mardi 11 septembre 2007

D'une larme à l'autre

11 juin 2003, Quimper, dans un grand atelier encombré d'œuvres. La lumière pleut à travers les persiennes, l'artiste a dù baisser les stores pour moduler à son goùt l'éclairage de l'instant. Les rayons d'or font danser une poussière assez épaisse, comme un brouillard. Les prémisses de l'été sont déjà plus qu'une évidence, l'air doux et clair des premières chaleurs invite à la rêverie.
Dehors, on devine facilement le vert tendre des peupliers, les chants insoucients des oiseaux, la mélodie d'un bonheur que chacun a dù connaître.
Dedans, le ciel au dessus est d'un gris brûlant. Les battements sourds de son cœur fièvreux résonnent comme un tonnerre, et un pan de lui s'effondre à chaque détonation.
Les bruits du printemps épanoui ne l'atteignent pas. Il entend vaguement la voix du peintre, une voix familière, ses paroles se fendent sur les parois de son corps comme l'onde sur une falaise. Il se laisse faire, il se laisse peindre, il se laisse fondre dans cette canicule.
Pourtant tout dans ce corps n'était que grelottement. Coupé du monde, la vie en été, lui au plus sombre d'un hiver dans lequel il chute avec désolation. Plus rien ne le relie à cet été là, tout l'a quitté excepté la certitude de son désenchantement, et il s'enferme au cœur d'un puis ténébreux et sourd. En lui, l'agitation grandit, le déclin ne lui ménage pas un instant de repos. Dehors, le calme chaud et apaisé de l'artiste au travail. Dedans, le blizard mugit et glace des larmes qui mettront des mois à fondre. Son cœur bat au rythme d'une percussion tribale semblable à celles que redoutent les enfants une fois la lumière éteinte. Ce face à face avec soi même, dans le noir, couché au dessus d'une obscurité d'incertitudes si dense et si profonde.
De cet instant il n'aurait rien dù garder. Pas une sensation, pas une trace. Mais l'artiste était là et a épinglé sa détresse, et à grands coups de fusain a brisé la glace. Je le regarde toujours dans ses yeux d'orphelin, je me noie dans ce vide qu'il m'a si souvent raconté. Il a bien des choses à dire sur le vide, sur le vertige qu 'il ressentait quand il était petit, en 2003, sur ces appels qui résonnaient dans son cœur et dont l'échos lui revenait bredouille.



1er Janvier 2006, Quimper, dans un grand atelier encombré d'œuvres. La pluie frappe aux fenêtres, poussée par des rafales d'hivers bretons. Le sol est jonché de la poussière de la fête de la veille, l'anesthésie mordante de l'hiver frappe peu à peu la pièce qui quelques heures auparavant résonnait encore des rires et sourires qui gelaient nos tristesses.
Dehors on devine facilement le hululement agressif des premières heures de janvier, la complainte muette des arbres nus que chacun a traversée.
Dedans, le ciel au dessus rayonne des milles nuances d'un ciel d'été. Les battements enjolés de son coeur incrédule résonnent comme un poëme, et à chaque vers se construit autour de lui une beauté à laquelle il avait un temps cessé de croire.
Le silence morbide de l'hiver meurtrier l'a quitté. Il entend nettement la voix du peintre qui lui dit la beauté des instants, il se laisse faire, il veut peindre lui aussi, il veut faire fondre les glaces qui l'emprisonnent. Plus rien ne le relie à cet hiver là, tout l'a quitté excepté l'image d'un croquis aux yeux tristes. Il jette au coeur d'un puis ténébreux la clé qui avait fermè à l'époque les portes de son enfance. Dehors, le tumulte des vents froids glisse insensiblement sur l'artiste au travail. Dedans, un doux foyer crépite et rougit les joues de quelques images réunies autour du feu. Les glaces qui brouillaient sa vision fondent et coulent sur des vallées trop longtemps assèchées. Son coeur bat au rythme doux des mélodies qui mènent au rêve. Ce face à face qu'il aimerait prolonger, les images de ses amis reflètées dans ses yeux humides s'y impriment à jamais.
De cet instant il ne pourra pas garder grand chose. Une sensation, une trace. L'artiste m'a tendu son fusain, ma main a tracé dans mon rêve les visages de la confiance. Elle a fouillé dans mes placards et a trouvé la trace d'un garçon un peu triste, perdu en plein cauchemard. Elle lui a dessiné un sourire et lui a caressé la joue: réveille toi, mon ange, ils sont tous là!

Aucun commentaire: