Non, je na vais pas consigner ici les nuits de débauche de BHL, ni les dernières cabrioles de Sartres et De Beauvoir. Ce que vous lirez ici se trouve quelque part entre « Bouvard et Pécuchet » et « La vie sexuelle de Catherine M », un peu perdu dans la pénombre d'un labytinthe capiteux, en errance pour décrire les inéffables parties de jambes en l'air qui s'organisent plus ou moins officiellement dans les alcôves de certains cerveaux. J'espère que de cette sorte je suis parvenu à faire taire un peu les instincts voyeurs qui s'étaient éveillés en certains lecteurs à la vue de ce titre, et à vous convaincre que ce blog n'est pas un lieu de perdition ni de débauche, mais bien plus un repère caché (bien que connu de beaucoup) où certains esprits un peu nymphomanes abandonnent leur honneur en s'adonnant à leurs plaisirs les plus originaux.
Bien sûr de nos jours la luxure intellectuelle n'est plus que l'ombre de ce qu'elle fut, et l'on ne s'y vautre bien souvent que pour être pris la main dans le sac, et pour que l'on sache dans les hautes sphères qui était de cette partie là. Le libertinage n'est plus que la vitrine de ce qu'il était, et bien souvent l'arrière boutique, là où tout se jouait, reste vide et creuse, froide et sèche. Plongeons nous plutôt dans les dorures et les tentures du 18° siècle, lorsque les idées flirtaient librement au son d'un clavecin, et donnaient au libertinage intellectuel toute sa portée, sa vitalité, son nécesaire social. Les réputations �celles des idées- fleurissaient et fânaient au gré des liaisons dangereuses que les hommes et les femmes les plus habiles de la cours, ceux qui manipulaient leur langue au meilleur escient, liaient entre eux et avec elles.
Bien sûr, et même au 18° siècle, le libertinage (qu'il soit intellectuel ou pas) véhicule une certaine image d'élite, de luxe, voire de noblesse. Dans les milieux inférieurs, on parlera plus volontiers d'un coureur, un indécis, d'une girouette ou même d'une grue, de gens de petite vertu. Car le libertin n'existe pas uniquement par le nombre de ses conquêtes, mais avant tout par leur choix, par la stratégie muette qui sous-tend toujours ce badinage apparent, et par l'art avec lequel il saura utiliser a postériori ce qu'il aura embrassé puis rejeté. Non, le libertin n'est pas seulement un gourmand, il est aussi un gourmet. Il apprécie chaque nuance et chaque facette de ce qu'on lui présente, et s'il n'est a priori réfractaire à aucune proposition, fait la fine bouche lorsqu'on lui présente une proie indigne de son rang, et surtout de son expérience. Pas question de grande distribution ou de consommation de masse, le libertin préfère rester seul qu'être vu mal accompagné, et c'est plus volontiers à la grande épicerie de Paris qu'il ira faire son marché. Libertin mais pas homme facile, bien prétentieuse l'idée de bas étage, mal formée et mal habillée, qui tentera de le séduire.
L'exigence de qualité que la noblesse impose à ce mouvement bien né n'entrave pas l'avidité de ses adhérents, qui savent reconnaître lorsqu'elle se présente la perle rare, perle blanche ou perle noire. Car c'est avant tout par goùt, et non par faiblesse qu'on devient libertin. Ce n'est pas qu'on ne saurait retenir à ses côtés une idée particulière, c'est bien davantage qu'on ne sait retenir son penchant pour la nouveauté, la jeunesse, la fraîcheur qui réjouissent celui qui peut s'endormir avec une et se réveille avec une autre (nous parlons plus que jamais d'idées). Et comment ne pas louer cet homme qui se soucie à chaque instant de se tenir au courant de ce qui se fait, aux quatre coins de son monde, qui se soucie de connaître profondément chacun de ses camarades, d'en goùter les subtilités, les articularités, et d'en absorber la substance essentielle ? Se garder au goùt du jour, toujours suivre les nouveaux courants, toutes les tendances, naviguer d'un bord à l'autre, respecter et alimenter l'interaction permanente entre ses aspirations et son environnement. Voilà le souci du libertin, qui mourrait d'avoir à regretter un jour d'être passé à côté d'un plaisir renommé dont quelqu'ami lui aurait fait récit. N'en aime-t-il aucune ou les aime-t-il toutes ? Disons que chaque matin naît avec l'aube une favorite, la mieux assortie à l'humeur du jour, à l'esprit du matin, que ce visionnaire de libertin sait sentir mieux que quiconque.
