mardi 11 septembre 2007

L'averse (pourtaaaant, que la Bretagne est beeeellleuh!)

Qu'il est tentant de s'accrocher ce matin au lever du soleil, de saisir au passage un des rayons si clairs qui percent la nuit de ses douces promesses ! Et chaque jour cette tentation nous appelle. Il est simple de croire en l'aurore quand elle est mise en valeur par des crépuscules pathétiques et de voir l'espoir dans un clair obscur mélancolique. Tout semble propre, tout semble clair et pur, que le jour soit bleu insolent ou gris translucide comme un vitrail blanc.
Ce matin le soleil se lève dans un tissu de brume soyeuse. La lumière est diffuse et douce malgré sa fraîcheur extrême, un froid qui calme sans épingler et anesthésie les peines résiduelles laissées par les rêves agités. L'aube est impressionniste, les éléments se devinent mais une part de mystère s'offre à l'imagination des observateurs. C'est un jeu d'enfant d'aimer la vie ce matin, il suffit de la peindre et de la composer à l'image de son eden. Le chemin s'ouvre vers une lumière toujours plus vaillante et les perspectives s'étalent dans une simplicité opulente. Par un matin comme celui-ci, n'est-il pas tentant de prendre la route au soleil, de laisser au diable les nuages qui s'accumulent imperceptiblement sur les côtés ? Les yeux rivés vers le soleil, on a tôt fait d'oublier que le vent se lève, que tout n'est pas si calme, et que la réalité se démaquille quand la lumière flatteuse de l'aurore cesse de la sublimer.
Lui qui comme nous tous a connu la débâcle des orages sombres, devrait savoir que ces heures impalpables tiennent leur beauté de leur fragilité, qu'il est imprudent de bâtir son château sur cet îlot de bonheur dérivant. Il vaut mieux regarder passer les papillons du jour sans les attraper si l'on veut qu'ils reviennent le lendemain car raviver en soi l'espérance que la vie luira indéfiniment de la clarté pure d'un matin frais n'est pas faire honneur à l'existence.
Le temps change vite et la lumière fluctue, dans une instabilité alarmante les nuages courent dans une direction incertaine qui semble pourtant les mener à un destin auquel ils n'échapperont pas. Sous la fuite du temps il s'est arrêté un instant devant sa route, en se demandant sous quelle lumière ce chemin semé d'arbres en fleurs qui l'avait appelé hier lui sera offert aujourd'hui. Il doute encore de pouvoir l'aimer quand la pluie sauvage et incomprise aura déchiré et fané les pétales, et maculé de boue le chemin verdoyant.
Il essaie de poursuivre sa marche dans le matin qui se dilue et de traverser l'averse sans faire la grimace, sans crisper son visage ou ses yeux. Il ne veut pas se rendre hermétique à ce qui se passe d'amer autour de lui, mais au contraire se sentir lui aussi fondre dans l'instant L'humilité lui a appris qu'il ne pouvait pas suivre les nuages innocents et partir indéfiniment jouer lui aussi avec les rayons du soleil. Il est planté là comme les arbres du chemin, planté dans sa vie sous une averse qui rince impitoyablement les espoirs ébouriffants du lever. Mieux vaut alors tâcher comme le reste du monde de conserver, même si l'on n'est plus aussi bien fleuri, une once de calme et dignité. Ainsi les nuages qui viennent crever à ses pieds ne souffriront pas de son dénigrement aigri, mais apprécieront sa compassion réservée.
Décrispant ses paupières il essaie de regarder dans les yeux ces gouttes qui s'acharnent sur lui. Il lit dans leur regard la détresse de leur chute. Mais qui sont-elles, sinon des étoiles de neige un peu déprimées ? Il joue avec les gouttes comme il jouerait avec les flocons, et embrasse la joie des simples le temps d'une passe. Il apprend de ce bonheur nouveau comme d'un âpre combat, et accueille la fin de l'averse sans impatience, comme une bonne surprise, en se disant que la providence ne lui devait rien.



Je souhaite que chacun ait un jour la chance d'apprendre qu'il est impossible de réduire la vie à une aurore d'éclats roses et bleus. Elle se nuance à l'infini, instable et colorée comme une grande comédienne, changeant de registre avec art et malice, rayonnante puis larmoyante. Et quand le monde coule, ce n'est pas une autre essence que nous respirons, mais toujours cette fragile diva qui nous obsède à la maudire. Elle nous échappe et nous interdit de l'aimer car nous l'attendons toujours sous la même lumière, car nous n'avons cherché à la connaître que sous ce soleil insolent, nue dans son bain d'azur. Mais la connaître et l'aimer pour ce qu'elle est, c'est lui sourire quand elle montre son masque de grisaille, ne pas grimacer face à ses cicatrices, ne pas fuir devant ses larmes.
Traversons donc l'averse en abandonnant un peu de la fierté qui nous vernit, et levons un œil songeur mais serein sur l'hécatombe dont il ne tient qu'à nous de faire un poème. Songeons comme elles sont douces, les mains de ces larmes, lorsqu'elles caressent nos visages avant de toucher terre et de nous montrer ce drame, de mourir seul au sol sans un ange à ses côtés, comme une goutte dans une averse s'écrase parmi les passants grimaçants qui courent pour ne pas la voir mourir. Nous qui craignons plus que tout de ne plus appartenir à ce monde, qui cherchons toujours un refuge, un foyer, un compagnon, ne cessons de fuir au moindre souffle qui nous décoiffe. Rester calme et beau dans la tempête, lisse et modelé d'une indifférence apaisée et bienveillante, rester constant pour apprivoiser les humeurs de ceux qu'on aime, et tenter de tempérer sa bulle ajustant son baromètre à chaque dépression.
Une certaine lumière peut effacer le noir d'une nuit trop froide, comme un sourire peut parfois faire oublier le gris profondément désespéré des yeux trop humides. Mais l'un comme l'autre substituent une beauté accessible et plastique à une épopée mélancolique autrement plus esthétique. La beauté de la foi, qu'elle soit en Dieu ou en la vie, ne réside pas dans ce qu'elle maquille, mais dans ce qu'elle dévoile d'égalité, de simplicité, d'importance et de candeur dans tout ce qu'elle embrasse, et surtout dans tout ce qu'elle traverse. Vivre sous un lever de soleil impressionniste est satisfaisant. Mais survivre à l'averse qui lui succède, et aimer chacun des moments de cette traversée est enrichissant. Quel supplément de vie de rester amoureux une fois l'arrivée de l'orage annoncée, en gardant la même fascination, la même impatience en songeant à l'arrivée de l'instant suivant.

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