible!).
Je vous imagine, froissant des brouillons, barbouillant des tableaux d’équations, affûtant vos compétences intégro-différencielles, dépoussiérant vos traités de thermodynamique, vous arrachant les cheveux alors que le balayage est tout neuf…
J’ai décidé d’abréger vos souffrances en vous offrant gracieusement (suis pas danseur pour rien) le résultat de l’énigme. J’invite Bécassine et Pollux à me rejoindre sur le plateau pour nous révéler le résultat de ce problème épineux!
Rappelons les nominés :
- Pi
- 20
- 1981
- Tata YoYo
- Dominique Blanc qui joue Phèdre au rayon abats du franc-prix en bas de chez toi.
Ben tiens toi bien, la réponse est 20, et par la magie d’une coïncidence comme qui dirait pure et fortuite, c’est pile la date d’aujourd’hui.
Le nom des vainqueurs sera affichée en haut des commentaires datés d’aujourd’hui.
Et donc aujourd’hui, comme c’est le 20, j’ai 20 ans, na ! Comment ça ça marche pas comme ça ? J’ai décidé ! N’empêche que hier encore… bon remplace toi même les 20 par des 26 dans la chanson.
Je sais, je suis drôlement narcissique de poster moi même un article sur mon blog pour me fêter un joyeux anniversaire. Mais sache que je le fais par pur altruisme.
D’abord, parce que si je ne prouve pas régulièrement mon narcissisme, certaines personnes sont bien déçues, elles n’ont plus rien à me reprocher, alors elles m’en veulent, elles ont peur. C’est aussi pour ça que je prouve souvent mon égoïsme et mon immaturité. Je mets en quelque sorte de l’eau du bain dans le moulin, et le bébé avec.
Ensuite parce que mon approche habituelle des anniversaires, c’est plutôt ça : je ne rappelle jamais rien à personne, et j’attends impatiemment 00h01 le 21 mai pour rayer définitivement de mon carnet d’adresse chaque inconscient qui a oublié de me chanter des louanges et de me souhaiter du bonheur. Evidemment, après un moment, je reprends contact, suis pas si ingrat. J’envoie un gentil petit mot, agrémenté d’un cocktail de bactéries amazoniennes mortelles pour m’assurer que le félon mourra dans d’atroces souffrances pour le reste de sa vie misérable.
Donc là, altruisme flagrant, mesquinerie apaisée, sagesse évidente, je vous tire tous de l’embarras en vous laissant cet espace privilégié pour penser à moi, et bénir mon année nouvelle. Cet article, c’est en quelque sorte un sanctuaire où tu peux te recueillir… Comme c’est beau… Si tu veux tu peux parsemer ton clavier de fleurs de lotus pour laisser ton commentaire. Sauf que tu verras moins bien les touches, c’est à toi de voir.
Plus sérieusement, soyez gentils, c’est assez flippant comme ça de voir filer les années quand on nourrit ses passions de fougue, de beauté juvénile, de chevelure flamboyante (heureusement, il y a la gamme John Frida « brillante brunette »), de grands écarts et de courtes nuits…
Bizarrement, en ce jour, plus que jamais, je me sens fougueux, immature, impulsif, excessif, obstiné, passionné, ambitieux, égoïste, borné, fragile, lunatique, sensible, instable… donc plus que jamais j’ai la conviction d’être moi, et que cela ne changera pas. C’est peut être là la seule forme de sagesse qui ait pu germer en moi : je sais maintenant que je ne renoncerai jamais à mes doux vices et à mes rêves démesurément mégalo. Va falloir vous les coltiner encore un moment !
Et puis cet article est deux en un (un article et un adoucissant ? un article et un baume orthographique ? Un article et un après-article ?). Parce que c’est aussi aujourd’hui l’anniversaire de mon Viking. C’est sympa qu’il y ait d’autres gens qui vieillissent avec moi. Prenez exemple !
Grattis på födelsedagen !
