"On ne change pas, on met juste les costumes d'autres sur soi", chantait Céline Dion (pas de remarque sur la provenance de mes citations, s'il vous plait, je trouve cette chanson très bien écrite), ou encore "a vie est l'éternelle répétition d'une représentation qui n'aura jamais lieu", déclarait le poète raté d 'Amélie Poulain.
Sous les masques bigarrés que nous portons avec conviction chaque jour, serions nous seulement tous des acteurs, des chanteurs, des danseurs, qui jouent et rejouent inlassablement le rôle bien appris que nous avons choisi (ou qu'on nous a attribué, car le casting est parfois sévère) ?
Ménagez vos commentaires et patientez jusqu'à la fin du texte pour comprendre au mieux mon but. Je ne suis pas en train d'insinuer que personne n'est capable de sincérité dans ce monde, que nous nous créons tous des personnages pour préserver notre réelle personnalité du jugement incertain de l'autre (malheureux qui touche de nos jours à la sacro-sainte et pourtant si illusoire sincérité de l'être, honni soit qui n'est pas entier et invariablement constant, qui n'offre pas sa vie au loft voyeur de la société...). Je veux plutôt expliquer que l'essence propre de chaque être est en réalité bien éloignée des informations « économiques et sociales » que l'on jette en pâture à ceux qui souhaitent nous connaître. Et ceci est bien fâcheux, car cette essence nous meut au plus profond, nous conditionne et nous gouverne en toute circonstance, en des proportions qu'il est impossible de décrire par le masque social dont je parlais à l'instant. Car le noyaux de vie qui nous régit est antérieur aux mots que nous voulons utiliser pour le décrire, d'une part, et qu'il est lui même fondateur, géniteur de ces mots, d'autre part. La savane enfante la girafe, la girafe ne peut enfanter la savane (sans aucun manque de respect envers nos amies les girafes, j'aurais très bien pu parler d'autruches).
Revenons un peu à notre grand casting, ou à notre grande distribution de rôles. Il est un moment où l'on dit à chaque enfant : il va falloir te trouver une place, un personnage dans cette société, il va falloir devenir quelqu'un. Alors l'enfant cherche le rôle qu'il souhaiterait le plus interpréter, celui qui lui demanderait le moins de travail, de composition. Moi je me verrais bien en pompier, et moi en maîtresse d'école, en patineur, en ingénieur... Alors on répète des années durant ce rôle, on s'approprie le personnage, on s'inspire des modèles. Et puis finalement on auditionne, et selon l'abnégation et la pugnacité dont on a fait preuve lors des répétitions, on est reçu, recalé, on l'on doit se contenter d'un second rôle ou d'un rôle de figurant. Chaque soir où l'on a été performant, le public applaudit. Parfois même il vous aime, ça arrive. Mais il aime une image, il aime un personnage, plus rarement un acteur, car un acteur sans ses personnages, n'est pas grand chose. Alors comme on aime l'amour on fait vivre le personnage, on lui invente vie et mort, amis et ennuis, on satellise autour de lui personnages et accessoires qui rendent cohérente cette pièce aux yeux du public. La vie accélère, on a la sensation d'appartenir à la vie, de ne plus subire ses aléas, mais de déclencher les rebondissements. De ne plus être passif, d'être enfin actif, on plutôt acteur. « Puis elle prend les fards et les crayons, se dessine un visage avec application » (Serge Lama, « la chanteuse a 20 ans »).
Il est des heures où le public s'en va dormir. Ce n'est pas qu'il ne vous aime plus, c'est qu'il doit bien dormir lui aussi, il est satisfait. On se retrouve alors seul devant sa glace, et on hésite. Le silence résonne et amplifie une petite voix, une voix turbulente qui cogne dans la tête d'un bord à l'autre. Une voix qui empêche de penser, de raisonner, qui rend tout futile et vain, qui rend le personnage grotesque. Et on l'écoute, car seul devant sa glace, on est son seul public. La voix proteste et peste : dans la glace, elle ne se voit plus, personne ne la voit jamais. Le reflet dans le miroir ne lui dit plus rien, il n'a plus qu'un air d'imposture, plus ou moins crédible.
Et cet orage peut durer longtemps, il vous enferme : « ils ont beau vouloir nous comprendre, ceux qui nous viennent les mains nues, mais on ne sait pas les entendre, on de peut pas, on ne peut plus » (Barbara, « la joie de vivre »). L'éclaircie vient de soi, toujours, du noyau, du cœur.
Un soir de temps en temps, pensez donc à vous séparer de votre personnage, démaquillez vous soigneusement. La voix qui vous cognait s'échappe maintenant librement. Elle est libre à faire peur, un rire, des pleurs déchirants, mais une voix d'enfant qui va laver le cœur à la fontaine. Tout s'échappe, virevolte puis retombe. Tout est libre car de l'autre côté du miroir, on se reconnaît enfin. D'un coup l'interaction avec la vie semble plus complète. Comme une cellule embryonnaire naît totipotente puis se spécialise, le cœur qui s'était spécialisé retrouve sa capacité à s'émouvoir devant toutes sortes de choses, même les plus simples. « on ne voit bien qu'avec le cœur, l'essentiel est invisible pour les yeux » ( Antoine de St Exupéry, « le petit Prince »)
Vous avez alors retrouvé votre essence et vous ne savez pas la décrire. Elle est trop évidente, une sorte d'axiome fondateur. On se sent parfois un peu bête, mais on est juste un peu gamin ! On se sent un peu irresponsable, mais on a juste oublié d'avoir peur.
Comme à mon habitude, je m'égare un peu et m'éloigne de ma question première. Comment connaître quelqu'un au delà de son rôle social, comment atteindre cette essence, cette connaissance qui permet de supporter voire de comprendre tous les états d'âme, les caprices, les trahisons ? « Vous le connaissez peut être, mais moi je l'aime » (Nathalie, « Les enfants du Paradis »).
Voilà ce qui résume pour moi la seule vraie sincérité. Car quand on s'aime comme des enfants (du paradis ou pas, là n'est pas la question), tous les rôles, les mensonges, ne semblent que jeux. Ils sont vains et artificiels au regard des moments que l'on peut partager quand on a tombé le masque de l'adulte social. Dans ces moments où l'on s'abandonne à un jeu, l'autre apparaît comme une évidence inexplicable. Il n'y a plus d'ingénieur, de commercial, de secrétaire, que des petites lueurs qui dansent et qui se voient pour ce qu'elles sont : égales, semblables et libres de la connaissance d'elles mêmes et de leurs semblables. Voilà pourquoi des choses simples, des bêtises, sont si importantes pour la santé psychique de certains d'entre moi. Elles sont une forme d'essence, qui permet quand elle est respectée, de jouer au mieux le rôle social nécessaire et plaisant, que j'ai choisi. « Parmi tous les souvenirs ceux de l'enfance sont les pires, ceux de l'enfance sont les pires » (encore Barbara, « mon enfance »). Mais ils déchirent le masque, rien d'autre...
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