Le libertin vit dans l'instant, il se complait dans la satisfaction de ses envies présentes et se soucie peu de construire un un décor bien solide pour sa pièce. Quelle phrase saura surpasser celle-ci en idiotie et en banalité ? Pas le temps de chercher une réponse à cette question pourtant cruciale. Car n'est-il pas en réalité raisonnable d'être libertin ? N'est-il pas constructif de vouloir mettre son nez partout, et de tout soumettre à son jugement ? Le monde de la cours est un grand échiquier où se trame le plus grand jeu d'influence que l'on puisse imaginer. Chaque idée, chaque courant, vit des victoires acquises sur leurs rivaux. Dans le grand lit, chaque penseur (ou chaque adhérent à une pensée) tire vigoureusement la couverture à soi, alors qu'il y a tellement de moyens de se réchauffer sans couverture... Le prolégomène nécessaire à la victoire est la connaissance de l'ennemi, je ne vous apprend rien. C'est pourtant là l'atoùt essentiel du libertin, car en les séduisant tour à tour, il dévoile les idées qui l'entourent et veulent le faire choir. En faisant glisser le voile, il connaît leurs sens cachés, il explore leurs failles, tout ce qu'elles cachent au grand public. En les soumettant aux situations les plus tendues, il saura apprécier leur rondeur, leur vigueur, leur répondant, leur générosité. Une fois déshabillées, elles livrent leur essence, révèlent leur teint naturel. Une fois le lacet du corset dénoué, elles avouent leur ligne et le grain de leur peau. Riche de ces confidences, le libertin pourra alors à son gré déshonorer celles qui lui auront déplu, qui l'auront trahi ou pris de haut. Il saura démasquer les imposteurs, les vides, les secs, les pas doués, et s'en débarasser d'une manière radicale dont nul autre ne pourra faire usage. Le libertin est un stratège des plus fins, qui s'introduit dans les rouages et les dessous des pensées les plus aristocratiques.
Faisons nous un instant l'avocat du moraliste, qui décrie le libertin et condamne son égoïsme et son égocentrisme. Capricieux en apparence, il est l'esclave d'un désir qui lui impopse de posséder, puis cède à l'envie impulsive de tout jeter et de recommencer. Le libertin est le centre de son monde. Certes, mais qui n'est pas le centre de son monde ? Qui perçoit son monde autrement que par sa propre conscience, par ses propres images, ses propres représentation ? Et n'est-il pas logique que cet outil si merveilleux par lequel l'extérieur nous parvient soit choyé, et tant que faire se peut satisfait, tout cela dans le but de comprendre et d'apprécier plus complètement ce qui nous entoure ? Avant de comprendre, il faut avoir pris. L'ignorance est la première des vunlérabilités, et la source primaire de la méchanceté et de l'agressivité. Elle est mère de peur et d'isolement, de réclusion et d'asociabilité. Le libertin lutte activement contre ce phénomène, en embrassant sans préjugés mais pas sans jugement les idées et opinions qu'on lui présente. Loin de lui la transparence naïve, il sait être caméléon, troubler le jeu pour mieux faire tomber les masques. Et sans cesse ce mouvement s'entretient lui même : une conquête en amène une autre, fait remonter la sève, affluer le sang à ses méninges, ravive le goùt de la conquête, l'ambition intellectuelle.
Dans cette course essoufflée vers ses chères idées, notre ami se répend de défi en défi, butine sans but apparent. Il collectionne les petits plaisirs qu'il conquiert chaque jour, et semble oublier au passage de se construire. Il est ouvert au monde, vulnérable par nature car curieux et fier. Il est condamné à ne jamais vieillir, à rester à la page et plus encore à la pointe, et s'est juré de passer sans transition de l'adolescence à l'obsolescence. Il se flétrira quand la sève juvénile ne coulera plus en lui, et il sera alors plus que tous conscient de sa déchéance, et pauvre de ce qu'il aura perdu. Triompher ou mourir au combat, pas d'autre choix ! La retraite pour lui n'a aucun sens, et la garce d'idée qui tentrera de le retenir cloué à son lit ne parviendra qu'à l'étouffer et à assècher à jamais le verve qui l'avait séduite. Il est solitaire car original mais jamais seul car toujours relié au monde par les incontrôlables pulsions qui le poussent à l'étreindre dans sa pluralité. Le chemin du dogme ne mène qu'à la remise, à la frigidité intellectuelle. Il faut savoir conquérir, être séduit, savoir parfois attendre, l'esprit grand ouvert et saliver à l'idée que le plaisir d'aujourd'hui sera dépassé demain.
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