mardi 11 septembre 2007

Abandon... (donnez des dins pour les abindins d'infins)

Dans l'imaginaire collectif, l'abandon n'a pas bonne réputation. Il est craint, dénoncé, souvent masqué ou oublié. Abandonner quelqu'un est toujours un acte honteux, presque tabou. Etre abandonné par quelqu'un est une souffrance que l'on tait et que l'on a du mal à partager. L'abandon de soi est considéré comme un renoncement, un oubli de soi et des autres.
Dernières paroles du Christ : « Mon Dieu, pourquoi m'as tu abandonné ». Partout et à tous les sens du terme, l'abandon semble être au cœur d'une large part des souffrances humaines. Et pourtant il jalonne la vie des hommes, et la rythme inexorablement.
La naissance est une première forme d'abandon : la mère « abandonne » l'enfant, le bannit de son ventre protecteur, paradis tiède et protégé. Le nouveau né est rejeté hors de l'éden prénatal. Le nourrisson est ensuite sevré, et c'est un lien de plus avec sa mère qui disparaît. Puis arrive un frère ou une sœur, et l'enfant perd l'exclusivité de l'amour de ses parents. L' adolescence impose aux jeunes d'entrer dans le monde des responsabilités, et de quitter la douce bulle d'excuses qu'est l'enfance. Viennent ensuite le départ du foyer familial, l'abandon de la vie d'étudiant, d'une ville, d'amis... Et bien sûr le plus cruel des abandons à l'âge adulte : l'abandon par un amant ou une maîtresse.
L'abandon est régulier et inévitable dans une vie. Plus que ça, il est constituant et constructeur, il est nécessaire à la maturation de l'être. L'abandon fait prendre conscience de l'existence propre de l'individu, au delà de son lien avec autrui. Il est suivi d'une phase de solitude où le dialogue est tourné vers soi, la réflexion est dopée par la douleur. Dans ces situations de crise naît parfois le courage de prendre des décisions auparavant redoutées. Détaché de liens confortables mais aliénants, chacun peut se tourner vers le futur et avancer sans remord.
Bien sûr l'abandon peut être traumatisant. Il y a une part évidente de destruction dans toute évolution et tout changement de cap. Les références et les horizons changent brutalement, et le retour en arrière est rarement possible. L'abandon impose de vivre dans son monde plutôt que dans sa mémoire ; il oblige à voir en face la réalité du monde et la place que l'on devrait y occuper. Il apporte une fin brutale à un système qui n'avait plus de raison d'être (mieux vaut arracher les pansements d'un coup sec...).
C'est malheureusement le caractère traumatisant de l'abandon qui en fait une des étapes clés de la vie. Lorsque l'on apprend à connaître quelqu'un, et que celui-ci commence à baisser sa garde, arrive inévitablement la confession d'une blessure, d'un manque, d'une trahison. A la source de nos états d'âme dorment toujours des abandons. Des parents absents, des amis partis, des amours illusoires. Nous en faisons tous nos drames mais ils sont nos guides et nos charpentes, car ils ont souvent décidé de ce que nous sommes à présent. Ils nous ont poussé à tourner les pages de nos journaux intimes et à écrire le prochain chapitre : « aujourd'hui, j'ai grandi, je ne ferai plus l'erreur de... » ou encore « C'est décidé, demain je pars... ».
Encore faut-il savoir surmonter la douleur de l'abandon, en faire un tremplin, une énergie (fût elle celle du désespoir...). Et pour ce faire bien sûr il faut avoir des projets pour soi même, une ambition quelconque, une foi en ce que l'on souhaite devenir. Alors l'abandon, cette ignoble tromperie, devient une dépossession. Ce qui apparaît comme une trahison de l'autre est en fait un acte d'honnêteté envers soi même.
Il est important de prendre conscience le plus tôt possible du caractère inévitable de l'abandon, afin de ne pas se détruire à chaque fois que celui ci se présente, mais aussi garder à l'esprit que l'abandon est souvent une occasion de franchir une nouvelle étape dans sa vie, une opportunité d'oser.
« Mon Dieu pourquoi m'as tu abandonné ? » Pour que tu suives ta propre route. L'abandon est l'ultime don fait à celui dont on doit se détacher, celui que l'on doit libérer pour qu'il grandisse. Il existe des abandons lâches et traîtres bien sûr, mais beaucoup sont une preuve d'altruisme, et témoignent d'une volonté d'aider l'autre à évoluer et à se défaire d'un lien dont il devient dépendant.
Dans d'autres cas enfin, l'abandon n'est pas un choix...
Abandonner, être abandonné, et s'abandonner alors ? S'abandonner c'est donc se libérer de quelque chose, c'est renoncer à soi ou à une partie de soi. L'abandon implique alors forcément une dualité interne de l'être, une part consciente et une part inconsciente, une part raison et une part passion, une part noire et une part blanche. L'abandon de soi est forcément une idée consciente, une décision prise. La raison décide de libérer ce qu'elle pense ne pas pouvoir contenir et qu'elle sent se développer : un sentiment, un besoin, une pulsion, une intuition.
Sur le chemin de son développement, chacun a rencontré et rencontrera encore sous une forme ou l'autre l'abandon. La plupart des étapes de la vie peuvent être considérées comme telles. Il est important alors de savoir accepter ces situation et croire en ce qu'elles peuvent apporter. Ce n'est pas là faire preuve d'un optimisme naïf, car le pardon (qui traduit assez bien l'acceptation de l'abandon) requiert un travail colossal de dépossession et un courage douloureux souvent.
Etre abandonné est une souffrance amère, mais abandonner (pour le bien de ceux qu'on aime) en est une plus cruelle encore.

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