Sur le revers de mes paupières, les étoiles se sont consumées. Les yeux clos m'apparaît une chape chaude et moite dont la lourdeur efface l'image des voûtes constellées qui couvraient mon sommeil. Toute une création anarchique et turbulente s'élève en colonnes menaçantes autour de mon territoire, et vient inlassablement s'écraser dans un sourd fracas sur mon front en nage. Une veine palpite péniblement sous ces assauts incessants, mue par le flux troublé d'un sang visqueux.
Le ballet grandiose me renvoie la grandeur de ma chute. La masse incommensurable de ce que j'ai voulu soulever s'abat sur moi en une pluie acre et drue, et je vois passer au coin de mes yeux clos les débris et les ruines du château que j'ai déserté.
Face à moi un néant affolant, un calme geôlier veillant sur mon extinction dans une inertie toxique. Des forces obscures entament une danse macabre célébrant ma capture. Elles prennent des formes qui me hantent, dessinent de leurs vices les images de ce que j'ai perdu.
Pourtant je reste libre, je ne suis qu'allongé. Mais certaines horizontalités miment l'agonie. Le poison est en moi, il est l'engrais de ces images infertiles et coule dans mon corps saturé.
Pourtant je ne suis qu'un jour plus vieux qu'hier, qu'un souffle plus vide, un souffle plus froid. Mais j'ai passé la surface, et me voilà dans un océan glacial à contempler le ciel à travers la glace trouble que l'épuisement a figé. Les ombres distantes du monde extérieur prennent à travers ce prisme des allures étrangères, horrible indifférence du monde qui ne sait pas qu'on a sombré.
Dans ce curieux abandon, des souvenirs fiévreux planant comme une brume, des tourbillons de souffre, de souffrance, alourdissent le ciel, rendent l'air irrespirable. S'échapper, respirer, retrouver l'odeur de l'air frais.
Homme à terre, noué au sol, couve en moi une violence qui a implosé. Mon corps lisse et paisible a démissionné, exilé, très loin des abus où s'exerçait mon influence tyrannique.
Un vague tourbillon l'entraîne dans une danse nauséeuse et le prive de repos. Propulsées dans les flots acides où les murmures sont des cris qui persiflent le mal être naissant de l'impuissance, les forces sont enchaînées dans un cachot rouge et noir.
Les ombres tournoient à mon aplomb comme des rapaces, des migraines tortionnaires m'assaillent, assénant de leurs tambours insupportables de sourdes insultes et de viles calomnies. Rien ne dort dans ce repos, le marais n'a pas de nuit, son trouble luit dans un halo fiévreux. L'essence cherche un échappatoire, recluse elle ne rêve qu'à déclore, et a mûri sa vengeance dans un cocon de sang tiède, attendant de pouvoir s'accrocher au premier rayon pâle qui traversera le plomb, et transpercera les funestes nuées qui recouvrent cette nuit blanche.
Entrouvrir les yeux à nouveau, se défaire des tourbillons hypnotisant, du chant des sirènes de l'oubli. Chercher à travers les noirceurs aveuglantes le rayon que m'envoie une étoile lointaine. J'essaie de le sentir caresser mon épaule, effleurer mon cœur entre les plaies, se frayer un passage entre les lourds météores qui frappent ma poitrine.
Lentement, j'implore les reliquats d'énergie dissous dans mon corps inerte de se rassembler et de suivre ce messager providentiel. Je sens sous ma peau des mouvements frémissants, et de discrets transports interpellent ma conscience comateuse. Je sens en moi valser ces joies embryonnaires, jouant avec la lumière céleste comme s'entrecroisent les doigts des amants émus.
Toute ma vie au bout d'une main, mon bras germe miraculeusement et se tend vers l'étoile du lendemain. Il écarte les marasmes irrespirables qui verrouillaient mon purgatoire, laissant entrevoir l'évidence de l'évasion. L'ailleurs est indécent et objet de toute tentation, chair gourmande que laisse paraître un col entrouvert. L'émoi de la douceur se saisit de mon cœur et fluidifie mon sang. Le plomb est resté au sol, sué qu'il fut par chaque once de moi. Une carcasse au sol est vestige d'un non être notoire, me regarde vaciller, tentant de me tenir debout.
Retrouver la verticalité et ses vertiges, les hauteurs et leurs ivresses. Fouler le sol couvert de rosée, s'abreuver de fraîcheur et d'insolence, sentir ma sève fouetter au-dedans de moi et me gifler comme giflent les embruns. La fraîcheur de la vie matinale me transmet l'apaisement d'un silence à conquérir. Devant moi s'étendent des plaines sauvages, et un étrange instinct me pousse dans le dos.
D'où vient cet impératif, cette pulsion vitale qui me dicte de coloniser des espaces vierges d'émotion, qui me suggère de semer là un sentiment, m'exhorte à la révolte ?
Se libérer et courir loin devant soi, s'échapper, ne plus s'appartenir. Arriver là où la crainte de mes propres limites ne sera qu'un vieux souvenir. Là où je ne verrai plus la carcasse en me retournant, dans ce jardin immatériel où pousse une beauté inépuisable, ce jardin qui ne connaît ni l'obsolescence, ni la flétrissure, ni l'érosion.
Je pars donc sur les ruines toujours fumantes d'un hier perpétuellement dépassé, et plante triomphalement un drapeau de feu, un doigt pointé vers l'horizon où se noient des lumières inconnues, toujours plus chatoyantes que celles qui baignent mes yeux.
Je me dresse et prends de l'altitude, perché sur une la fleur éclose de mes fantasmes, pour sentir l'air frais du renouveau caresser des flancs autrefois las, autrefois écorchés.
Pour sentir mon existence dans un flux qui me contourne et lui faire face, reprendre une route inlassable vers le point d'où vient le vent, le nid où naît la vie.
Combien de renaissances derrière la ride qui encoigne l'œil serein d'un vieux portrait ? Combien de larmes dans ces vallées ont irrigué les rages et les amours, les hivers et les sables ?
S'offrir à la beauté sans pudeur ni précaution, se cambrer de plaisir sous les assauts du monde, perdre ses sens dans le rodéo du monde, mélanger ciel et terre dans un fluide dont la saveur rappellera enfin le goût du songe.
Telle est l'insolence.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire