Ce soir m'a pris subitement une envie violente et quasiment irrépressible de me mettre devant mon clavier et de me prendre la tête sur un sujet qui vous pomperait tout autant le choux qu'à moi. Il fut un temps où l'on s'asseyait à son bureau, à la lueur d'une chandelle, et on prenait sa plume pour coucher sur le papier ses états d'âme. Maintenant on se met devant son bloc note pour taper rapidement un article pour un blog que tout internet peut lire, mais l'angoisse de la feuille blanche est toujours la même je crois. L'envie et l'impatience d'avoir devant soi quelques lignes qui diront simplement et franchement "voilà qui je suis" et qui interpelleront ceux que vous aimez pour leur rappeler "voilà comme je pense, voilà comme j'aime". Ce soir l'impatience était bien là, presque capricieuse et insolente, mais l'inspiration, elle, n'est pas venue. Pas un thème pour alimenter ce pauvre blog affamé. J'ai alors décidé de prendre ma sècheresse spirituelle dominicale à revers et traitrement d'en faire le thème de ma réflexion de ce soir. Elle n'a rien vu venir. Il faut dire que j'avais tout à gagner dans l'affaire, puisque soit j'approchais pataudement de l'ennemi et me faisais repèrer, le faisant fuire, mais dans ce cas, plus de sècheresse, plus de problème, et mon sujet nait par la disparitioin meme de la panne, soit -ce que je fis- je parvenais à pousser la feinte de manière suffisamment subtile pour berner mon ennemi, le capturer, et ainsi pouvoir faire de son étude l'occupation principale de ma soirée.
Pour revenir à ce qui nous concerne et pour aider un peu ceux qui se sont endormis au milieu de l'introduction, je parlerai ce soir d'inspiration, de créativité, des contiditions de leur développement harmonieux et des risques que l'on encourt à mal les connaitre.
La première chose qui a retenu mon attention en observant de plus près l'ennemi sournois qui a prétendu un temps me tenir à l'écart de votre lecture, est son arrogance. En effet ce soir je voulais plus que tout écrire. Non pas exactement écrire: avoir écrit quelque chose. Je me rends compte que je tombais là dans le premier piège de l'inspiration. L'inspiration ne vient pas du sentiment de fierté que l'on peut tirer du résultat final du travail de création. Elle ne peut pas passer par un aplaventrage à un public. Elle est indépendante et requiert avant tout une démarche d'humilité. L'artiste est censé se distinguer de la norme par sa sensibilité. Or qu'est ce que la sensibilité sinon le fait de s'ouvrir au monde extérieur et laisser celui-ci conditionner sa pensée et ses émotions. cette démarche n'est pas gratuite et n'est pas une attitude de faiblesse. La mise à l'écoute du monde implique quelque part l'oubli de soit et la reconnaissance de son ignorance vis à vis d'un sujet que l'on veut s'approprier. Ce soir je n'étais au service de rien. Il y avait bien des choses à raconter sur le monde autour de moi, et encore d'avantage sur les gens qui le font, mais je ne les percevais absolument pas, ou en tous cas ne leur accordais aucune valeur, car obsèdé par l'idée d'obtenir en fin de soirée un article de qualité, mon article à moi. Finalement la seule chose qui s'est révélée assez flagrante ce soir pour me sortir de mes oeillères fut mon manque remarquable d'inspiration, et je l'avais bien cherché. Le processus de création n'est pas un processus de production. Il doit être spontané, modeste et sincère. Chacun doit savoir se mettre au service du sujet qu'il veut traiter, car ce sujet est ce qu'il partage avec son public. C'est le seul moyen pour eux de se retrouver. L'artiste ne se donne pas en spectacle: il n'y a aucune raison pour que le spectacle d'un individu particulier interesse quiconque outre mesure. L'artiste révèle à travers le prisme de sa sensibilité une image nouvelle d'un aspect de la vie que connait le spectateur. Il lui restitue comme il, l'a vécu cet instant, cette image ou cette personne. Ce soir je suis en face d'un manque d'inspiration, je vous en fais part exactement comme je le ressens, sans essayer d'en sortir grandi.
Sonne alors à mes oreilles une alarme inquiètante: suffit il de se laisser emporter par le doux bercement de la réalité pour être créatif? D'etre à l'écoute du monde et de son sujet, et le restituer humblement pour effectuer un travail de création artistique? Certainement pas. Le fait d'être soi même, d'écouter les vibrations de son âme au vent d'un fait nouveau, ne peut pas etre considéré comme une valeur ajoutée. Pour illustrer ce propos je vais partir d'une réflexion que l'on me fait souvent: on me dit fréquemment chanceux d'avoir atteint le niveau (relatif) que j'ai en patinage car je peux enfin m'amuser. Bien sûr je prends du plaisir à patiner, mais le fait de pouvoir créer sur la glace n'est pas uniquement une chance. C'est un résultat. Chacun peut créer, mais la qualité de la création s'acquiert dans le travail souvent le plus bête, le plus dégradant, et le plus fatigant. Et ceux que l'on croit libérés de contraintes sont en fait souvent ceux qui ont su les apprivoiser, et donc qui les ont le plus côtoyées. Bien sûr il est exaltant de pouvoir transcrire une musique sur la glace, de traduire en performance athlétique des émotions musicales, mais ce travail n'est pas un simple travail d'amusement et d'écoute de soi. Ceux qui me disent chanceux, comme tous ceux qui rêvent de devenir danseur étoile ou violoniste virtuose, doivent aussi rêver d'heures de souffrance, d'heures dégradantes, d'heures maladivement concrètes, physiques. C'est le prix qu'il faut payer pour se donner les moyens. Combien d'heures sous une presse à cuisses pour gagner un à un les centimètres de détente verticale? combien de chutes sur un triple saut pour savoir le fair les yeux fermés, pile au moment où la musique s'y prête le mieux? Combien d'heures à cracher ses poumons pour que ce même saut passe aussi quand les cuisses sont rongées par l'acide lactique? Une infinité en vérité au regard des moments passés libre sous une belle musique à dessiner sur la glace des accords et des arpèges.
Car la qualité d'une création passe avant tout par un vocabulaire riche. Se libérer de l'autocensure et savoir se plier à son sujet sont des étapes nécessaires à la création, mais il faut aussi pouvoir décrire ce que l'on ressent si on veut se faire comprendre. Cette qualité passe inévitablement par l'acquisition de réflexes d'expression, en d'autres termes d'une technique. Pour pouvoir s'amuser dans la création, il faut avant tout se soumettre à des exercices fastidieux et inintéressants qui permettront à l'artiste de s'exprimer tout en s'oubliant. L'inspiration ne doit pas être entravée par le souci de la technique pour ne pas être corrompue. C'est pour celà que je sais la valeur du travail de certains artistes, et le mérite moindre d'autres. L'inspiration pure et vierge de travail est pour moi une illusion. Le pianiste fait ses gammes, le peintre s'exerce méticuleusement, le danseur fait sa barre. Tous ils s'ennuient, ils ne savent plus pourquoi ils tuent une à une ces heures dans de longs combats, jusqu'au moment où enfin, dans un moment de création comme tant d'autres, le public reconnait enfin la qualité de leur travail. Enfin ils s'amusent dans leur art. Mais rien n'est gratuit, et le talent le plus pur finira par fâner si il n'est pas entretenu.
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