« A l'école quand j'étais petit, je n'avais pas beaucoup d'amis, j'aurais voulu m'appeler Dupont ». Je suis certain que la plupart d'entre vous connaissent cette ligne familière de « L'Italiano », et même que quelques uns parmi vous se sentent personnellement touchés par cette phrase. Car si nous ne sommes pas tous des immigrés Italiens dont les camarades se moquent des cheveux couleur corbeaux, beaucoup d'entre nous auraient bien vendu leur goùter à la récré pour un jour ou l'autre cesser de n'être qu'une diffrérence, qu'un autre, pouvoir faire partie nous aussi de la grande illusion.
Pourquoi ce préambule a priori amère et défaitiste ? Rassurez-vous, je ne vais pas me lamenter sur mon enfance, je l'aime trop pour lui faire cette injure. Rappelez vous seulement où vous êtes. Vous êtes de l'autre côté du miroir, de l'autre côté de mon miroir. Vous êtes vous déjà demandé pourquoi j'ai intitulé mon blog de cette manière ? Certes je voue une certaine admiration à Lewis Caroll et à son Alice, mais ce n'est pas au pays des merveilles que vous aboutirez en traversant la surface trop lisse de ce miroir. Le pays des merveilles, vous en venez, vous le quittez ici même pour visiter l'envers du décor. Car la vraie merveille, ce n'est pas celle que je peux vouloir inventer dans un article, dans un poëme ou dans un alignement de photos édulcorées et bien choisies. C'est trop simple pour être merveilleux. La merveille c'est ce qui existe vraiment, ce qui a eu le culot de sortir de notre imaginaire pour faire le monde réel.
Donc ici vous ne trouverez que les patrons, les plans d'un grand projet tout au plus. Un simple brainstorming parfois, des idées en vrac qui attendent qu'on les accouche. La structure du prisme qui fait la magie du miroir que vous avez sous les yeux. Mais quelle belle loi, quelle belle science peut donc faire d'un simple objet de narcissisme un outil enchanté ? C'est la théorie du miroir que je vais tenter de vous expliquer aujourd'hui .
Revenons donc à cette constatation primaire : à l'école quand j'étais petit, je n'avais pas beaucoup d'amis. Petit garçon un peu trop sage, mes yeux voyaient du rouge où il fallait voir du vert, mais voyaient surtout des étoiles où il n'y en avait pas. Passant des heures à imaginer ce que le monde aurait pu être, ce qu'il était vraiment me rejetait un peu, sans doute vexé du peu d'intérêt que je lui portais. Pourtant j'ouvrais ma porte chaque fois qu'on y frappait, et brulais de faire découvrir les sommets et les abysses dans lesquels je vivais. Malheureusement la plupart de mes visiteurs avaient pour seule intention de coloniser mon pays, et craignant ce qu'ils ne comprenaient pas, le dévalorisaient. Le dénigrement perpétuel de cet univers que ma rêverie (et simplement mon espoir, mes aspirations) construisait a plus d'une fois plombé mon enthousiasme, et aurait bien pu faire de moi un néon éteint.
Heureusement il a toujours subsisté une braise, une trace, une cellule souche. Et chaque fois, après qu'on eût tourné en dérision la vie de bohème de mes pensées, je me rappelais toute l'évidence de mes évasions, car enfin si l'utopie était illusoire, il était si simple de la rêver, et au moins de se convaincre de sa nécessité.
J'ai ainsi grandi jusqu'à ce jour, de désillusion en euphorie, me pâmant sans fin devant l'improbable contradiction fondatrice de la condition humaine : « l'homme est un roseau, mais c'est un roseau pensant » (Pascal, les pensées). En d'autres termes, l'homme par nature est faible, il est tenté par l'égoïsme et l'intolérance, mais il est aussi riche de sa nature et aucune autre force de la nature n'égale la moindre pensée, le moindre élan de générosité dont il est capable.
