Non vraiment je ne sais pas comment j'en suis arrivé là. Quelle chute, quelle déchéance. J'y pense plus qu'à moi-même, je ne suis plus qu'un besoin. Et la honte n'est plus qu'un lointain souvenir. Elle m'a retenu quelques temps, mais j'ai du finir par le fumer aussi. Les belles volutes de la honte qui part en fumée, je les vois encore se refléter dans mes pupilles dilatées, les regardant rendre l'âme comme un enfant cruel regarde mourir un insecte dont il a arraché les pattes.
J'aimerais pouvoir raconter que j'ai des excuses, ce serait si confortable. Ils doivent avoir l'âme en paix, ceux qui avaient un mobile, un motif, des circonstances atténuantes, que sais-je... Mais moi rien. Pas une réalité à oublier, pas une année à embellir, j'avais tout. Je crois que j'ai vraiment cédé à la volupté, au plaisir. C'est de cela dont j'aurais le plus honte si je me souvenais encore de l'ombre de ce sentiment. J'aurais vraiment pu rester debout comme les autres, les pieds sur terre, la tête sur les épaules. On m'avait donné les armes nécessaires pour un tel combat, et pourtant j'ai déserté. On n'avait aucun prétexte pour me réformer, j'avais l'air tout à fait d'attaque. C'est peut être ce qui m'a perdu. On ne se méfiait pas de ma chute, on ne me surveillait pas, d'escapade en évasion, on a tôt fait de s'écarter définitivement du droit chemin. Un sale gosse en somme, un vilain garçon.
Parfois, pour reposer un peu ma vieille conscience boiteuse, j'imagine un alibi. J'invente des excuses, je m'écris des drames, comme en racontent si souvent ceux qui en sont arrivés à mon stade. Je compose des traumatismes à la hauteur de mes errances actuelles, et je me sens bien. Je me vois, une nuit, me réveillant parmi les éclats de verre scintillants, au milieu d'un épais brouillard d'alcool, apercevant le regard inquisiteur d'un portrait à jamais lacéré. Je me vois rampant vers lui, lui tendant la main, implorant sa clémence, lui promettant le retour des beaux jours, alors que je lui avais tout pris pour une nuit d'ivresse. J'imagine ma fierté s'écoulant au sol, et séchant en écailles répugnantes, et la honte planant sur mon agonie en cercles prémonitoires, puis s'abattant sur moi, et dévorant mon ego.
Alors je me pardonne d'avoir cédé, d'avoir abandonné et d'avoir franchi le pas, et je me délecte de cet instant de faiblesse où l'on passe la frontière des mondes. Cet instant de sublimation, de libération, de transfiguration infâme où l'on se vend. Dépouillé mais riche d'une monnaie sans aucun cours, dans un monde où rien ne s'achète. Tout est volé, volé au monde, à la vie, à la mort. L'illicite est divin, l'interdit tout puissant, et nous tient dans ses griffes. Lui seul décide de relâcher son étreinte de son heureuse victime, qui trébuche alors dans les rocailles, dénudée et écorchée vive, mourante mais plus alerte que jamais.
Bien sûr, je délire, je blasphème, je bafouille avec rage comme un pauvre ivrogne en deçà de toute pitié ! Mais savez vous ce que c'est, que n'être plus qu'un cri ? Déshumanisé, dématérialisé, juste un cri qui hérisse le poil, qui glace le sang, haï par tous ceux qui vous entendent, ceux à qui vous avez volé la paix.
Oui c'est dur, c'est violent, mais c'est inestimable. C'est se jeter dans le vide et croire qu'on flotte sur un air de piano, c'est courir contre un mur de briques et tomber dans un lit de rose, caressé par le satin, enivré par des ballades insolentes de tendresse. C'est le gaz qui fait sauter ma chambre, et derrière les murs calcinés, les prairies parfumées que le vent du soir fait frémir. C'est la fleur blanche et délicate qui vient se pâmer sur l'arbre noir que mon orgueil a calciné, expirant à chacun de ses souffles les senteurs envoûtantes de l'abandon. C'est bien au-delà des mots et c'est là ma ruine, ma misère, mon drame, mon apocalypse!
Comment faire comprendre ce que je ne sais pas décrire ? Ce qui me met dans de tels états de délire que nous ne parlons plus la même langue, que nous n'habitons plus la même planète. Je vous conseillerais bien d'essayer, mais je vais encore passer pour un dépravé, un fléau social contagieux, un bubon solitaire, un rejeton putride, et vous ririez aux éclats, chatouillé de désir et de peur. Car on ne me la fait plus, je les connais les prudes, les chastes, les purs, les sages... Ils n'ont qu'une idée et qu'une lutte : masquer leur repentir, faire taire les pulsions qu'ils ont enterrées vivantes, maquiller les vices de criards outrages !
Oui voyez vous je n'ai plus honte, car je n'ai plus le choix. Je n'ai même plus assez de morale pour nourrir mes regrets faméliques, et je ne pleure pas une larme en les voyant mourir !
Yep, monsieur, je suis un junky, et vous changez de trottoir quand vous voyez débarquer mon insouciance échevelée ! Sachez monsieur, qu'on crève aussi de tristesse, et pas que d'overdose ici bas !
Alors oui vous vous moquez, vous riez jaune du haut de votre esprit sain, et vous me voyez me piquer dès le réveil, me saouler toute la journée, en avaler à tous les repas, et lui donner mes nuits ! Et je vous dis que je ne rate rien et même mon bon monsieur, comme vous avez l'air gris, je vous en donne bien volontiers ! Car c'est moi qui la fais pousser ma came, ma fumette, ma drogue, j'ai besoin de personne.
Elle pousse sur mon balcon et dieu que j'en prends soin de cette saloperie sans laquelle je ne peux plus respirer.
Cette saloperie de beauté, cette chienne de poésie, ce putain d'amour, cette garce de musique qui a remplacé mon sang et que mon cœur propulse, aveuglément, dans tout mon corps et bien au-delà, autour de moi, et qui touchera tous ceux qui m'approcheront.
Je suis jeune, donnez moi la main.
Un petit junky, défoncé d'amour.
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