En fait la vie n’est pas si moche! Allez, musique !
lundi 5 mai 2008
Le grenier des anges
Parmi les plaisirs coupables dont j’ai pavé les chemins de mon quotidien, l’un de mes favoris est sans doute de me perdre. Il n’est pas ici question d’évasion, car si l’évasion est une fuite, la perte naît d’une quête. C’est d’ailleurs lorsqu’on a trouvé, ou qu’on a été trouvé, que l’on cesse d’être perdu. Ainsi, lorsque le temps s’y prête et qu’on m’a prêté quelques heures, je quitte mes antres familières, et vagabonde au gré des exotismes, guidé par les chants perfides et suaves de ces ailleurs illusoires, dont le beauté est souvent plus évidente lorsqu’on la devine au loin.
Ne laissant derrière moi qu’un sillage parfumé ou un air entonné (pour être pleinement appréciée, la perte doit parfois durer. Il convient ainsi d’être un peu discret, car l’exubérance fane les ailleurs), armé d’une naïveté proche de la transparence, je laisse les foules actives et influentes me porter sur les boulevards du crime.
Je me délecte particulièrement de l’effervescence des marchés printaniers où, bousculé par des effluves parfois trop charnelles, par les voix qui appellent et celles qui malgré elles me rejettent, je suis à peu près certain de me retrouver très vite là où je ne pensais jamais atterrir (c’est ainsi que la probabilité de me trouver à comparer le prix des navets bios un samedi matin sous la pluie n’est pas nulle).
Alors dans le chaos, dans la violence du hasard, l’inattendu dessine des constantes, des vérités auparavant illisibles. Quand tout s’efface sous la pluie des différences, le maquillage coule en premier (chez certains, il est waterproof). Il reste une trame, des traits plus simples et plus clairs, des perspectives plus nettes qui expliquent des compositions trop complexes. Devant les navets bios, les yeux fixant le ciel, je regarde les nuages crever sur moi en torrents diluviens, les cheveux collés aux épaules, faisant couler le long de mon corps et jusqu’aux égouts des idées inutiles, obsolètes, étrangères, parasites et sans avenir. Elles s’en vont rejoindre dans le caniveau quelques pommes abîmées et deux têtes de poisson. Peut être seront-elles la proie d’un chat de gouttière en quête d’inspiration. Alors la perte s’achève, je retrouve mes repères et je me reconnais, je lâche mes navets bios et cours acheter un pot de Ben and Jerry’s Cooky Dough.
Je dois cependant confesser qu’une de mes pertes favorites ne doit rien au hasard ni au vagabondage. On peut se perdre dans une rue, dans un labyrinthe, ou devant les navets bio sur un marché douteusement bigarré. Mais depuis une éternité (avant que je ne découvre les crèmes glacées hyper caloriques, donc une éternité), c’est dans le temps que je me perds le mieux. Entre les pages d’un album photo (n’est il pas légitime d’être nostalgique quand on approche de ses 5 ans ?), au fond de mes placards lorsque je décide de les ranger (goût prononcé pour l’archéologie détecté très tôt), j’adore me perdre. Mais le top, c’est le grenier (normal… par définition… oui d’accord il reste le toit dessus, mais on s’y perd difficilement).
Depuis de longues années, il y a près de chez moi un grenier remarquable. N’ayant pas la chance de disposer moi même d’un grenier, mes rêves étaient cruellement privés d’antichambre, et les portes du ciel me semblaient parfois redoutablement verrouillées. J’ai donc été contraint par ces dispositions inhumaines à utiliser des greniers étrangers, et il se trouva que mon oisiveté curieuse était la clé de l’un des moins conventionnels.
Le grenier des anges se trouvait sous le sol, c’était un grenier qu’il fallait mériter. Plus qu’un grenier, c’était l’idée d’un grenier, un essentiel, une réduction de grenier, un grenier d’urgence qu’on pouvait pénétrer si on se faisait suffisamment petit.
