UN flot sans fin, une masse grouillante. Un piétinement frénétique frappe cette terre si basse. L'écoulement continu des touristes fatigue le sol plusieurs fois centenaire de la chappelle Sixtine. Les hommes passent et piétinent, ils regardent, ils voient, ils se regardent et parfois se voient. Je suis parmi eux lassé de ce piétinement. Collé à mes semblables j'étouffe, soudain frappé par l'immuabilité de la beauté infinie de l'endroit, mon éphémère me saute à la gorge et m'asphyxie. La marche s'arrête en entrant dans la salle, le silence se fait. Je souffle et lève les yeux, le plafond frémit de mille battements d'ailes. Figés là haut pour l'éternité, ils virevoltent comme au premier jour, et leur ballet aérien m'envoie enfin l'air frais qu'il me fallait pour repartir. Ils n'ont pas grand chose d'autre que leurs joues roses, pas même un vêtement. Une harpe, une chanson, mais surtout une lumière (ou tout au plus une petite lueur, mais c'est toujours ça), et ces halos réunis eclairent mon visage cerné d'une clarté chaude et apaisante. Ils sont là dans toute leur évidence, ils jouent, ils s'aiment. Ils s'aiment dans l'éblouissante clarté de leur premier amour. Ils aiment tout le monde et tout le monde les aiment, et ceux qui ne les aiment pas sont des jaloux.
Pour tant qu'avons nous à leur envier. Ils n'ont rien, ils n'ont pas d'histoire, tous ces chérubins, ils n'ont pas d'avoir. Et les heures, dans tout ça, et les siècles, et les modes? A-t-on déja vu un ange vieillir? A-t-on déja vu un ange grandir et s'étendre, posséder et envier?
Non pas une ride au coin de leurs yeux. Leur peau est outrageusement rose, leurs joues dodues et gourmandes,leurs yeux pétillent toujours de la même candeur, ils sont toujours prêts à croquer la vie avec le même appétit. La vieillesse pourra bien les attendre, avec son coeur frippé, elle n'apercevra de loin que leurs grimaces et leurs sourires. Ils se moquent bien de prendre de l'âge. On leur a bien expliqué qu'avec l'âge leur mémoire se remplira d'expérience, qu'ils sauront enfin la réalité du monde, qu'ils se déferont de leurs illusions. Elles ne les berceront plus et ils se réveilleront de ce rêve puérile.
La richesse de l'expérience ne les tente pas. Leurs coeurs ne sont pas avides de ce capital. Ils en ont trop vu parmi eux ranger soigneusement ces feullets de vie, ces petites leçons, ces antalgiques, ces anti-bobos magiques. "Que cela te serve d'expérience, tu ne recommenceras pas ce genre de bêtises!". Et ils sont devenus méfiants. Ils sont devenus sceptiques en devenant riches, en devenant vieux. Ils n'étaient plus dans leur vie, mais dans chacune de ces richesses, dans leur passé. Sans cesse ils pensaient au lendemain et s'efforçaient de rendre le jour suivant plus heureux que celui qu'ils vivaient, en jurant de ne pas reproduire les erreurs du passé. L'enfance est heureuse parcequ'elle n'a pas de lendemain. Le temps passe vite quand on pense toujours à demain, et à force de gaspiller leurs jours de vie, certains d'entre eux sont morts. Ils avaient trop vieilli, ils s'étaient trop aigris, trop oubliés.
Vieillir, c'est un peu prostituer l'enfant qu'on était. C'est le vendre et vendre son amour sous prétexte qu'il n'aime pas comme il faut, que cet amour est dangereux.
Les anges sont des enfants, toujours. Les enfants sont pauvres, toujours. Ils n'ont pour vivre que leur amour. Ils le donnent à qui ils rencontrent comme une carte de visite. Ils ne sont corrompus ni par le temps qui rend méfiant, ni par l'argent qui les rend craintifs et égoïstes. Le temps, l'argent, il parait que c'est pareil. Alors les enfants sont pauvres et ils ont cela en commun avec les anges.
Bien sûr on peut posséder et ne pas en moisir, si l'on sait la valeur de ce qu'on a au regard de celle de ce qu'on est. De même on peut prendre de l'âge et ne pas moisir, si l'on sait la valeur de l'instant vécu au regard de celle des années perdues.
L'enfance, l'adolescence, puis l'obsolescence. Destin tout tracé pour qui met sa vie sur des rails. "L'enfance est une chose étrange, à la fois adorable et exténuante, un trésor et un chaos." (Christian Bobin). Comme les pauvres, les enfants ont pour seuls rails ceux d'un grand huit. On a peur, on crie, on pleur, mais on fonce. on avance les mains nues, on se laisse apprivoiser, avec tous les inconvénients qui en découlent: "On risque de pleurer un peu si l'on s'est laissé apprivoiser..." (St Ex, le Petit Prince).
Rappelez vous comme vous riiez, comme ça, pour rien! Rappelez vous comme vous pleuriez, comme vous étiez vivant. Un rien devenait tout pour vous: un jeu dont votre vie dépendait soudainement, un bonbon, un ami, une soirée crèpe, un bisou dans la cour de récré, un mot tendre le soir avant de s'endormir, comme un beau smiley indispensable.
Souvenez vous l'amour, toujours, l'amour que vous portiez à votre mère, à votre père, à votre soeur, à votre frère, à vos amis, à votre animal, à votre peluche préférée, et aux autres aussi, un peu moins belles, auxquelles il manquait une patte ou un oeil, et qui vous faisaient pleurer.
Rappelez vous comme vous aimiez et comparez. Voyez vous une différence, ou pire, avez vous oublié? Avez vous vieilli?
"L'enfance. Elle n'est donnée qu'à quelques-uns." (Brenda M.Spaight).
Parfois, on veut lire ma vie comme on lit mon blog. On veut passer de l'autre côté du miroir. On veut mettre une étiquette sur ce qu'on ne connait pas, ce qu'on ne comprend pas. Mais je ne suis qu'un gamin, rien de plus. Cherchez vous à cerner les enfants, à lire dans leurs pensées? Si oui, c'est une entreprise ambitieuse. En général on ne cherche pas à comprendre les enfants car ils ne comprennent pas le monde, ils vivent dans le leur. En fait ils sont juste si libres! Leur vie rayonne, éclate, part dans tous les sens et se pose là où l'on voudra bien d'elle. Ils papillonnent sans cesse vers leurs rêves.
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