Dans ma grande (et sans doute vaine) quête du sens de la vie et de la compréhension du monde, je poursuis ma série d'articles hautement anecdotiques pour ceux qui ne s'intéressent pas à ma vision du monde. Désolé pour ceux qui cherchent les cours de la bourse ou la capitale de la Moldavie: toujours rien ici pour eux.
J'avais inquiété quelques personnes il y a deux mois avec un article sur le chômage. Je ne sais pas si cet article pourra les rassurer , mais en tout cas il leur permettra je l'espère de relativiser un peu mes propos.
Depuis trois semaines, je travaille, j'ai un appartement, je me suis posé, j'ai eu mon diplômé et suis deuxième de promo. Pensez vous pour autant que le petit garçon de 1984 soit rassuré? Ce serait un peu trop simple: il faut bien que je donne matière à ce site, et en m'enfermant dans une pantouflardise intellectuelle ou dans une anorexie mentale, je n'aurais plus à vous parler que des cours de la bourse ou des capitales d'obscurs pays Européens.
Les semaines écoulées ont vu atteints un certain nombre d'objectifs. Des évènements qui devaient logiquement clôturer un processus de formation entamé sous les ondes rougeoyantes de mon enfance sont venus les uns après les autres éteindre les doutes d'un adolescent fâné et impatient. Un pan de moi est tombé récemment, me soulageant de quelques poids, mais me laissant nu face à de nouvelles réalités, de nouvelles prespectives. Le vent du futur a fait claquer derrière moi la porte d'un passé qui m'avait jusque là toujours défini, et devant moi s'allonge une vie comme le tapis roulant d'une chaine de fabrication automatisée. Sous les machines qui le transforment, étape après étape, le petit garçon lutte pour ressortir à chaque fois de la nouvelle couche de peinture trop laquée dont on le recouvre.
Comment viser un certain confort, une situation, un apaisement, et quand on l'a atteint ne pas s'ennuyer? A quoi riment les projets à long terme, les plans de vie? Si on ne les atteint pas on ne récolte que regrets et frustration. Si on les atteint, à quoi sert de vivre des instants qu'on a planifiés, et donc déjà vécu cent fois dans sa tête?
Le problème est que l'instant le plus intense du bonheur est celui où se dessine la perspective du bonheur, et pas celui qui matérialisait dans notre esprit le bonheur. Le matin où l'on se lève, et où le monde semble ouvert, plein de possibilités. L'instant où l'on se dit "ça y est, ça commence, les efforts vont enfin payer". C'est un instant très bref, mais très intense, qui rend donc fade les moments qui suivent, et qui étaient censés constituer le corps du bonheur.
J'ai vécu ce pic d'euphorie ces derniers jours, et je me suis promis de ne pas laisser ce moment effacer ou ridiculiser le quotidien dont j'avais rêvé.
On dit qu'il y a pour chacun une place, un chemin, voir un destin. Je pense que la seule ligne qui doit guider une vie est celle qui a dessiné aux premiers âges notre personne. Les enfants ne sont jamais déçus par l'aboutissement d'un rêve, et savent toujours rebondir d'une joie à l'autre, car ils sont toujours intègres avec eux mêmes, et qu'ils obéissent toujours aux volontés (voire aux caprices) de leur imagination, sans jamais la soumettre à une conception extérieure. Ces structures extérieures, préconçues, sont souvent des modèles ou des objectifs, mais ne doivent en aucun cas se substituer aux mécanismes fondateurs de la personne en question.
J'ai peur ces temps ci de me soumettre (de m'aplaventrer) à des modèles de bonheur et de satisfaction parceque -ô gloire- j'ai enfin réussi à faire comme tout le monde. A force de se vendre aux rêves d'une société, on oublie parfois les siens. C'est une belle illusion, un bel effet d'optique que l'image d'une société cohérente. Ce n'est en fait qu'un raccourci qui nous permet de désigner tout ce qui n'est pas nous. Et donc comme tous les autres en font partie, on se dit que forcément on devrait y rentrer.
La farce c'est que personne n'en fait partie! Cette "société" est une moyenne imaginaire qui ne représente personne: le monde est fait d'individus aux ambitions variées, aux perceptions différentes, dont la plupart s'oublient pour s'afficher sous la lumière correctrice d'une norme illusoire. On se forme un personnage social comme un emballage qui incite les autres à venir vers nous: ils auront sûrement moins peur de ce qu'ils connaissent.
La farce c'est qu'ils ne connaîtront jamais vraiment ce qu'il y a à l'intérieur, et se contenteront d'un erzatz de relation, un erzatz d'existence, et d'un bonheur édulcoré.
Je sais qu'il y a autour de moi des gens qui me conaissent, qui savent de moi des choses que je ne leur ai même pas montrées, alors s'il vous plait ne me laissez pas me contenter de finir tranquillement ma vie sous la douce perfusion du confort social, et achevez moi plutôt avec les décharges violentes de nos différences, des déceptions cruelles de nos caprices d'enfants, et surtout des joies stupides de nos bêtises.
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