Alors commençait un voyage plus grand qu’on eût jamais pu l’imaginer dans 9 mètres carrés (et 1 mètre 60 de hauteur sous plafond). A chaque pas fleurissait un univers, on se retournait, et c’était encore une autre époque, un autre rêve réduit ici, stigmatisé, mis en scène ou en carton. D'insignifiants détails empilés dans une anarchie savante donnaient au visiteur juste ce qu’il fallait d’anecdotes légères pour que l’exotisme soit vraisemblable. L’importance que revêtaient ces objets dérisoires leur provenait de la distance et du temps qu’il leur avait fallu parcourir pour nous atteindre. Ils nous amenaient les soucis du quotidien qui donnaient aux anges leur importance, à la beauté sa nécessité. Sur les pavés glissants, la nuit pouvait tomber, mais au dedans, toujours, il suffisait d’ouvrir une malle pour qu’un parfum vous transporte dans le nuage poudré d’une belle du dimanche, ou mieux encore qu’il vous laisse entrevoir le printemps prochain dans le bouton de rose qu’un chérubin effeuille au bord d’une fontaine.
Seules les frontières du rêve cantonnaient cet espace, et le temps élastique en repoussait les murs.
Derrière les monceaux scintillants, on percevait la présence d’une dame. Seulement sa présence, pas son existence. Un être sans âge éternellement jeune, ou éternellement vieux, qui s’était répandu parmi tout ces bibelots, exposant une vie mieux qu’on la raconterait.
Car après tout, qu’est-ce qui mieux qu’un grenier peut raconter la vie ? Ici le temps est couché en strates distordues. La complexité des influences est méticuleusement retranscrite par l’empilement progressif et aléatoire de ce qu’on laisse derrière soi. Les humeurs indescriptibles reparaissent à la faveur d’une lumière imprévue. J’aime ouvrir les greniers comme on ouvre une boite à musique. D’abord, tout est mort. Puis on ouvre, et la musique jaillit, la lumière d’un regard traverse le prisme des années et fait naître sur les murs les images du passé.
Les greniers parfois s’échappent. Ils sont si près du ciel, imaginez le vent. Alors on les oublie, comme on oublie un rêve. Et au détour d’une rue, on tombe sur cet endroit, sur ces sensations oubliées, et le grenier des anges est à deux pas de chez moi.
Comme ce grenier auquel je pense depuis une semaine, ce grenier qui m’échappe, mais dont je n’ai jamais voulu m’échapper. Cet endroit gris et sombre où ma sœur et moi finissions en douce les repas de famille trop pesants, et où nous voyagions sur des photos de calèches que de lourds chevaux tiraient fièrement. Là se rejouaient les jeux du passé, les insouciances surannées reprenaient du service. Dans des berlines de métal, escortées d’un régiment de soldats de plomb, les années quittaient les lieux. Et tous ces enfants s’affairaient ensemble. Ma sœur et moi réglant sur un tableau noir des comptes très importants, ma mère de 6 ans écrivant sur son cahier de poésie, mon grand père s’appliquant à quelque nature morte pour son cours de dessin, mes oncles se moquant de ma tante et de son vieux landau.
Dans les coins on trouvait des boites sombres et scellées où les peines et les épreuves étaient enterrées. On les cachait ici mais on les lisait mieux dans les sillons qui serpentaient sur les visages de mes aïeux. Parfois la lumière se perdait dans cet encombrement. Elle soulevait les draps blancs qui séchaient sous les toits, et la poussière des craies dansait dans la clarté furtive. Le grenier était alors comme un champ à la campagne, parfumé et frais, où sous des arbres fruitiers, une dame regardait ses enfants jouer dans la lumière.
Une dame sans âge, qui montait les draps pour qu’ils sèchent sous les toits. Elle s’est envolée, au gré du dernier souffle, vers des clartés plus permanentes. Mais il reste le grenier, si près de chez moi, où j’aime tant me perdre.
Il y avait, du temps de grand-maman,
des fleurs qui poussaient dans son jardin.
Le temps a passé, seules restent les pensées,
et dans mes mains...