« Dépêchez vous de céder à la tentation avant qu'elle ne s'éloigne », nous conseille avec ferveur et certaiement avec conviction notre ami Casanova. Lui qui croquait la vie sous toutes ses formes, et toutes les formes de l'envie, avait choisi de sacrifier la jouissance à long terme d'une réputation respectable sur l'autel des caprices de son corps et de son cœur. Immaturité transpirante ou sagesse avangardiste ? Question qui torture bien des jeunes esprits en ce moment, et que des esprits un peu moins jeunes regrettent de ne pas s'être posée plus tôt. Car le problème n'est pas uniquement de savoir si l'on doit ou non rester à l'écoute des petits caprices de son corps. Le problème ainsi simplifié se réduirait à une dichotomie banale, que l'on pourrait dissoudre d'un joli petit planning « un jour oui, un jour non » (puis éventuellement chez certains, « un jour oui, un mois non... »). Nous aurions toutes les cartes en main, et le seul aléa possible à la combinaison de notre satisfaction et de notre morale serait une éventuelle réprimande de la société (certainement jalouse...).
La réalité est nettement plus intéressante car elle semble porter une fois de plus le sceau de la fatalité. La tentation en effet n'est pas un petit diablotin qui apparaît de temps à autre pour nous mener vers la perte, pour débattre sur notre épaule avec son collègue blanc, ailé et auréolé. Le cas de conscience que nous pestons de devoir affronter si souvent ne se représente pas indéfiniment, et avec sa disparition progressive s'éloignent également les plaisirs que sous-entend la capitulation face au diablotin. Verbillage mis à part, la tentation a sa fierté, la blesser revient à l'enterrer (Quelle Merteuil, cette tentation !).
Comment parvenir à construire une vie lisible sans tomber dans le gris et morne calme de la théorique et parfaite ataraxie ? Les petits bonheurs et petits plaisirs, qui s'avèrent souvent être les seuls et les plus grands, sont purement providentiels. Quelle route nous y mène plus sûrement que celle tracée par les envies impulsives et presque épidermiques de nos sens ? Comment suivre ce chemin sans tomber dans l'inconstance, la surenchère, et surtout l'égoïsme ? Car le dévouement à la satisfaction exclusive de besoins personnels est rarement un sport d'équipe.
Violente révolte du lecteur attentif qui vient de s'étouffer en mangeant son pop-corn : comment moi, qui ne mange pas sans avoir fait trois heures de sport dans la journée, qui rends coupable chaque plaisir non précédé de travail, puis-je prétendre me ranger du côté d'Epicure ?? Ravale ton Pop-corn, lecteur, après je t'explique.
L'une des clés du problème tient au fait qu'on présente souvent ce dilemme comme un conflit entre des désirs personnels et des obligation sociales, des normes collectives. C'est une vue érronée. Le conflit est en réalité bien plus intérieur qu'on ne veut s'en convaincre, mais il est toujours plus simple d'invoquer un petit « it's beyond my control » de temps en temps.
On me reproche parfois de ne jamais dévier d'une certaine ligne de conduite, hygiène de vie un peu sage, et on me félicite en parallèle de mon courage et de ma volonté. C'est faire fausse route. Cette soumission aveugle et dévouéé est en réalité l'expression d'une faiblesse plus que d'une force, et reflète bien un caprice auquel j'ai cédé. Car plus jeune, j'ai ressenti le désir puissant de devenir une certaine personne, de faire certaines choses et de pouvoir en jouir. Je m'applique chaque jour à céder à cette tentation, et à me délecter des résultats. C'est une faiblesse car je ne pourrais pas me passer de ce plaisir. Je ne suis plus totalement maître de ma vie car certains désirs me controllent. Qui est maître de ma vie alors ? Je vous rassure, la place est prise et c'est un emploi à vie, donc nul besoin de comencer à rédiger CVs et lettres de motivation. Celui qui me dirige est le petit garçon qui a formulé un jour ces désirs, ces caprices, ou plutôt ces rêves, à un âge où il était encore légitime pour lui d'en avoir. « Quand j'ai envie de dire oui, je ne sais pas dire non » (Garance, Les enfants du Paradis). Bien sûr j'ai d'autres désirs, et qui pourraient venir contredire le premier, mais en les réprimant je ne me prive de rien, car je choisis toujours de céder à la tentation qui m'offrira le plus de plaisir. Et comme je compte bien jouir encore pendant un certain temps, je penche souvent pour des plaisirs à long terme. Voilà comment je conçois de construire une trame lisible à mon existence corporelle.
Néanmoins un problème subsiste : si les tentations viennent à s'éloigner un jour, cette trame s'écroule. Comment prétendre pouvoir entretenir indéfiniment cette flamme (car l'air de rien elle nous consume). Deux mots : ambition et humilité. Ambition, car c'est en se fixant des objectifs élevés qu'on se préserve d'une auto-satisfaction trop vite atteinte et de l'esprit blasé qui l'accompagne. Humilité car ce sont les plaisirs que l'on s'est convaincu d'avoir mérités qui sont les plus fades et qui étouffent l'exception du bonheur . Les victoires imprévues sont les plus éclatantes et augmentent la soif de plaisir. « Un enfant nous embrasse parcequ'on le rend heureux, tous nos chagrins s'effacent, on a les larmes aux yeux... » (Marie Laforet, la tendresse).
Quand à la menace de l'égoïsme, elle est vite effacée par celle de la solitude. Je suis si friand de l'amour des autres que je vois mal quel plaisir pourrait me pousser à me passer de ce plaisir. « Tu reçois comme tu donnes » (proverbe arabe poignardé sur ma porte d'entrée, mais comme il est écrit en arabe je doute que beaucoup d'entre vous aient compris jusque là sa signification), et comme je suis quand même passablement égoïste, je ne me prive jamais de recevoir.
Ceux qui s'attendaient à un récit bassement épidermique sont évidemment mal tombés, mais il faut bien que je vous attire un peu avec des titres accrocheurs ! Si vous insistez je peux m'atteler à l'écriture d'une réflexion philosophico-érotico-dépravée pendant l'été... Et je rappelle que mon massage préfére est le massage des lombaires.
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