Il a fallu du temps bien sûr pour accepter cette dualité et en faire dans mon imaginaire la beauté de l'être humain. Les rêveurs, « ils » n'aiment pa ça, c'est une chose entendue. Les sensibles, n'en parlons pas, ils en profitent car ils les savent vulnérables. Alors ceux qui vivent leurs rêves à travers leur sensibilité, tels que les danseurs, les patineurs, c'est trop pour eux. « Ils sont fous, (pour ne pas dire ils sont folles, comme j'ai pu l'entendre jusque dans nos si belles écoles d'ingénieurs...), ils ne sont pas des nôtres, ils nous méprisent à vouloir s'envoler de la sorte au dessus de nos têtes, ils se croient supérieurs et pensent pouvoir nous échapper ». Le problème pour eux était qu'ils n'existaient qu'à partir de ce qu'ils controllaient, et qu'ils avaient raison : nous pouvons leur échapper et même pour ce faire il suffisait de dormir un peu, de fermer les yeux.
Lorsque, des cours d'école maternelle aux remises de diplômes des plus grandes écoles de la nation, on est bercé de cette forme d'incompréhension hostile et moqueuse, on est forcé de perdre certaines illusions et de penser la vie au delà de la société. La merveille est dans la réalité, j'en suis convaincu. Si elle était dans le rêve, on aurait depuis longtemps accordé plus de valeur au rêve. Je dirais même la merveille est en l'Homme, car le reste n'est ni pensant, ni conscient, ni créatif, ni sensible. Alors il faut faire contre mauvaise fortune bon cœur, et prendre cette société, ou plutôt ces individus, comme ils viennent. Il faut se dire aussi que nous rêveurs, qui courrons après des idéaux qu'une foi aveugle en la beauté nous fait miroiter, savons la valeur de ce qui est, pour la simple raison que nous savons combien ce qui n'est pas est inaccessible. Nous avons tant souffert à le vouloir !
Alors Thomas, ne joue pas à leur jeu, n'adopte pas leur mesquinerie, tu perdrais ta seule force, ta foi en l'Homme. Tu n'es peut être pas des leurs, et tu n'en seras certainement jamais, mais si tu peux les convaincre qu'ils peuvent être des tiens, alors un dialogue reste possible. C'est à cela que sert l'effet miroir.
Qui que tu aies en face de toi, ne cherche pas à le convertir, mais au contraire montre lui qui il est, montre lui tout ce qui fait sa valeur à tes yeux. Sois pour lui le miroir qui mettra enfin en valeur ses qualités, mais surtout ses défauts, car on appelle souvent défauts tout ce qui s'approche d'une différence.
Au début de cette année, j'ai rencontré tout un tas de gens. Je les avais réunis autour d'une soirée crèpes et glaces, dans mon souci permanent d'avoir des amis plus gros que moi. Nous avons finni la soirée par une monumentale série de questions existencielles. Nous devions notamment déterminer la plus grande qualité de chacun, ce qui était ambitieux car nous ne nous connaissions quasiment pas. L'une de mes amies, la plus spéciale, m'a dit : « ta plus grande qualité, c'est qu'on a tout de suite l'impression de te connaître depuis des années ». C'est un des plus beaux compliments qu'on m'ait fait. J'avais réussi à faire en sorte qu'elle se sente acceptée parmi les miens !
La pire chose qu'on puisse exiger de quelqu'un, c'est qu'il soit normal.
2 commentaires:
Va falloir que je relise. Invité à le faire pour cette "théorie du miroir", par un pote que j'ai branché sur ton blog, j'ai un écho qui sonne tout à coup !!
Et une petite chose m'amuse : j'ai donc un strabisme ; pas énorme, mais une "coquèterie" comme on dit, qui ne passe pas toujours innaperçue.
Il y a un paquet de temps, avec mon ami d'alors, on va voir un film en relief. Un Hitchcock : "le crime était presque parfait" Problème : la vue en relief est difficilement compatible avec un strabisme. Me demande pas pourquoi. je ne me cogne pas plus que la moyenne de nos semblables aux réverbères urbains et autres.
On nous confie à l'entrée une paire de lunettes magiques : un côté vert, un côté rouge. Et c'est censé créé l'effet de relief. Bah non : pas pour moi : au bout d'une demi heure de concentration avec une partie des images en noir et blanc et vert, et l'autre en noir et blanc et rouge, le tout découpé selon deux diagonales au travers de l'écran, je suis sorti attendre mon copain au café d'en face, ou d'à côté, je ne me souviens plus : peut-être encore le strabisme.
Le coup du vert et rouge surtout m'amuse.
Ca ferait comment strabisme et daltonien ?...
Faut que je relise : c'est vraiment tellement bien ce que tu écris !!
Et pas seulement bien sur pour ce genre d'anecdote.
Rhââ ! Coquetterie et non pas coquèterie ! ...
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